Pierre Chabert, le poète assassiné

Bien que né en 1914, il demeurait en prise avec le monde comme il tourne. Se rendant le cœur alerte pendant plusieurs décennies au congrès de Jarnac avec son ami Pierre Boujut, il participa activement à l’essor de la célèbre revue poétique la Tour de Feu. On lui doit (ainsi qu’à Edmond Humeau) la découverte du remarquable Adrian Miatlev (1910-1964), né à Moscou en 1910 qui collaborait à la revue Esprit avant la seconde guerre et qui rejoint l’équipée sauvage en 1947. Cette poésie ascétique et révoltée avait su toucher sa carapace apparemment inflexible.
Professeur de lettres en Avignon, il diffusait sa prose chirurgicale sous des cieux éditoriaux diversifiés tels Le Pont de l’Epée ou Les hommes sans épaules. En passant un séjour à Venise à ses côtés j’avais pu mesurer l’aspect rocailleux et grinçant du personnage, peu enclin aux courbettes et autres conventions sociales, et l’avais perçu comme un individu souverain, désirant préserver ses distances avec l’autre, non par méfiance mais par nécessité vitale d’asseoir sa liberté de poète contemplatif, disséquant par le verbe et l’écriture l’espèce à laquelle il appartenait malgré lui. Désireux de devenir paysan, sa mère s’était opposée à ce désir atavique pour lui imposer le métier d’enseignant qui infiltra toute sa descendance comme une sorte de malédiction fonctionnelle. Enseignant la grammaire, le latin et le grec, il le faisait non comme un sacerdoce mais bien par une sorte d’aliénation pour le coup conventionnelle lui assurant un revenu stable et modeste. Il aspirait à la très grande fuite, aux bois, insectes et rochers et devait inculquer des données caduques à une jeunesse ennuyée. Il s’inventa une dépression pour ne plus subir cet enfermement et se contenta de corriger de chez lui des copies de copies de copies. Sa notoriété poétique lui attira encore des parasitages humains trop humains venant interrompre sa tranquille désertion sociale.
Il publia notamment Un octogénaire plantait (ed Librairie-galerie Racine, 1998), Les Sales Bêtes (Ed. Chambelland, 1968) et d’autres opuscules fort précieux qui maintiendront son sillage grammatical.
Pierre Chabert est-il mort avec une telle apologie aux relents funestes ? Non, pas tout à fait, pas vraiment, mais c’est tout comme. Ses sécrétions organiques comme il pourrait le penser et l’écrire ont opté depuis plus d’une décennie pour une solution finale à son existence pourtant radicalement rétive aux groupes : le placer dans une structure pour « personnes âgées » du côté de Montfavet, le dépossédant de sa maison tout en lui laissant l’espoir (lors des rares visites) de la retrouver, maison qui avait une âme et une mémoire et qui a été rasée pour mieux accroître les bénéfices ainsi tirés de cette vile méthode. Ce poète en est réduit à attendre la mort, sans la moindre distraction hormis celle d’écouter ses voisins de couloirs atteints d’Alzheimer et autres maladies dégénérescentes. Il n’avait besoin que d’une aide à domicile pour les activités basiques liées au quotidien à son entrée (toilette et repas), on en a fait un homme délabré. Il récitait dans le texte des passages interminables de l’antiquité latine, il n’est plus que l ’ombre de lui-même.
L’enseignement du pécule a triomphé de la poésie. Cette fois encore.
Extraits d’Un Octogénaire plantait :
Quelque part quelque chose
Un octogénaire plantait
Plantait quoi
Evidemment la mort
La mort c’est drôle, mais pas aujourd’hui
Je tombe malade de mort
Mais je refuse, je m’obstine à me débattre, ce qui se fait tout seul
On ne choisit pas
On refuse de n’être que cela
Qu’on est
Tu as manqué le but
Tout est raté
Lui disais-je ce jour
De rentrée
Alors elle pleura et le lendemain
Mourut
Oui mais
Le petit feu
Tu aimerais la maison de retraite
Où l’on te lave, te peigne
Te laisse radoter,
Te tutoie
Le dépôt de moribonds avachis
Méchants, qui s’insultent
Se marchent sur les pieds
Pitié pour moi
L’euthanasie
Anastasie !
Obstrué je m’approche de la nuit
Obstrué moi le singe poreux
Mais non stabilisé
Nuit qui a changé, s’est épaissie
De monstres déchirants, de mâchoires
Elle soudain se fait la mort
J’accepte cette nuit
Déhanchée en ses minces touches
Aquatique
Et je la porte dans la prairie botanique
Parmi les joncs, les carex
Je la porte avec la folle
Qui sur moi s’aveugle
Qui ailleurs heureusement persiste
Hybrides jumelées
Folles filles d’herbier
Il ne reste qu’un effort pour croire
Qu’il y a quelque chose à croire
Donc à dire
+++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++
Car l’amour et la mort n’est qu’une même chose
Aurez-vous bientôt fini
Avec votre poésie
Prénatale
Mon crime est tel que je
Ne saurais l’assumer
Sans quelque biais
Rhétorique, intrusion ou transposition
Ma colère n’ose s’avouer dans une exacte vérité
Visage de la mort
Souriant et naïf
Qui emporte tous les vieux
Quand ils ont tenu, mais aussi les jeunes
Cette mort-là est la plus affable, car elle porte un visage, elle parle gentiment, elle vous charme, vous fait bander, c’est juste
Oh la mort au champagne
La mort dans votre lit
Vous bronze, vous fait
Craquer
De vie, évidemment, de vie en expansion, elle vous choie, vous
Caresse, vous colle à la peau, oh la mort avec son bronzage, ses épaisses tranches, lèvres, jointures
Oh les attaches de la pourtant mort qui vous
Colle à la vie
Que pouvez-vous dire, redire à tant de petits soins
Sinon votre avance sordide, votre peau
La mort a bon dos pour me
Oui elle a bon dos, et ce visage, et
Ces fesses mirobolantes, ces lèvres
Cette histoire à dormir
Couché, ces petits soins (petits ?)
La mort prend ce visage et me disculpe
Car entendez-vous, je
Suis innocent
Je le suis et n’en démords
L’étincelante queue, ni n’éprouve le moindre
Remords, comprenez-moi
Je parle de la mort qui me choie avec ses caresses de nourrice
Avec ma reconnaissance furieuse, mon
Irresponsabilité,
Ce que j’ai pu faire en cette vie, trop courte vraiment, ce que
Je n’ai pu faire, assurément
Reste mon crime
Pierre Chabert
Un octogénaire plantait (Librairie-Galerie Racine)
Arambre (Guy Chambelland)
Les Sales bêtes (id et éditions Saibnt-Germain-des-Près)
Les Ontophages ou les ontophages (id)
Morale du somnambule (id et Le Pont de l’épée)
A découvrir, la nouvelle Tour de Feu et si possible se procurer de vieux numéros qui comptent comme par exemple :
Les Feux de la Tour N° 3 totalement consacrés à Pierre Chabert.
Dieu n’est pas avec ceux qui réussissent, La Tour de feu, 1959
Soleil de miel, avec Pierre Boujut, 1966
COLLECTIF - LES MOTS SAUVES - UN LIVRE POUR VIVRE. Préface de PIERRE CHABERT
Jarnac, Revue LA TOUR DE FEU N° 95-96, 1967. In 8, broché, 96 pages. Dessin de couverture de LOUIS MESONNIER. Très bon état. ARTAUD Antonin Textes de BRETON, CHAISSAC, Béalu, Boujut, Rousselot, Soupault, Delteil, Tzara, André Masson, Jean-Louis Barrault...
- ANTONIN ARTAUD LA SANTE DES POETES Edition revue et complétée
Jarnac, Revue LA TOUR DE FEU N° 136, n° consacré à ARTAUD, 1977. In 8, broché, 247 pages. Numéro entièrement consacré à Antonin Artaud. Etat neuf.
4 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON