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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Sean me fait un peu de Penn !

Sean me fait un peu de Penn !

J’ai un peu de mal avec le dernier Sean Penn, Into the Wild. J’ai l’impression de voir un Clint Eastwood himself égaré dans un film de Malick. Alors, OK, le grand voyage libertaire de Christopher McCandless/Alex Supertramp, ça marche en tant qu’ode vibrante à la nature sauvage et à l’idéalisme de la jeunesse, en tant que grande odyssée à la Homère (le road movie se fait film-trajet permettant d’accumuler toutes sortes de saynètes disparates en fonction des rencontres des personnages au cours d’un voyage initiatique) et en tant que trip entrepris avec ses tripes.

En outre, on ne peut s’empêcher de se dire qu’au niveau des envolées lyriques, de l’élégie filmique et d’un certain panthéisme visant à ce que l’homme soit en osmose avec le cosmos, eh bien ça vole moins haut que les films-poèmes chamaniques et en pleine nature du magicien malicieux Terrence Malick - le «  Dernier des Mohicans  » à Hollywood Boulevard. Certes, dans le Penn, on visite bel et bien les grands espaces américains fantasmatiques ainsi que leurs zones d’ombres (grandes villes, zones frontières, désert, montagnes, forêts, canyons, champs de blé du Dakota, bords de mer, flots tumultueux du Colorado, communautés hippies et hautes en couleur de Californie, grand Nord avec comme eldorado l’Alaska Superstar, etc.), mais ce film fleuve (2h29), trop souvent, en reste au grand spectacle standard à l’américaine et patine quelque peu dans la «  belle ouvrage  » pour touristes en recherche de sensations fortes, calé en quelque sorte, et pour schématiser, entre les pubs Marlboro et Hollywood chewing-gum et ça, ça m’a gêné. Pour autant, effectivement, le tout est regardé avec l’œil très sensible itou itou du chef-op frenchy Eric Gautier (Ceux qui m’aiment prendront le train, Carnets de voyage...), je le reconnais aisément.

Par ailleurs, le «  dossier à charges  » contre la société consumériste, qui rappelle grandement d’ailleurs la «  politique de civilisation  » actuelle qui a décidément le vent en poupe ici et ailleurs (distinguer le quantitatif du qualitatif, le plus du mieux et l’avoir de l’être, dixit Edgar Morin et consorts), m’a semblé bien balourd et naïf. Certes, le capitalisme frénétique, les secrets de bonnes familles et autres, le qu’en-dira-t-on bourgeois, les mensonges et l’hypocrisie du puritanisme américain sont des choses plutôt à fuir à toute berzingue mais bon, pas besoin du bad boy estampillé Citizen Penn pour nous faire la leçon (de morale). Et, question sexe, l’aspect asexué du jeune solitaire Alex Supertramp - 22,v’la les boules  ! - lorgne un peu trop à mon goût du côté old school pépère façon Chaussée aux Moines, on aurait dit Tintin chez les cow-boys à chemises à carreaux et à santiags - scout toujours, quoi. Un comble tout de même pour quelqu’un né en... 68, non  ?! Que les choses soient claires, je ne suis point du tout pour la Penn capitale, j’aime Sean Penn (grand acteur libre, réa attachant, engagement politique burné via sa croisade anti-Bush pour défendre les minorités) et j’aime aussi son hommage manifeste à Clint Eastwood dans son film (pour Sean, on le sait, «  Clint est le moins décevant des phénomènes culturels qu’il ait jamais rencontrés  !  »*) - au début d’Into the Wild, lorsque Christopher, après l’obtention de son diplôme en 1990, ouvre l’armoire de la clé des champs, les portes de celles-ci s’ouvrent sur une image-icône de Clint dans Pour une poignée de dollars et, à la fin, la vraie photo de Christopher McCandless (1968-1992) insérée dans le film de fiction nous montre un être souriant, quasi sosie du Clint barbu et bohème de chez Leone ou de son Josey Wales Hors-La-Loi. Chapeau bas  ! Je regrette simplement que le terrain de Supertramp Penn soit, sous ses faux airs de chemins de traverse à défricher, un tantinet trop balisé. OK, on a bien appris la leçon (vitale et artistique), on cite au passage Whitman, Thoreau + les grands romans russes et étatsuniens  : amis poètes bonsoir. Mais ça manque de ballade sauvage, de volutes envoûtantes, et ses moissons du ciel, en tant que stases spatio-temporelles (carrément) à l’Ouest ayant l’ambition de nous emmener très loin, ne durent pas assez longtemps.

