Notre ami le Tsar
Lisez sans tarder « Une Exécution Ordinaire », de Marc Dugain (dont j’avais déjà apprécié le roman sur les dessous d’une certaine Amérique et l’intimité de Edgard Hoover : « La Malédiction d’Edgar »), si la situation d’un gros morceau de notre continent européen, auquel nous sommes étroitement liés, vous interpelle.
Comme les molossols, je m’intéresse depuis toujours à ce qui nous vient de l’Est, d’abord par opposition à l’extravagant régime totalitaire soviétique, que nombre d’intellectuels et d’universitaires tentaient encore de nous servir, il n’y a pas si longtemps, comme l’avenir radieux de l’humanité.
Puis interloquée (voire "baba"), devant l’arrivée de Gorbatchev et l’avénement de l’éphémère Glasnost, moins dictée par l’amour de la liberté et de la transparence du sus-nommé, que par (1) la défaite annoncée de l’URSS face à la montée en puissance de l’armada interstellaire de Reagean, plus connue sous le nom de "guerre des étoiles" (2) et l’effondrement des prix du pétrole et du gaz, dont l’URSS était un des premiers fournisseurs mondiaux et de fait, l’implosion ultime de son système économique.
A situation intenable, il faut bien lâcher du lest à moins de sombrer.
Gorbatchev
bénéficiait en outre d’une certaine aura mystique auprès des Russes. En
effet, une ancienne prédiction aurait annoncé l’avénement d’un "tsar à
la tâche de sang sur le front" qui délivrerait la Russie millénaire de
tous ses maux...
Ensuite vinrent quelques années de joyeux et tragique bordel, sous l’égide d’un pître kleptocrate et soulographe, Eltsine, profitables aux meilleurs et surtout aux pires, futurs oligarques et déjà criminels, rafflant à bas prix l’ensemble de l’infrastructure et des ressources quasi-illimitées et incontrôlées de "l’empire", et édifiant en quelques années des fortunes inimaginables encore aujourd’hui.
Au tournant du siècle, un inconnu surgit de l’ombre pour succéder à Boris Eltsine à la tête du Kremlin : Vladimir Vladimirovitch Poutine. Réélu ensuite en 2004, l’ancien agent du KGB, a remporté plus de 70% des suffrages, sans véritable opposition. Et davantage qu’un plébiscite, le vote a plutôt pris l’allure d’un serment de fidélité prêté par un peuple à son suzerain.
Notre ami Vlad, le nouveau tsar de toutes les Russies, l’homme au sourire de Chat du Cheshire...
Intéressant parallèle avec certains tyrans, Poutine, qui n’est alors que premier ministre, assure son avenir avec un mensonge et un "meurtre organisé" en attribuant aux Tchétchènes, en septembre 99, des attentats contre des immeubles d’habitation qui font plusieurs centaines de victimes à Moscou. Il déclare qu’il va "buter les terroristes jusque dans les chiottes"...
"Volodia Président", les Russes l’aiment plutôt bien au début : il va enfin rétablir l’ordre et "rendre l’honneur à notre grande nation". Et un semblant d’ordre effectif est rétabli, selon des méthodes historiquement éprouvées.
En Occident également, nous sommes sensibles à son charme discret,
sa rigueur, son air du mec qui sait et qui n’en pense pas moins,
enfin... jusqu’à ce qu’il commence à montrer la vraie nature de ses
canines en matière de politique énergétique, menaçant chaque hiver de
nous couper le gaz...
De fait, à présent, les souris filent doux afin de ne pas froisser "l’ami russe".
Clairement, les Européens ne savent plus trop sur quel pied danser,
en France en particulier, où l’on est anti-américain par principe et
donc pro-russe par défaut. Et encore plus depuis l’affaire irakienne en
2003.
Ce qui est grotesque car imaginons une seconde que
George Bush ait fait le dixième de ce qu’a fait Poutine à Grosny,
qu’est-ce qu’on n’aurait pas entendu ?
Mais la Tchétchénie, présentée comme un pays de bandits et de sauvages islamisants via une communication particulièrement bien affutée n’intéresse pas grand monde ici, il est vrai. Ni les affaires intérieures russes : le massacre du théâtre de Moscou en 2002 (150 civils tués minimum et combien de blessés ?), la prise d’otage de l’école de Beslan en 2004 (344 civils abattus minimum dont 186 enfants), les assassinats de journalistes, d’opposants, de représentants des droits de l’homme, de qui que ce soit se met en travers... Et alors ?
Volodia a toutes les cartes en main : Il n’a plus d’armée ? peu
importe. Il dispose de ressources énergétiques illimitées. Et s’il a
besoin qu’on lui vienne en aide pour "contrer" l’avancée du terrorisme
dans cette région du monde, terrorisme qu’il a lui-même attisé avec sa
poursuite du massacre Tchétchène, il sait qu’il peut compter sur nous.
