Rencontres autour du oud (1) : Adel Salameh
Nous débutons ici une série de rencontres autour du oud, le « luth arabe ». La proposition est de s’entretenir avec des oudistes principalement, de différentes traditions et approches musicales, mais aussi avec d’autres personnes liées à l’instrument (fabricants, autres musiciens, etc). Au-delà de l’instrument, le but est d’explorer la richesse et la complexité des musiques arabes et leurs développements contemporains. Notre premier entretien a pour cadre les docks de Marseille, dans lesquels nous rencontrons Adel Salameh à l’occasion du salon Babelmed.

Votre dernier disque s’appelle Rissala. Ce mot a-t-il une signification précise ?
Adel Salameh Oui et c’est très important, ça veut dire « message », message de paix et d’espoir, pour nous les Palestiniens, mais aussi pour le rapprochement des individus, quels qu’ils soient. Ce disque est le résultat d’une collaboration arabe : moi-même au oud, Palestinien vivant en France, ma femme la chanteuse algérienne Naziha Azzouz, le Tunisien Ali Mnejja à l’accordéon, le violoniste marocain Mohamed Zeftari et l’Egyptien Adel Shams El Din au riq.
Vous parlez de message de paix et la presse vous donne souvent le titre d’ambassadeur de la culture arabe. Voilà qui rappelle, par exemple, la démarche de Marcel Khalife ou celle des Frères Joubran...
Chacun a sa propre démarche. Je suis engagé par la cause palestinienne car je suis né là-bas et ma famille y vit toujours. J’essaye d’y aller le plus souvent. Mais il y a une autre dimension, c’est celle de la collaboration entre artistes du monde et c’est vital pour les artistes palestiniens. Vous savez, les frontières sont fermées, mais la musique est là pour atteindre à l’international, pour créer l’ouverture. J’ai eu la chance de voyager au Japon, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis, en Europe. Transmettre des messages est un devoir pour moi, ainsi que de donner une image de la culture palestinienne. L’enjeu, c’est affirmer que le peuple palestinien existe, c’est fondamental. Pour moi, la résistance palestinienne à l’occupation n’est pas différente de la résistance française à l’occupation durant la Seconde Guerre mondiale.
À cette différence que cette occupation dure depuis soixante ans...
En effet. Nous voulons en vivre en paix dans notre pays, avec tout le monde, mais ça ne sera pas possible tant qu’on niera notre identité.
En concert, vous dites ce message uniquement avec la musique ou aussi avec des mots ?
Je laisse la musique parler. Avant tout, nous sommes des artistes engagés. Je ne peux pas oublier que je suis né à Nablouse et que j’ai grandi à Tulkarem. Je ne peux pas oublier ma famille ni la destruction de mon peuple. Je suis toujours face à ce monstre, mais je laisse la musique l’exprimer.
D’où votre carrière internationale, notamment dans les festivals Womad.
En effet, j’ai collaboré avec Peter Gabriel et Real World durant plus de dix ans. J’enregistre actuellement pour le label Enja, aux côtés de musiciens comme Rabih Abou-Khalil, Louis Sclavis, Renaud Garcia-Fons... C’est un excellent label distribué en France par Harmonia Mundi.
Vous dites que vous laissez la musique s’exprimer, mais quand vous jouez très loin de la Palestine, au Japon ou en Nouvelle-Zélande, le public peut-il comprendre le message uniquement à travers la musique ?
Je suis convaincu de cela. J’ai fait une tournée au Japon et en Corée du Sud. Le public était au rendez-vous et tout fonctionnait très bien. Il n’y a pas de frontières dans la musique, c’est un moyen de communication universel.
C’est d’ailleurs la démonstration qu’opère votre disque Arab path to India, non ?
Exactement. Bien que les musiques arabes et indiennes fonctionnent sur des bases différentes, elles se rencontrent sur bien des points, notamment celui de l’improvisation, taqsim et raga. L’Arabe improvise en se déplaçant dans les gammes alors que l’Indien reste à l’intérieur d’une gamme. C’est passionnant de dialoguer à travers tout cela. Quand j’étais à l’école, il y avait une expression qui correspond à « arab path to India », en fait le chemin employé par les Arabes dans le commerce avec les Indes. Au-delà de cette idée, j’ai employé cette expression pour dire une facette de l’Orient, une idée de l’Orient, un concept de mixité. Je ressens cela par exemple en Sicile, ou ici à Marseille.
Vous avez cité le percussionniste Adel Shams El Din. Il participe à votre trio sur scène et à votre dernier disque. On l’entend aussi auprès de Julien Jâlal Eddine Weiss dans l’ensemble Al-Kindî.
Oui, c’est un percussionniste extrêmement précis et d’un grand savoir. Il a appris de façon très traditionnelle et sur ces connaissances, il a construit une œuvre de recherche, avec des jazzmen, avec des musiciens classiques. Nous ne sommes pas différents sur ce point. Moi aussi, je préserve mon héritage et j’expérimente à partir de là. Je pense d’ailleurs que, sans une solide base, on ne pourrait pas élargir son langage musical.
C’est cette idée qui guide votre disque Rissala ?
Celui-là, mais aussi les précédents. Voilà le cœur de notre recherche, la création. Écoutez le chant de Naziha Azzouz, vous entendrez les bases classiques à travers la forme plus expérimentale. Écoutez aussi la place de l’accordéon et les couleurs du violon. Pour moi, c’est naturel, la musique doit évoluer. De son caractère local, ma musique doit évoluer vers une forme qui peut être appréciée partout. Sans devenir facile... J’ai remarqué que le public apprécie beaucoup quand je m’enfonce loin dans une recherche originale, très arabe. Les gens écoutent le taqsim original, la qualité de la musique ancienne savante.
À quelle tradition rattachez-vous votre façon de jouer ?
Je suis élève du grand maître Munir Bashir, j’ai étudié avec lui. Il avait une façon bien personnelle, un vrai langage de oud à lui. Il nourrissait sa musique avec un esprit philosophique. Il a joué beaucoup avec le silence, ce que peu de musiciens sont vraiment capables de faire, ou même de comprendre. Mais le silence est essentiel, il est aussi la musique. J’écoute aussi beaucoup de musique égyptienne et syrienne. J’ai toujours adoré Mohammed Abdel Wahab.
C’était deux grands maâlem... À votre tour, vous enseignez ?
Je donne des ateliers, des workshops. Je suis particulièrement engagé dans l’enseignement aux petits enfants, notamment en Palestine. Je crois que l’avenir se prépare chez les tout jeunes. J’invite d’ailleurs régulièrement des musiciens français à venir avec moi car, en Palestine, il n’y a pas de violoncelle par exemple. C’est donc très important de faire découvrir. Et je dois dire que jamais personne n’a refusé de venir, même pour faire des concerts gratuits. Ça me touche, c’est un grand plaisir. J’essaye aussi de faire fonctionner les choses dans l’autre sens et de faire venir des étudiants palestiniens en France. Nous avons besoin de l’aide de la France, ce n’est pas une formule creuse, c’est parce que les Français sont parmi les rares Européens à vraiment comprendre le problème palestinien. Je ne suis pas sûr, malheureusement, que le président Sarkozy poursuive le travail que faisait M. Chirac...
Quel est votre prochain projet ?
Il y aura un nouveau disque, enregistré probablement à l’automne 2008, qui s’inspirera du spectacle Mille et une nuits que nous avons donné quarante fois au Fort de Bron (Lyon) l’été dernier. Il y avait plus de vingt mille spectateurs et c’était merveilleux. On racontait les Mille et une nuits en musique, en théâtre, en danse, durant quatre heures. Toutes les télévisions sont venues faire des reportages, c’est de la culture arabe très appréciée. Il y a déjà un DVD qui existe.
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