Sans chercher à faire de la Penn à Sean mais, du fait même qu’il aime bien, visiblement, enfoncer le clou avec ses grosses paluches de bad guy repenti, eh bien la sursignifiance, à la ligne rouge, de deux ou trois choses dans son film-pensum gêne le décollage vers l’ailleurs, vers un monde à part, à savoir le... nouveau monde. En outre, pour être vraiment outlaw quant au (star)système, après un tel film on the road again façon Jack Kerouac & Co, Sean devrait s’arrêter à ce film-là et partir loin des autoroutes formatées de Pathé et de l’industrie du cinéma(rre). Son film n’en aurait que plus de force. A la Rimbaud (qui n’a plus écrit après 17 ans pour partir en Afrique faire notamment le trafiquant d’armes), il pourrait orchestrer chez lui un dérèglement de tous les sens pour fuir illico presto la fabrique d’Hollywood et ses produits préfabriqués. Fuir également Cannes, son strass, son glamour, ses paillettes puis, n’en déplaise aux filles amourachées de ce bôgosse labellisé écorché vif à vie, nous fuir nous, ses spectateurs-aficionados  ! Vanité des vanités, tout est vanité  : tout faire valdinguer afin de refuser de faire œuvre et de refuser en bloc le confort prestigieux et autosatisfaisant d’enchaîner film sur film qui plairont tant à la fameuse ménagère de 50 ans et aux jeunes hommes de bonne famille, style ingénieurs, kiffant le saut à l’élastique comme exutoire par rapport à leurs vies au cordeau trop rangées. Dans cette proposition hors limites que je fais au cow-boy borderline Sean d’en rester là, je ne vous parle point ici d’aquoibonisme à la Gainsbarre mais d’une nécessité intérieure d’artiste à fleur de peau, de sentiments et de sensations pour bazarder sur le champ les diktats sociaux asphyxiants et l’art pour l’art «  phagocyteur  ». Faire urgemment le plein par le vide. Exit Robin Wright Penn et tout le monde, la totale  ! Eh oui, pourquoi Sean ne s’arrêterait-il pas, au niveau filmographique, à Into the Wild pour prendre définitivement la tangente  ? Et si l’indian runner Penn, avec ses semelles de vent et sa couille attitude en bandoulière, prenait définitivement la catchline de l’affiche française d’Into the Wild au pied de la lettre  : «  Au bout du voyage, oubliez tout...  »  ? On peut toujours rêver, ça sert à ça le cinéma  !

* In Clint Eastwood, entretiens avec Michael Henry Wilson, éd. Cahiers du cinéma, 2007, page 164.

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Sean me fait un peu de Penn ! Sean me fait un peu de Penn ! Sean me fait un peu de Penn !

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7 réactions à cet article    


  • jakback jakback 25 janvier 2008 11:16

     Merci pour cette critique qui éclaire d’un oeil nouveau le fim de Sean Penn. Quelques millions $ de plus, pour "superarmoured" .

     

    Les leçons de vie par les gens du show bizz, national et international, sont indéçentes.


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 25 janvier 2008 11:41

      Merci à vous. Je précise que le " ça manque de balade sauvage... ", ce n’était pas ça au départ, mais ça manque de " ballade sauvage " car je me réfère directement au film de Terrence Malick : " La Ballade sauvage ". Je trouve qu’AgoraVox devrait davantage faire confiance à ses auteurs car leurs corrections, parfois, changent la donne d’un texte. Il y a de la balade sauvage dans " Into the Wild ", mais, selon moi, ça manque de... ballade sauvage. Dont acte.

       

      Je l’avoue, j’aimerais bien des réactions de femmes suite à cet article, surtout si elles sont fans de Sean Penn !


    • Juan P Branco brancojuan 25 janvier 2008 14:22

      je pense que vous n’avez pas compris le film ou que vous vous êtes braqués sur une vision idéologique avant la fin qui vous a partiellement aveuglé. En effet celui-ci est très équilibré et fait tout pour éviter les poncifes sur la société de consomation ou l’état de nature : on le voit bien à la fin quand le héros se rend compte de l’erreur qui était la sienne. D’autre part, si au début on peut avoir peur de cet éloge aveugle de l’Etat de nature, bien rapidement de nombreux éléments viennent contre-balancer cette idée pour donner à la fin un film sans morale, sans leçons, sans héros.

       

      L’indépendance du regard de Sean Penn et son absence d’hypocrisie sont ce qui font d’ailleurs de son film un "grand". J’étais, tout comme vous, très méfiant au départ. Mais j’en suis sorti convaincu.


      • Vincent Delaury Vincent Delaury 25 janvier 2008 20:35

        Brancojuan : " je pense que vous n’avez pas compris le film ou que vous vous êtes braqués sur une vision idéologique avant la fin qui vous a partiellement aveuglé. "

        Vous savez, j’ai assez aimé le film, mais je n’ai pas été complètement transporté, on sentait par moments un peu trop les ficelles, voilà tout. En fait, je ne suis pas complètement convaincu par Sean Penn en tant que cinéaste. Quant à l’acteur, malgré parfois son cabotinage XXL, je le trouve hénaurme dans des films comme " L’Impasse ", " Outrages ", " La Ligne rouge " ou " Mystic River ". C’est quelqu’un de généreux, indéniablement.


