Un extrait de l’Odyssée : une scène familière au bord de l’eau...
On connaît certains épisodes célèbres de l'Odyssée : les sirènes, le cyclope Polyphème, la magicienne Circé, mais on connaît moins certains passages plus intimistes de cette épopée primitive...
Notamment cet extrait du Chant VI où l'on voit la jeune Nausicaa aller laver du linge au bord d'un fleuve... