« Persépolis » : apologie d’une certaine idéologie ?
Le film « Persépolis » a d’excellentes qualités artistiques, mais se fait également porteur de l’apologie d’une certaine idéologie avec laquelle on peut être en désaccord.
Chère madame Satrapi,
Je suis allée voir votre film pour renouer d’une certaine façon avec une partie de mon passé. Je n’imaginais pas que de si curieuses réflexions au sujet de l’Histoire me viendraient à l’esprit après l’avoir vu. Je pense également au palmarès de Cannes et notamment au film qui a reçu la palme d’or, le film de Cristian Mungiu. Nous appartenons tous les trois à la même génération, mais nous avons été marqués différemment par l’Histoire et pour moi, les deux films représentent un pan de mon existence.
Je n’avais pas lu la BD en préalable, même si j’en avais eu plusieurs fois l’envie et c’est avec une grande curiosité et impatience que je suis allée en voir l’adaptation. J’en fus agréablement surprise et sans être spécialiste en graphisme, j’ai apprécié le savant dosage de noir et blanc et la poésie des images. Le double regard que vous portez sur le monde iranien et occidental, tant de l’intérieur que de l’extérieur ainsi que vos regards croisés avec ceux des autres personnages constituent une véritable originalité. Tout comme d’autres personnes, j’ai été sensible aux effets conjugués de l’humour et de la tension dramatique qui ne font jamais basculer le film dans la noirceur.
Mais toutefois, très rapidement après le début de la séance, je me suis raidie sur mon siège face à l’évocation de la lutte communiste pour l’émancipation du peuple iranien. Une immense gêne et un malaise s’emparèrent de moi à chaque fois que l’on évoquait les combats et le sacrifice des militants communistes surtout qu’à aucun moment ce regard d’admiration que vous portez sur ces luttes n’est relativisé. Le combat des membres de votre famille et de tant d’autres Iraniens qui ont souhaité sincèrement un meilleur avenir pour leur pays est hautement respectable, ce serait injure que de le nier.
Mais pour moi qui ai vécu jusqu’à l’âge de 22 ans dans un pays communiste en Europe de l’Est où trois générations ont souffert des effets pervers d’une idéologie, je mets un bémol à son apologie. Depuis 1991, date de mon arrivée en France, on tente de me persuader que seule la dictature subie à l’Est est coupable des dérives du vrai marxisme, vrai trotskisme, etc. Je ne souhaite à aucun peuple dans ce monde de revivre l’expérience de laboratoire idéologique que nous avons traversée en Europe de l’Est et surtout pas sous le nom de communisme.
Le communisme prône en principe le respect d’une parfaite égalité entre les individus. En principe, mais dans les sociétés communistes, il y en a toujours certains qui sont plus égaux que d’autres, surtout au niveau des profits. Je voudrais juste évoquer un incident drôle qui aurait pu devenir dramatique et qui a un rapport avec l’Iran. En Roumanie, le fait de fréquenter des étudiants étrangers était quasi interdit, les risques pouvaient être importants comme le renvoi de l’université. Je n’en tins jamais compte malgré les avertissements d’une camarade qui avait déjà subi cette mesure, n’ayant pu revenir au sein de l’université qu’après de multiples interventions et pots de vin.
Les jeunes femmes qui prenaient ce risque devenaient en quelque sorte infréquentables et assimilées aux prostituées pour la simple raison que la pénurie était si grande que parfois seuls, les étudiants étrangers du Moyen-Orient, d’Afrique noire, Maghreb ou Grèce étaient en mesure d’alimenter le marché noir et de par cela même, s’offrir les faveurs de jeunes femmes plus ou moins démunies.
C’est bien dans ce contexte où j’étudiai à l’université de Bucarest les langues étrangères que je connus nombre d’étudiants iraniens, bravant les interdits, je leur rendais visite régulièrement jusqu’au jour où la gardienne de la cité universitaire en alerta la police, ce qui me valut deux semaines de traque. Au bout de deux semaines, je cédai et allai voir ce que l’on me voulait. Tout simplement, on me demanda de devenir délateur, sinon, je pouvais faire mes adieux à l’université. Que faire ? L’affaire fut vite réglée, car mes amis iraniens possédaient une arme infaillible, les cartouches de cigarettes. On me laissa tranquille au prix de quelques cartouches. Il fallait comprendre toutefois... ce que l’on voulait.
A l’époque où vous écoutiez Iron Maiden, moi, j’écoutais ACDC sur des 33 tours ou autres trésors du rock.
Tel que le dit un de vos personnages, la lutte doit continuer, oui, nous continuerons à combattre, mais pas au nom du communisme qui fait partie de votre histoire tout comme de la mienne, mais au nom sacré de la liberté d’expression, au nom de la liberté d’écouter Iron Maiden et c’est bien cela que j’enseignerai à mes enfants.
34 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON