Quand on est proprio, on est riche ?

Quand on est proprio, on est riche ? Robert Guédiguian, cinéaste de films attachants comme Marius et Jeannette, Le Promeneur du Champ-de-Mars et
Or, stupeur et tremblements chez ces « prolos marseillais », au seuil de leur retraite, ils découvrent – attention spoiler – que ce jeune voleur n’est autre qu’un des leurs. S’ensuit alors un suspense moral qui fait évoluer les victimes du film (Jean-Pierre Darroussin & Ariane Ascaride, Gérard Meylan & Marilyne Canto) d’un réflexe répressif (« J’ai envie de le tuer cet enfoiré. Je veux qu’il prenne un maximum. », dixit Raoul) à une prise de conscience morale doublée d’une réflexion citoyenne - Marie-Claire (Ascaride) : « Mais je m’en fous, qu’il soit puni ou non, moi ce que je veux, c’est comprendre. Je pourrais aller mieux quand je saurais ce qui s’est passé. ».
Les Neiges du Kilimandjaro, titre inspiré par la chanson française créée en 1966 par Pascal Danel, est un film réaliste qui prend alors des allures de fable sociale. Comment en est-on arrivé là ? Comment se fait-il que des ouvriers, ayant bossé toute leur vie pour s’offrir un semblant de confort (des côtelettes, des sardines et des saucisses dans leur jardin) puissent passer désormais, aux yeux d’autres pauvres gens, pour des « bourgeois bien installés » au point d’être volés et frappés ? Dans notre société fragmentée, au sein de laquelle certains politicards, pour mieux régner, se complaisent à orchestrer divisions et oppositions binaires entre les gens, le syndicalisme bat de l’aile, l’individualisme a pris le pas sur le collectif. Et les repères sont de plus en plus brouillés : pour un chômeur, il n’est pas impossible qu’un smicard puisse être privilégié ; et pour le jeune ouvrier licencié du film, Christophe, les Raoul (Meylan) et autres Michel (Darroussin) lui apparaissent bientôt comme des nantis parce qu’ils ont une maison et une retraite. On trouve toujours sur son chemin plus pauvre que soi, c’est ce que nous rappelle Guédiguian avec ses Neiges du Kilimandjaro qui ont failli s’appeler Les Pauvres gens, en hommage au poème éponyme de Victor Hugo.
Michel, le vieux syndicaliste, ça le travaille qu’on puisse le prendre pour un bourgeois. Sur sa terrasse baignée par le soleil méditerranéen, il demande à sa compagne Marie-Claire ce que le couple qu’ils formaient à 20 ans penserait de ce qu’ils sont devenus : sont-ils toujours des idéalistes engagés et courageux ou bien sont-ils devenus, au fil du temps, des bourgeois qu’un certain contentement de soi a fini par endormir, voire anesthésier ? Lui qui avait fini par se prendre pour un héros voit sa bonne conscience « gauchiste » en prendre un coup. Car son agresseur est loin d’être un abruti. Lors d’une confrontation entre Michel et Christophe, ce dernier n’est pas à court d’idées pour lancer des propositions factuelles qui auraient pu éviter les licenciements en série. Lorsque le jeune s’insurge contre la méthode des syndiqués visant à sauver l’entreprise - un tirage au sort des futurs chômeurs -, il fait figure, aux yeux du vieux représentant syndical, de révélateur, il lui ouvre les yeux, en le poussant dans ses propres retranchements et contradictions. Ce jeune homme violent est certes ingrat (il a la mémoire courte, ignorant tout de ses aînés qui se sont battus pour que des gars comme lui trouvent du boulot et puissent avoir des droits via les avancées des luttes ouvrières de 1936 et 1981), il n’en est pas moins un citoyen animé par une colère saine. En tout cas, il est moins amorphe que les autres jeunes du film – les enfants des « héros » - qui, avec leurs rêves petit-bourgeois (lotissement avec vue sur mer et saucisses et pastis à gogo), font du surplace. Ils ne bougent pas. Comme s’ils avaient complètement renoncé, par paresse, à faire bouger les lignes.
Michel et Marie-Claire, eux, décident de bouger au point d’agacer leurs enfants endormis, justement. Marie-Claire choisit de prendre soin des deux frangins du jeune voleur emprisonné, complètement livrés à eux-mêmes. Et Michel lui emboîte bientôt le pas en proposant à sa femme d’héberger chez eux ces deux gamins en perdition. Séparément, le mari et la femme ont eu la même idée généreuse. Séquence émotion, le cinéaste, narrateur expérimenté sachant ménager les rebondissements de son intrigue, nous attrape dans ses filets de conteur affable. A l’UGC Odéon (Paris), nous étions plus d’un spectateur à verser une larme devant cette scène poignante d’un couple qui décide d’aller outre son traumatisme (le braquage brutal) afin de venir en aide à de jeunes démunis. C’est ici, via cette fin mettant en avant l’entraide communautaire, que Guédiguian se réfère directement aux Pauvres gens d’Hugo : ils n’ont presque rien mais sont prêts à le partager parce que c’est le cœur qui les guide. Dans le poème de l’écrivain humaniste, un pêcheur annonce à sa femme sa décision d’adopter les deux enfants de la voisine, qui vient de mourir : « Nous avions cinq enfants, cela va faire sept. Moi, je boirai de l’eau, je ferai double tâche. C’est dit. Va les chercher. Mais qu’as-tu ? Ca te fâche ? – Tiens, dit-elle, en ouvrant les rideaux, les voilà ! ». Au passage, le fabuliste Guédiguian nous rappelle, avec ses « saint Vincent de Paul de l’Estaque », la vraie noblesse du cœur et les vertus citoyennes salvatrices que sont le vivre ensemble, l’engagement, la vigilance politique, la solidarité, la fraternité, la bonté et l’amour avec un grand « A ».
Bien sûr, du côté des cyniques, on pourra rire de tout ça et trouver que la barque des bonnes intentions est bien chargée ; ainsi une lectrice de Télérama écrivait ceci en page 8 du n°3229 : « Personne pour dire qu’il est lent, lourd et tarte, ce film niais de Guédiguian. Ca joue mal, ça sonne faux, les dialogues sont ennuyeux, la musique sirupeuse. Ah !
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