Quel avenir pour la restauration traditionnelle : renouveau ou déclin ?
Depuis un quart de siècle, les enseignes de restauration allogènes, voire exotiques, se sont multipliées dans nos villes. Le phénomène est né dans les quartiers touristiques ou à forte concentration immigrée, avant de s’étendre progressivement à l’ensemble du tissu urbain. D’où cette question : la restauration traditionnelle française a-t-elle perdu la bataille ?

Manifestement non, du moins pas encore. Mais, pour étalée qu’elle ait été dans le temps, l’invasion n’en a pas moins été spectaculaire et n’est, à l’évidence, pas terminée : rois du tajine, pizzaïolos et autres spécialistes de la cuisine tandoori continuent à s’implanter sur le territoire, et cela jusque dans nos bourgs où il n’est désormais pas rare de découvrir des enseignes chinoises, marocaines ou libanaises.
Mais c’est évidemment dans les villes que le phénomène s’est développé de la manière la plus spectaculaire, de Lille à Marseille ou de Brest à Grenoble, en passant par Paris et, ô surprise, par Lyon, capitale mondiale du tablier de sapeur, où le phénomène tend à pousser le bouchon un peu loin. Pour en avoir le cœur net, j’ai réalisé un état des lieux dans ma ville de Rennes en recensant tous les établissements de centre-ville ─ il y en a très peu dans les quartiers excentrés ─ ne relevant ni de la restauration rapide (fast-food, sandwicheries, kebab) ni du bistrot casse-croûte ou du bar à vins. J’ai ainsi recensé… 141 restaurants et brasseries.
Du coquemoche de fesnouil enfarçi au menu !
Parmi eux : 34 crêperies. Certes, nous sommes en Bretagne, mais force est de reconnaître que ce type de restauration bon marché et familial gagne chaque année plus de terrain, et cela sur tout le territoire national, y compris dans les stations de sports d’hiver ainsi que dans des régions très réputées en matière de patrimoine gastronomique comme l’Auvergne ou la Bourgogne, où l’art et la manière d’utiliser le billig (plaque de cuisson) sont désormais parfaitement maîtrisés. Une Auvergne où la galette de sarrasin, localement appelée bourriol, existait pourtant dans les fermes de l’ouest cantalien bien avant cette invasion de la breizh krampouezenn (galette bretonne). Le bourriol est toujours présent, mais sa notoriété ne dépasse guère les limites du canton de la superbe Salers.
Les crêperies mises à part, c’est la restauration traditionnelle (prise au sens large) qui vient en tête de l’offre rennaise avec ses 39 établissements. Parmi les plus typés, on notera : 1 étoilé Michelin (La Coquerie du talentueux chef Marc Tizon, un peu cher pour ma bourse), 3 restaurants de la mer, 3 savoyards, 2 alsaciens, 1 du sud-ouest et 1 médiéval dont je n’ai pas encore eu le courage de tester le coquemoche de fesnouil enfarçi !
Une offre traditionnelle par conséquent solide mais fortement concurrencée par une impressionnante légion étrangère faite de cuisiniers ayant franchi montagnes et océans pour venir flatter nos papilles gustatives de leurs saveurs exotiques. Rennes compte en effet… 68 établissements où sont servies des spécialités allogènes qui puisent leurs racines dans la tradition gastronomique de quatre continents. Seule l’Océanie est absente des tables rennaises, par conséquent privées de filets de kangourou aux figues ou de banana bread (cake à la banane).
Une cuisine allogène d’un exotisme tempéré dans les inévitables pizzérias ou restaurants italiens qui, avec 16 enseignes, se taillent la part du lion de l’offre d’origine étrangère, Rennes ne se démarquant pas en l’occurrence des autres métropoles régionales où pizza reine et spaghettis bolognaise sont omniprésents, jusque dans la très bourgeoise Bordeaux, infidèle à ses entrecôtes marchand de vin ou à ses lamproies au sauternes.
De quoi s’émoustiller la gargamelle !
Et que dire de la cuisine asiatique, présente dans 22 établissements se répartissant ainsi : 8 sino-vietnamiens, 6 indiens, 6 japonais, 1 coréen et 1 tibétain dont la patronne, soit dit pour l’anecdote, est très amie de celle du parisien Norbulinga, elle-même très proche avec son mari du Dalaï-Lama. Le monde est décidément très petit ! Cela dit, on nem ou n’on nem pas, chacun ses goûts, mais j’avoue être très amateur de cuisine asiatique. Il n’y a que les japonais qui, avec leur poisson cru, me donnent encore quelques sushis.
Cela dit, tous les Rennais qui souhaitent voyager le temps d’un repas n’aspirent pas à goûter la cuisine asiatique. Qu’à cela ne tienne, il leur reste tant d’autres possibilités dans les 30 établissements restants. Et quelle variété ! Aux restaurants précités s’ajoutent en effet : 6 maghrébins, 6 libanais, 5 grecs ou turcs, 3 mexicains, 2 africains, 2 antillais, 2 planétaires (world cooking), 1 polonais, 1 roumain, 1 brésilien et 1 géorgien. De quoi là aussi s’émoustiller la gargamelle d’un tiéboudienne de Casamance, d’une feijoada du Nordeste ou d’un stifado du Péloponnèse.
Comme on peut le constater, l’offre est large et des plus variées dans la métropole bretonne. Il est vrai que Rennes est un important pôle universitaire dont près du quart de la population est constitué d’étudiants et de chercheurs. Parmi eux, de nombreux étrangers, ravis de retrouver ici ou là les saveurs de leur pays.
Mais universitaires ou pas, toutes les villes françaises connaissent aujourd’hui le même phénomène, à des degrés plus ou moins important. N’est-ce pas, amis strasbourgeois chez qui l’agneau tikka massala concurrence désormais le poulet au riesling ? Ou camarades clermontois plus familiers dorénavant du bœuf chop-suey que du coq au vin ?
La mondialisation est un fait irréfutable, et elle se vit non seulement dans la généralisation planétaire des enseignes de prêt à porter ou de hi-fi, mais également, et de plus en plus, dans nos assiettes. Personnellement, je n’y vois pas d’inconvénient, étant amateur de cuisine exotique. Je n’en regrette pas moins, de temps à autre, la disparition presque totale des recettes de nos grand-mères. Que sont nos petit salé lentilles, bœuf gros sel ou pot-au-feu devenus ? Il y aurait sur ce plan beaucoup de choses à dire, de même que sur la qualité de la cuisine servie. Mais comme dirait Kipling, ceci est une autre histoire…
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