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Ousmane Sow, le griot de la glaise

À l’occasion de l’élection du sculpteur sénégalais Ousmane Sow à l’Académie des beaux-arts de Paris (section des membres Associés étrangers), l’écrivain John Marcus rend un hommage photographique à ce créateur d'exception.

La bataille de Little Big Horn par Ousmane Sow

Texte et photographies par John Marcus *
_____________
 
L’annonce discrète, à la fin du mois de juillet, de la nomination du sculpteur sénégalais Ousmane Sow en tant que membre Associé étranger de l’Académie des beaux-arts de Paris (Institut de France) est presque passée inaperçue dans les médias français.
 
Il est vrai que le communiqué austère fut publié loin des fastes de Versailles et des artefacts brillants qui se succèdent dans ses salons en trompant parfois le regard des critiques. 
 
Pourtant, il s’agit là d’un événement culturel majeur puisque la France consacre, une nouvelle fois, l’un des créateurs contemporains les plus doués de sa génération.
 
Comme souvent, malheureusement, l’artiste n’est pas prophète dans son pays.
 
Preuve en est la statue mégalomaniaque et post-constructiviste édifiée à Dakar par l’ancien Président du Sénégal, Abdoulaye Wade (qui n’hésita pas, d’ailleurs, à lui sacrifier le projet du Mémorial de Gorée initié par son prédécesseur).
 
Baptisée pompeusement « Monument de la renaissance africaine », cette horreur coréenne est une véritable caricature qui réussit l’exploit de dépasser les canons du réalisme soviétique. On chercherait en vain le génie du continent noir dans cette construction des vanités. Senghor lui-même doit se retourner dans sa tombe et se plaire à rêver, avec nous, de ce qu’aurait été une statue de glaise africaine mue par les doigts féconds d’Ousmane Sow.
 
Comme beaucoup de Français – plus de trois millions –, j’ai rencontré ses œuvres à Paris, un matin de 1999.
 
 
Guerrier debout - Série Masaï - Ousmane Sow
Un peu hagard, maugréant contre un printemps tardif qui refusait de réchauffer et d’éclairer les quais, je me promenai dans cette atmosphère blafarde des jours sans joie, fort dépité par ce véritable temps de suicidés. Je descendis alors sur les berges, espérant que la Seine pourrait emporter ma mélancolie au rythme de ses eaux, aussi sombres que le ciel.
 
À hauteur du port des Tuileries, les yeux toujours plongés dans les viscères peu ragoûtants du fleuve, je tressaillis soudain lorsque mon regard croisa celui d’un Indien à l’agonie qui semblait submergé par le courant. La surprise fut telle que je fis un grand bond en arrière, comme pour me protéger de cette fatale immersion et de ses conséquences tragiques : « Oh, non ! » pensai-je immédiatement, imaginant le pire.
 
Dos collé au mur, le souffle court, le cœur affolé, reprenant mes esprits, je cherchai le corps de ce visage lorsque je compris que j’avais été confondu par un simple reflet d’eau. Je levai aussitôt la tête vers la passerelle des Arts qui me surplombait, au moment même où un jet de lumière vint trouer les épaisses nuées qui entouraient Paris.
 
Cette vision provoqua un véritable choc, car, là-haut, sur cet arc de métal fragile tendu entre les deux rives de la capitale, se tenait en suspens l’être de ma frayeur, l’homme blessé, dont la souffrance était soudainement ambrée par les fragiles rayons du soleil hésitant.
 
Certes, l’Indien continuait à me fixer avec désarroi, mais il n’était plus seul. En vérité, des dizaines de géants aux pieds d’argile avaient envahi les planches du ponton et l’entouraient, le dépassaient, semblaient s’affairer entre le vide et les taillis de brume qui persistaient encore.
 
Lutteur au bâton - Série Nouba - Ousmane Sow
Ce ballet des ombres m’intrigua et fit cesser ma crainte. Des chants entêtants s’élevèrent alors du brouillard, suivi par les appels non moins lancinants de tam-tams. C’était une invitation à les rejoindre. Hypnotisé par cette complainte des titans, mû par l’excitation de la curiosité, obéissant à cette puissante et éternelle magie de l’Art, je me décidai enfin à monter.
 
C’est ainsi que, pour la première fois, je pénétrai sur le territoire de l’artiste.
On ne dira jamais assez que le véritable talent d’un créateur réside dans la puissance évocatrice de ses œuvres. Ousmane Sow ne transforme pas seulement la matière inerte en sculpture vivante, il écrit des épopées avec la glaise de l’Histoire et sait insuffler à ses compositions une vérité qui dépasse de loin ce que l’on appelle généralement « réalisme » ou « naturalisme ».
 
Ses œuvres sont universelles parce qu’elles sont d’abord immanentes, elles vivent d’elles-mêmes, par elles-mêmes, elles créent leur propre réalité.
 
Avec ses doigts de sorcier, Ousmane Sow ne cisèle pas seulement la complexité des êtres et des choses, des instants et des événements, des émotions et des sentiments, il sait extraire l’énergie vivifiante de la terre pour créer l’Homme à l’image de l’Homme, il arrive à extirper de l’inerte la mémoire essentielle du vivant, sait l’emprisonner pour mieux la libérer, la contraindre pour mieux la magnifier.
 
Et c’est pourquoi, sans doute, Ousmane Sow est l’un des rares plasticiens contemporains à donner vie et liberté, littéralement, à ses créations. C’est pourquoi, aussi, le spectateur médusé ne regarde pas un objet d’art, mais contemple une œuvre authentique.
 
Emporté par ce tourbillon de la vie en mouvement, il découvre des créatures animées, il assiste aux transhumances et aux batailles, il partage les naissances et les morts, il saisit les joies et les larmes, il voit couler le lait et le sang, il entend les chants et les râles, il sent l’odeur de la savane et le souffre de la poudre, il se surprend même à transpirer sous l’effet des vents secs d’Afrique et d’une expérience artistique inédite.
 
Les mots manquent, bien sûr, pour décrire l’univers et les enfants de ce véritable griot de la glaise.
 
Aussi, à l’occasion de cette nomination à l’Académie des beaux-arts, ai-je préféré publier un album de cette grande exposition, consultable gratuitement sur Internet.
 
Ce modeste, partiel et partial témoignage de la grande exposition de 1999 — est un hommage rendu à ce créateur hors du commun.
 
_______________
 
*John Marcus est écrivain (http://www.facebook.com/johnmarcus.fr)
 
 

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4 réactions à cet article    


  • pigripi pigripi 13 août 2012 20:47

    Je n’avais pas entendu parler d’Ousmane Sow depuis bien longtemps, merci de donner de ses nouvelles.

    J’ai eu la chance de voir son expo sur le Pont des Arts en 1999 et j’avais été très impressionnée par ces sculptures massives, imposantes, immenses mais prêtes à bouger. Des géants magnifiques figés dans leur élan mais pouvant se réveiller d’un instant à l’autre.

    C’est d’ailleurs une association logique quand on connait la Bible où il est écrit dans la Genèse que Dieu façonna Adam et Lilith à partir d’une boule de glaise. On a l’impression qu’Ousmane Sow refait l’expérience du Démiurge. Quoi d’étonnant pour un créateur que de recréer la Création ?

    • easy easy 13 août 2012 21:44

      Même consternation que vous sur le Monument de la renaissance africaine

      Même enthousiasme que vous pour Ousmane Saw

      Je me casse la tête pour essayer de comprendre pourquoi ses oeuvres me touchent (en me laissant une forte impression qu’elles ne peuvent pas plaire à Toulemonde)
      D’abord le moyen.
      J’aime certes voir le burin du tailleur de pierre mais plus encore la trace des doigts sur la glaise

      C’est alors l’eccéité qui fonctionne.
      « Ici, il a mis sa main » fébrile, sa main mentale.

      Je suis sa pensée en suivant les traces de ses mains. Je piste sa pensée manuelle. (ça me fait également cet effet quand je regarde de près les gravures de Rembrandt qui corrige, améliore, estompe, masque) .
      J’ai l’impression qu’il se glaise, qu’il se Pygmalion lui-même (en tous ses états, en toutes ses projections introjections), qu’il se Adam lui-même, qu’il se Eve lui-même, qu’il se démiurge


      Car dans Apollon et Daphné je ne vois pas où est passé le corps de Le Bernin qui s’est pourtant arraché à cette performance. Alors que je perçois déjà mieux le corps de Rodin ainsi que de Camille dans leurs oeuvres. Je vois le corps de Van Gogh. Je ne vois pas le corps de Buren non plus
      Je préfère les objets faits mains, irréguliers, où je vois la fatigue, l’usure, l’épuisement, la patience, l’abnégation




      Et puis la taille qui est supérieure à la normale. Je me sens petit, dominé par ces créatures en pleine action qui m’ignorent. Comme des dieux qui guerroient sans un regard pour les hommes. 
      Positions extraordinaires, très éloignées des poses esthétiques de Michel Ange ou même Rodin

      Et l’ambiance que forme le groupe sur la passerelle des Arts, l’ambiance Ousmane domine le pont.

      Une telle sauvagerie, une telle africanité, là, en plein Paris, 120 ans après les expositions coloniales, le Buffalo Show, les zoos humain, quel flash back !

      Le cheval en centaure sacrifié dans cette capitale qu’il a tellement servie et qui ne veut plus de lui

      L’odeur 
      Une odeur difficile à capter dans ce courant d’air sur tirant d’air mais de très près oui une odeur de terre qui sue le pétrissage des pieds, des corps, des bêtes, des crottes de lions, des sangs écoulés et qui vibre encore des tam-tam. 


      La fragilité
      Donc la confiance.
      Oui Ousmane, tu nous as fait confiance
      Tu es l’artiste qui m’a fait le plus confiance.

      Et puis ça ne peut pas durer éternellement une sculpture aussi fragile.
      Ce n’est donc pas fait pour traverser les siècles, pour s’imposer éternellement,
      Ca admet de devoir s’effacer, de redevenir poussière.

      C’est une oeuvre qui accepte de mourir
      De redevenir terre
      De repasser sous les pieds, les griffes et les sabots
      D’être remodelée, autrement
      Par un autre

      Enrichie

       
      Merci Ousmane ! 


      • Adrien Adrien 14 août 2012 10:46

        OUsmane Sow  smiley J’ai eu la même expérience sur le Pont des Arts. J’en resterai frappé au coeur toute ma vie. Un choc, sidéré par cette rencontre stupéfiante avec l’un des plus grands artistes de tous les temps.

        Merci l’auteur.


        • luluberlu luluberlu 14 août 2012 11:20

          Merci de votre mise à jour de l’actualité de la VRAIE culture, celle issue des grandes traditions, qui ouvrent le regard vers plus d’horizons, O Sow, est le produit des mouleurs à la cire perdue d’ Afrique de l’ouest, enfin reconnue par son biais et son talent, Merci pour eux.

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