NON, Lindbergh n’a pas réussi le premier vol transatlantique
Avec une remarquable constance et, au choix, un mépris assumé de la vérité historique ou une rare incompétence, les journalistes, toutes stations confondues, continuent d’affirmer que Lindbergh a réussi la première traversée de l’Atlantique en avion, ce qui est rigoureusement faux. Dernier en date, un chroniqueur d’Europe 1 dimanche matin...
Au matin de la finale des Internationaux de Paris opposant Rafael Nadal à David Ferrer, un « professionnel » d’Europe 1 est venu préciser à l’antenne qui était ce Roland Garros dont le nom a été donné au célèbre complexe de tennis de la Porte d’Auteuil et dont bien peu de nos compatriotes connaissent l’histoire. Une louable initiative à la mémoire de ce grand pilote qui a marqué l’histoire de l’aviation en devenant le premier à réussir la traversée de la Méditerranée le 23 septembre 1913 avant de périr en combat aérien le 5 octobre 1918, moins de six semaines avant la signature de l’Armistice.
Tout naturellement, le journaliste d’Europe 1 a ensuite rappelé ces autres grandes dates de l’aviation qu’ont été la première traversée de la Manche par Louis Blériot le 25 juillet 1909 et la première traversée de l’Atlantique par Charles Lindbergh les 20 et 21 mai 1927. À ce détail près que l’Américain n’a pas été le premier à réussir la traversée entre les deux continents : cet exploit avait déjà été accompli par deux pilotes britanniques, John William Alcock et Arthur Whitten Brown, six ans avant Lindbergh ! Et cela dans un contexte nettement plus périlleux.
Cet exploit, réalisé à bord d’un bombardier biplan Vickers Vimy les 14 et 15 juin 1919 dans des conditions dantesques, je l’ai relaté en juin 2010 dans un article intitulé Justice pour Alcock et Brown ! Pour mémoire, rappelons que les deux hommes ont décollé de Terre Neuve sur un terrain bosselé préparé pour l’occasion, avec pour objectif la ville de Galway dans l’ouest irlandais. Au terme d’un vol marqué par le brouillard, le givrage des commandes et, à plusieurs reprises, des pertes brutales d’altitude jusqu’à frôler les flots de l’Atlantique, Alcock et Brown, en limite de carburant, ont dû atterrir en urgence à quelques dizaines de miles de Galway : un atterrissage pour le moins chaotique dans une tourbière du Connemara proche de Clifden, le nez du Vickers se fichant dans le sol spongieux sous le regard ébahi d’un paysan.
Impossible de ne pas éprouver d’émotion en contemplant la stèle commémorative érigée à quelques centaines de mètres de la tourbière historique de Derrygimlagh dans le décor sauvage du Connemara. Impossible également de ne pas éprouver d’irritation à l’encontre de ces journalistes qui persistent à occulter leur prodigieux exploit. Charles Lindbergh aurait même été devancé par Charles Nungesser et François Coli aux commandes de L’oiseau blanc si les deux pilotes n’avaient disparu en mer tout près de Saint-Pierre-et-Miquelon le 8 mai 1927. La découverte d’un document des garde-côtes attestant de ce fait a, durant quelques jours en novembre 2010, fait la Une de tous les médias écrits et audiovisuels sur un thème unique : « À quelques jours près, Lindbergh aurait été devancé par les pilotes français ». Cocorico ! Le 12 novembre, je dénonçais cette hystérie mensongère dans un article intitulé Aviation : l’imposture ! Pauvres Alcock et Brown, à juste titre respectés et régulièrement fêtés en Irlande et au Royaume-Uni, mais condamnés à l’oubli dans notre pays.
Charles Lindbergh a certes accompli, dans des conditions difficiles, un exploit remarquable les 20 et 21 mai 1927 aux commandes de son Spirit of Saint Louis en reliant New York à Paris. Et de fait, il a été le premier homme à réussir la traversée de l’Atlantique nord en solitaire. Qui plus est, la distance qu’il a parcourue est nettement supérieure à celle du vol d’Alcock et Brown huit ans plus tôt : 5808 km contre 3630 km. Lindbergh n’en a pas moins été devancé dans la liaison entre les deux continents. Cerise sur le gâteau pour les deux britanniques, leur vol a constitué la première traversée transatlantique aéropostale : Alcock et Brown étaient en effet porteurs de 197 lettres qui ont toutes été distribuées à leurs destinataires après avoir été acheminées à Londres et avoir reçu une oblitération spéciale.
En 2010, j’écrivais ceci : « Pourquoi la mémoire populaire n’a-t-elle retenu de l’aventure transatlantique sans escale que l’exploit de Lindbergh ? À cela différentes raisons, parmi lesquelles : 1) la liaison directe, et symboliquement très forte, entre New York et Paris ; 2) un patronyme de pilote qui résonne aux oreilles comme un accord musical parfait ; 3) un superbe nom de baptême pour un avion très vite devenu mythique ; 4) un triomphe planétaire consacré par une colossale parade dans les rues de Manhattan. Sans oublier le tragique enlèvement, cinq ans après la traversée, du fils aîné des Lindbergh, retrouvé mort deux mois et demi plus tard malgré le paiement de la rançon. Un évènement dont le retentissement mondial remit en lumière Lindbergh en achevant d’occulter les exploits de ceux qui l’avaient devancé.
Trois ans se sont écoulés mais, avec la complicité des journalistes, rien n’a changé : Lindbergh reste, à juste titre, au pinacle tandis que le duo Alcock-Brown demeure enfoui dans les malles poussiéreuses du grenier de nos mémoires.
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