Patrick Rambaud remet ça sur Sarkozy : mordant, impertinent et sombre
A propos de Deuxième chronique du règne de Nicolas 1er, de Patrick Rambaud (éditions Grasset)
Le premier volume de sa Chronique du règne de Nicolas 1er était amusant. Cette Deuxième chronique est mordante, sombre, pleine d’une exaspération rentrée. Elle s’arc-boute sur sa colère et annonce dérive et naufrage. Le tout avec finesse et humour.
Patrick Rambaud brosse le portrait d’une cour servile à la botte d’un pitoyable dirigeant. En toile de fond, le monde suit son cours, mais notre monarque est aveuglé par sa propre lumière et par celle de Carla, l’autre personnage principal de cette chronique princière.
Patrick Rambaud n’est pas un débutant. Cet ancien d’Actuel, prix Goncourt 1997 pour La Bataille, a été sous d’autres noms l’une des plumes les plus prestigieuses de la place de Paris. En tant que nègre il a en effet écrit quantité d’ouvrages qu’il n’a pas signés... C’est aussi un pasticheur hors pair qui a commis, seul ou avec son complice Michel-Antoine Burnier, de nombreuses contrefaçons littéraires dont les victimes (de Roland Barthes à De Gaulle, de Françoise Sagan à Marguerite Duras), ne s’en sont à l’époque pas toujours remises.
Avant de s’attaquer à Sarkozy, Rambaud se fit les dents sur un autre morceau de choix, plus coriace celui-là : Mitterrand. Mais on peut concevoir que Nicolas Sarkozy soit un personnage romanesque bien plus intéressant. Enfin, dans ses chroniques, Patrick Rambaud ne pastiche pas Nicolas Sarkozy, mais Saint-Simon.
Le nom de Sarkozy n’est jamais écrit. Le modèle est trop tremblé. L’auteur le nomme t-il « Notre Leader », « Notre Si Raffiné Prince », « Notre Tendre Souverain », « Notre Monarque Maximum », « Notre Ombrageux Seigneur »… Toute ressemblance avec qui vous savez n’est ni fortuite ni involontaire.
Le premier volume évoquait la "Grandiose Installation" de Nicolas 1er « sur le trône encore chaud du roi Chirac et les mois qui suivirent". Celui-ci chante "une nouvelle chanson, puisqu’il s’ouvre sur les fissures qu’on aperçut bien vite craqueler la façade de votre bel édifice, et sur le réveil du populaire engourdi par vos tours et vos atours ". Foin de galéjades, les choses sérieuses commencent : « Voici venue pour Votre Omnipotence la saison des orages ».
L’anachronisme de la langue n’a rien d’un artifice. Elle vise à produire un choc salutaire. Une distance. Le personnage principal est petit. Décrit de cette manière il est infime. Rien n’est plus étranger à Nicolas 1er que les choses grandioses : « Notre Céleste Agité ne parlait jamais de sa fonction mais de son boulot ».
Le livre s’ouvre sur la visite ubuesque de Kadhafi à Paris et se termine sur une autre visite, celle de quelques nationalistes corses dans la villa de Christian Clavier. La distance qui sépare ces deux faits est balisée par d’autres visites encore (Nicolas 1er aime visiter) : Inde, Grande Bretagne, Pape..., par de calamiteuses élections municipales (et la glorieuse prise de Neuilly), par le Sms de Cécilia, le "Casse-toi pauv’con" du Salon de l’agriculture, la présidence européenne de notre monarque, la libération d’Ingrid Betancourt, l’affaire du Tibet, celle des Jeux Olympiques chinois et j’en passe, toute actualité que les lecteurs d’Agoravox ont abondamment commenté.
Les personnages secondaires se nomment Kouchner, Rama Yade, Xavier Bertrand, Bigard, Jacques Attali (« Si l’on chuchotait en ville qu’il excellait dans tous les domaines c’est qu’il avait réussi à le faire croire en le serinant depuis tant d’année »), David Martinon... D’autres silhouettes parcourent l’histoire fugacement. Mais un autre personnage partage le premier rôle avec Nicolas 1er, c’est bien sûr Carla dont l’histoire d’amour commence une semaine après la visite de Mouamar Kadhafi... Réduite au rang de courtisane numéro 1, elle est en effet la première de la liste (Dans le Nouvel observateur du 24 janvier 2008 Patrick Rambaud donnait déjà un avant-goût de ce deuxième volume avec sa chronique Le souverain et la comtesse Bruni qui laissait déjà augurer que Carla allait prendre à l’avenir une très grande place dans la vie du prince).
Carla Bruni, omniprésente et ici pas toujours à son avantage : « La Comtesse Bruni était extrêmement longue, la gorge nulle, des cheveux longs et plats, le visage poli comme une pierre, sans la moindre imperfection, presqu’effrayant tant la peau était lissée. Elle avait beaucoup d’esprit, plaisante, complaisante, tout à tous pour charmer, tournée au romanesque tant pour elle que pour autrui […] Grandie près de Turin, près de la Tour Eiffel, près de Monaco, entourée de célébrités dès l’enfance, la comtesse n’avait point l’étonnement facile et on devait plier devant ses envies. Au vrai, elle s’était contentée d’hériter d’un père lui-même héritier d’une multinationale du pneu… ».
Bref, une intrigante devant laquelle Nicolas 1er s’extasie : « Dis donc ! Elle est pétée de thunes ! ». Une intrigante qui pourrait être le diable en personne, c’est du moins l’avis d’un personnage du livre. Nicolas et Carla ne forme pas un couple, mais une association, une entreprise, presque. Auparavant Nicolas 1er faisait dans l’artisanat bling-blig, avec son aguerrie Carla, le voilà entré dans l’industrie du paraître, de l’image (de marque), de la propagande.
La visite du président Libyen ayant été désastreuse en terme d’image, Nicolas 1er fit diversion : « Selon un principe fondateur du nouveau régime, en effet, un événement éclatant devait gommer un événement calamiteux ; il fallait recouvrir au plus tôt la terrible visite du Bédouin par une bluette afin d’éblouir ou d’attendrir le peuple, c’est-à-dire de lui rincer à grands jets la cervelle ». Un vieux trucs, de vieilles ficelles politicardes que Swift décrivait déjà au XVIIIème siècle dans L’Art du mensonge politique.
L’omniprésence de Carla, nous rappelle Patrick Rambaud, est grandement facilitée par "les gazetiers les plus sérieux [qui] se changèrent malgré eux en chroniqueurs mondains". Une presse qui n’a pas le beau rôle dans cette Deuxième chronique.
On se souviendra de la conférence de pesse du 8 janvier et de cette épisode peu glorieux où Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libération, se fait proprement étriller par Nicolas Sarkozy, euh pardon, Nicolas 1er. Patrick Rambaud : « si M. de Joffrin pu répliquer, comme cela se pratiquait très naturellement chez les Anglo-saxons, il aurait pu dire bien des choses, en somme, et sur plusieurs tons ».
Seul prédateur, encore a-t-il été fabriqué de toute pièce pour amollir l’opposition : Olivier Besancenot, dit M. de La Poste. Celui-ci réfutait "l’idée de devenir un professionnel de la politique, ce qu’il était car il apprenait ses discours par coeur, et même ses répliques, , truffant ses exposés de chiffres vérifiés et d’anecdotes édifiantes avec une langue polissonne et drue qui ne manquait pas ses cibles".
Certes, ce deuxième tome n’apprendra rien à tous ceux qui suivent l’actualité de près. Mais il a mieux à faire. C’est un bréviaire utile car il coud entre eux les événements (signifiants ou insignifiants, mémorables ou oubliés) de ce début de quinquennat et leur donne sens et perspective. Il nous raconte enfin une histoire que nous ne croirions guère si nous ne l’avions vécue. Saint miracle de la littérature !
Le premier livre appelait une suite, celui-ci de même. On a en a encore (minimum) pour trois ans. "C’est mon apostolat ", explique Patrick Rambaud. "La France est une monarchie absolue tempérée par des chansons" écrivait Chamfort que Rambaud place en exergue de son livre. Cette chanson-là ne flatte guère les oreilles de Nicolas Sarkozy.
Et pourtant, ce livre n’est pas un pamphlet, mais une satire qui s’inscrit dans une vieille tradition littéraire. Ni bienveillant, ni méchant. Plutôt cruel car réaliste. Cette Deuxième chronique est sans concession, précise et documentée. Patrick Rambaud a trouvé son rythme.
Son habit de chroniqueur lui sied à la perfection. Habile de sa plume, c’est un grand lecteur de la presse et de livres d’histoire. Il ne nous assène jamais ses connaissances, mais les distille au passage, comme pour mieux souligner l’inculture crasse de son sujet.
A lui seul, Rambaud est un vilain petit canard déchaîné ! Quand il a débuté ce projet il évoquait d’ailleurs la figure de son illustre prédécesseur Roger Fressoz qui, dans le Canard enchaîné, à partir du 21 septembre 1960, sous le pseudonyme de André Ribaud et en compagnie du caricaturiste Roland Moisan tient « une chronique, « La Cour » qui « met en scène[…] tout ce qui grouille et grenouille dans le sous-Versailles de l’Elysée », dans lequel le Nouveau régime semble n’avoir rien à envier à l’Ancien tant en ambitions internationales qu’en basses intrigues » (Extrait du catalogue des Archives nationales « Que dit le volatile », les présidents de la Vème, Moisan et l’histoire de France).
Qu’est-ce qui a changé plus de quarante ans après ? Rien. On peut s’en désoler, se révolter, ou en rire. Et on peut constater ceci : aujourd’hui aucune publication, pas même le Canard, ne publie chaque semaine la chronique de Patrick Rambaud…
Dommage, car si la presse va si mal en notre royaume, c’est peut-être parce qu’il lui manque un peu d’impertinence...
Patrick Rambaud signera son livre le24 janvier prochain à la librairie de Paris (Paris 17ème)
Crédit photo : Les chroniques d’Eric
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