L’affaire irakienne est une bénédiction : laissant les Américains
s’empêtrer dans un bourbier sanglant, il avance ses pions au
Moyen-Orient.
Le Russe est un redoutable joueur d’échecs sur un plateau qui lui est favorable.
Ne vous rappelle-t’il pas quelqu’un à Yalta ?
Le petit gland ne tombe jamais loin du grand chêne : saviez-vous que Vladimir Poutine est le petit-fils du cuisinier personnel de Josef Staline ?
J’ai appris l’anecdote lors de ma lecture du livre de Marc Dugain,
que l’auteur ne présente pas comme une enquête journalistique, mais un
roman basé sur des faits réels, suite à ses nombreux voyages sur place
et rencontres avec les principaux intéressés, impliqués de près dans l’affaire du sous-marin Koursk, en août 2000.
En
gros, lors d’une série d’exercices, le sous-marin s’est torpillé de
l’intérieur par une torpille défectueuse. On sait qu’il reste des
survivants à l’arrière du bâtiment que plusieurs navires étrangers à
proximité se proposent de récupérer. Ce serait l’affaire de 20 minutes.
Les autorités russes laissent filer les jours : ne sachant pas
précisément ce qui s’est passé, est-il utile d’avoir des témoins ?
Tout ceci dans la plus belle tradition du mépris de la vie humaine au profit de la déraison d’état.
A l’heure des come-backs en tous genres, Poutine nous ferait-il le coup du "Staline revival" ?
Car il apparait aujourd’hui comme le gardien vigilant de cette petite flamme qui reste de l’ancien régime du Petit Père des Peuples.
On assiste actuellement à une réhabilitation rampante mais inéluctable
de Staline en Russie, il semblerait même qu’il soit question d’ériger
de nouvelles statues à sa gloire !
Le pitch d’"Une Exécution Ordinaire" :
Première époque : "Je ne suis que Staline" ou la rencontre improbable entre une médecin de Moscou, guérisseuse à ses heures, et le Vojd (qui signifie "guide" en russe), jusqu’à la mort de ce dernier.
!Un film va d’ailleurs être réalisé, tiré de cette première partie !
Extrait : "Staline fut victime.. d’une hémorragie cérébrale. Elle le laissa conscient, sans voix ni mouvement, mais dans une position qui inspirait l’effroi au point que personne n’osa le toucher. On le laissa baigner dans son urine jusqu’à ce que survienne le décès auquel personne ne parvenait à croire."
Deuxième époque : La Perestroïka, un jeune officier au menton fuyant et à l’air de fouine nerveuse monte en grade au sein du KGB, basé en Allemagne de l’Est.
Extrait : "Je vais commencer par une question simple, pourquoi avoir choisi le KGB ?
- Mon commandant, je n’ai pas choisi le KGB... c’est lui qui vous recrute.
- Donc, c’est un hasard.
-
Oh non, étudiant je connaissais un homme qui travaillait à l’antenne de
Saint-Pétersbourg et je lui ai fait part de mon intérêt. Ce n’est qu’à
la fin de mes études que j’ai été approché par un agent.
- Vous avez toujours voulu faire du renseignement ?
- Aussi loin que je me souvienne, je voulais être un espion.
- Pourquoi ?
Enfant,
c’était un rêve de gloire. Je voulais être un héros. Ce désir a été
conforté plus tard par une réflexion selon laquelle, sans certaines
circonstances, un homme du KGB peut faire pour son pays plus qu’un
bataillon tout entier."
Troisième époque : L’avénement de Poutine et la tragédie du Koursk, la boucle est bouclé : Olga, la soigneuse de Staline est la grand-mère de Vania, jeune sous-marinier, l’un des derniers à mourir, alors que Poutine prend son petit-déjeuner, en villégiature au bord de la Mer Noire.
Extrait : "Ils ont finalement autorisé un submersible anglais à approcher l’Oskar (nom du Koursk dans le roman). En moins d’une demi-heure, il a ouvert le sas de secours. Son équipage a constaté que des morts flottaient dans les compartiments arrière du sous-marin, calcinés du haut du crâne jusqu’à la ceinture. En-dessous de la ceinture, ils étaient juste mouillés. Ils ont laissé les nôtres à leur sépulture. Il devait être encore trop tôt pour les remonter. Dans notre pays, on craint autant la parole des morts que celle des vivants, et on lui attache une importance telle qu’un mort n’est enterré que s’il n’a vraiment plus rien à dire."
Une Exécution Ordinaire, Marc Dugain, Gallimard.
Voir ou revoir le documentaire "Staline, le Tyran Rouge", diffusé de nouveau sur M6 le 16 mars à 00:05
Ci-dessus photo de Staline tenant dans ses bras sa fille chérie, Svletana.
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