• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Pa Kin l’espérantiste

Pa Kin l’espérantiste

Pa Kin, une des plus grandes figures de la littérature chinoise, vient de s’éteindre à Changhaï. Il avait été candidat pour le prix Nobel 2001. Pa Kin (1904-2005) est le nom de plume, parfois diversement orthographié (Pa Jin, Ba Jin, Bakin...), de Li Feigan.

Le pseudonyme littéraire Pa Kin est formé par la première syllabe du nom de Pa Enbo, en hommage à un ami chinois qui s’était suicidé lorsqu’il étudiait au collège de Château-Thierry, et de la dernière syllabe du nom de Kropotkine, en raison de la profonde sympathie qu’il éprouvait pour cet anarchiste et ses idées. Issu d’une famille riche, Pa Kin avait étudié à Paris, où il avait fait la connaissance de Hujucz avec lequel il noua une amitié indéfectible. Hujucz, une des plus grandes figures de l’espéranto en Chine, avait de très nombreuses relations dans le pays et à travers le monde.

Connu pour sa participation à la modernisation de la littérature chinoise, prix de "L’écrivain du peuple" en 2003, Pa Kin aura ainsi traversé un siècle d’histoire tumultueuse du pays le plus peuplé du monde. Paru en 1921, cet extrait de "Comment fonder une société véritablement libre et égalitaire ?" nous éclaire mieux sur sa personne : "Nous ne demandons qu’à vivre dans l’amour avec nos frères des autres nations, mais l’État, qui veut à tout prix faire de nous des patriotes, nous enrôle dans ses armées et nous force à assassiner nos voisins. Et, en Chine, c’est encore pire : ce sont des Chinois qui assassinent d’autres Chinois. Au Hunan, au Shaanxi ou au Sichuan, depuis quelques années, " le sang coule à flots et les cadavres s’entassent ". Quelle horreur ! Voilà donc les bienfaits que nous procure l’État."

Ce qui sera vraisemblablement passé sous silence dans certains médias traditionnels, c’est que la disparition de Pa Kin touche aussi le monde espérantophone. Son horreur de l’injustice et de la guerre aide sans doute à comprendre ses profondes affinités pour l’espéranto. En tant qu’espérantiste, il traduisit en chinois le roman "Printempo en autuno" de l’écrivain espérantiste hongrois Julio Baghy, brillant styliste en espéranto, qui avait lui-même dénoncé les horreurs de la guerre, entre autres dans "Viktimoj" et "Sur sanga tero". "Printempo en autuno" lui inspira, comme par effet de miroir, "Autuno en printempo", un titre dont la traduction ne semble pas plus nécessaire que celui de l’autre. Celui-ci figure dans une trilogie écrite aussi en chinois dont l’un des titres les plus connus au monde est "La famille".

Pa Kin avait commencé l’apprentissage de l’espéranto dans sa jeunesse, en 1921 et avait alors déjà écrit un article intitulé "Caractéristiques de l’espéranto". C’est en 1924, encouragé par l’idéal du Dr Zamenhof, qu’il s’engagea vraiment pour la Langue internationale. Les circonstances de la vie, et aussi la situation politique, l’éloignèrent assez longtemps de l’espéranto. Il fut inquiété durant la "Révolution culturelle", comme bien d’autres espérantistes chinois, tels que le poète Armand Su. Il fut vice-président de la Ligue chinoise d’espéranto dans les années 1980, puis devint membre honoraire du comité de patronage de l’Association universelle d’espéranto (UEA), dont le siège est à Rotterdam.

Pa Kin appartient à une classe d’écrivains chinois de grand renom, qui apportèrent leur soutien à la Langue internationale, tels que Chu-chan Yeh ou Lu Sin qui avait lui-même été marqué, comme Hujucz, par sa rencontre avec l’intrépide écrivain russe aveugle Vassili Erochenko. Erochenko enseigna l’espéranto à l’Université de Pékin, au début des années 1920, sur invitation de son recteur, Tsaï Yuanpeï, faisant suite à une recommandation de Lu Sin. Dans le gouvernement de Sun Yat Sen, en 1912, Tsaï Yuanpeï avait été le premier ministre de l’éducation au monde à décréter l’introduction de l’espéranto dans les écoles normales.

Autre rencontre très symbolique : un astéroïde, découvert par des scientifiques chinois, porte son nom, tout comme deux autres, découverts par un astronome finlandais, à qui ont été donnés les noms "Zamenhof" et "Esperanto".

Chaque nom cité pourrait conduire à longs développements, et à de nombreuses recherches.