        • koanzench koanzench 25 janvier 2008 21:42

          Il y a une dizaine années, j’empruntais souvent des livres à la bibliothèque du Club Alpin. Je m’absorbais complètement dans des histoires d’aventures vécues et spécialement celles se déroulant en montagne.
          C’est ainsi que j’ai découvert Jon Krakauer, un écrivain américain mais aussi un alpiniste expérimenté. Il doit sa notoriété à son livre "Tragédie à l’Everest" (Into Thin Air), qui relate les événements tragiques qui se sont produits lors de son ascension de l’Everest en mai 1996. Cette expédition s’est terminé par la mort de dix de ses participants. Jon Krakauer en revint atteint du "syndrome du survivant", cet étonnant sentiment de culpabilité qui frappe les rescapés.

          Appréciant le style d’écriture et la démarche journalistique de l’auteur, j’ai ensuite lu son deuxième livre "Voyage au bout de la solitude " (Into the Wild). Un fait divers, une histoire vraie sur le destin de Christopher McCandless, un jeune homme mort de faim en Alaska. Mais pour Jon Krakauer, le personnage de Chris McAandless avait une résonance bien personnelle. J’en ai un conservé un souvenir fort. On peut trouver une bonne critique du livre sur Lire.fr

          Le film réalisé par Sean Penn - 10 ans après la publication du livre - est assez fidèle au récit de Jon Krakauer.

          On peut n’y voir qu’une perte de temps, un non-sens, un nihilisme sans concessions, un caprice d’enfant gâté bourgeois qui boude le confort qui l’a nourri, pour se doper d’idéaux post-soixante-huitards. Mais "Into the Wild" touche aussi aux deux sources du mal-être contemporain, le matérialisme et l’ennui, avec un style libre et épuré. Alors malgré l’absurdité de la tragédie vécue par son héros, malgré la mélancolie qui imprègne la pellicule tout au long du film, il reste à la fin du voyage, une puissante sensation de calme et de contemplation. Un moment rare offert par un Sean Penn, au sommet de son art.

          J’ai vu le film et je rejoins la critique de evene.fr :
          "Il est des films qui dès le départ ont pour vocation de frapper l’esprit. ‘Into the Wild’ ne manque pas sa cible. Il imprime même durablement la magnificence de ses paysages et ses valeurs authentiques au creux de la mémoire, et dans les recoins du coeur. Difficile d’échapper à l’émotion, elle est dans chaque séquence, dans chaque rencontre - surtout celle de soi-même -, qui ponctuent le nouveau film de Sean Penn. Mais il ne faut pas confondre émotion et sensiblerie. Si certaines étapes du parcours intérieur de Christopher McCandless peuvent paraître caricaturales, elles ne sont finalement que le reflet d’un idéalisme naïf, mais indéniablement authentique et sincère. Emile Hirsh interprète avec tout ce qu’il faut de courage et d’exaltation ce personnage sensible et habité, que sa quête d’absolu mènera à travers tous les Etats-Unis vers les paysages préservés d’Alaska. Au hasard de rencontres, d’amitiés fortes mais forcément passagères, son parcours est une invitation au voyage, à la découverte d’un pays que l’on imagine plus volontiers urbanisé que sauvage. La photo du Français Eric Gautier se charge admirablement de rétablir la vérité et de souligner l’étendue des richesses naturelles de la superpuissance américaine.
          ‘Into the Wild’ se lit plus qu’il ne se voit. Son découpage en chapitres en accentue la linéarité et le prosaïsme. Comment, alors, ne pas sentir s’animer les influences littéraires qui ont guidé un gosse à l’avenir plein de promesses vers le dénuement et la liberté ? Comment ne pas y voir aussi le souvenir de ces vagabonds volontaires devenus légendaires : London, Kerouac, et tant d’autres ? Rarement le cinéma aura rendu plus bel hommage à la littérature des grands espaces. A la fois fable écologique, plaidoyer anti-capitaliste et portrait ému d’un gosse plein de rêves, ‘Into the Wild’ est une bouffée d’oxygène, un souffle d’air pur qui vous soulève et vous emporte loin des carcans de la vie ordinaire. Un très grand film."
           


          • Vincent Delaury Vincent Delaury 25 janvier 2008 21:58

            Je comprends tout à fait - et je respecte bien sûr - l’émotion suscitée par un tel film-trip chez certains et certaines, dont vous, koanzench. Effectivement, la fin du film est tout à fait poignante, voire bouleversante.

            Pour autant, selon moi, mais ce n’est que mon humble avis !, Sean Penn vient chasser sur des terres qui sont " celles " du cinéaste-poète Terrence Malick, ni plus ni moins.


          • Vincent Delaury Vincent Delaury 28 janvier 2008 11:52

            C’est bon ! AgoraVox a remis mon " ballade sauvage ", j’y tenais, tant mieux ! Merci au correcteur.

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