Moyenne des avis sur cet article :  4.72/5   (57 votes)




Réagissez à l'article

3 réactions à cet article    


  • Alexandre Santos Alexandre Santos 24 octobre 2005 11:06

    J’ai lu pas mal d’articles dans la presse à propos de Pa Kin, mais je ne connaissais pas ses activités esperantistes.

    Je trouve que la Chine des années 20 est une période fascinante, avec l’apparition de beaucoup « d’électrons libres » comme Lu Sin et autres.

    J’ai l’impression que les périodes de basculement d’institutions offrent un champ de liberté qui encourage une énorme créativité.

    Le fait que les intellectuels des années 20 ayent rayonné autant sur le reste du siécle en Chine suggére la stagnation de la vie culturelle chinoise sous les dictatures du PCC etdu Kuomitang. Il est très difficile d’être nouveau, différent au sein d’un ordre établi.

    Parfois j’ai l’impression que l’Occident souffre des mêmes travers aujourd’hui. L’ordre établi en France semble écrasant : les politiciens sont là depuis 30-40 ans, les intellectuels écoutés idem. C’est étouffant.

    J’espère que les nouveaux médias electroniques permettront d’ouvrir des brèches.

    Désolé de dérailler du sujet, mais je suis frappé de voir qu’en Russie et en Chine les intellectuels du début du XXème siècle restent les plus influents, et que les générations suivantes ayent eu autant de difficultés à apporter du nouveau.


    • Henri Masson 24 octobre 2005 14:26

      AS : J’ai lu pas mal d’articles dans la presse à propos de Pa Kin, mais je ne connaissais pas ses activités esperantistes.

      C’est vrai que cet aspect de sa personne est méconnu et même passé sous silence. Regardez les journaux qui ont donné écho à sa mort, ou les autres médias qui en ont parlé, et vous serez édifié. Même « Le Monde », journal dit « de référence », a écrit que Pa Kin « s’était initié à l’espéranto ». C’est un peu mince quand on sait qu’il a pratiqué la langue, a traduit, s’est « mouillé » pour elle et même plus que ça.

      AS : Je trouve que la Chine des années 20 est une période fascinante, avec l’apparition de beaucoup « d’électrons libres » comme Lu Sin et autres.

      Je trouve parfois le peuple chinois beaucoup plus proche de nous que nous ne le supposons (je ne parle pas des gouvernants et de la classe de riches qui s’installe et qui, là-bas comme ailleurs, pourrit tout).Le dialogue passe bien, en tous cas en espéranto.

      AS : J’ai l’impression que les périodes de basculement d’institutions offrent un champ de liberté qui encourage une énorme créativité.

      Oui, cela s’est produit à certaines époques en France aussi et ailleurs. Faut-il vraiment être dans la boue jusqu’au cou pour commencer à réfléchir et agir ? On serait malheureusement porté à penser que oui.

      AS : Le fait que les intellectuels des années 20 ayent rayonné autant sur le reste du siécle en Chine suggére la stagnation de la vie culturelle chinoise sous les dictatures du PCC et du Kuomitang. Il est très difficile d’être nouveau, différent au sein d’un ordre établi.

      Les totalitarismes sont comme l’hiver des peuples. Ceci n’empêche pas les graines, toujours vivantes, d’attendre sous la terre gelée une température et une luminosité plus favorables pour gonfler et germer, et les bourgeons d’apparaître avant l’explosion du printemps. Regardez maintenant les branches des cerisiers et vous verrez : « Le temps des cerises » est déjà en préparation.

      AS : Parfois j’ai l’impression que l’Occident souffre des mêmes travers aujourd’hui. L’ordre établi en France semble écrasant : les politiciens sont là depuis 30-40 ans, les intellectuels écoutés idem. C’est étouffant.

      Oui, mais même les pires régimes n’ont guère tenu plus longtemps...

      AS : J’espère que les nouveaux médias electroniques permettront d’ouvrir des brèches.

      Espoir partagé ! smiley

      Désolé de dérailler du sujet, mais je suis frappé de voir qu’en Russie et en Chine les intellectuels du début du XXème siècle restent les plus influents, et que les générations suivantes ayent eu autant de difficultés à apporter du nouveau.

      C’est un fait que ça donne à réfléchir...

      hm


      • sainfoin 21 juillet 2007 15:15

        Je voudrais des informations sur Lu Sin et particulièremeent si quelquechose a été traduit en français. Je viens de le rencontrer dans un roman de Fatos Kongoli, auteur albanais que j’apprécie beaucoup. Un texte de Lu Sin est la clé du « Dragon d’ivoire » : « Ne te moque pas des larmes d’un homme. Les larmes d’un homme sont héroïques ». Merci

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès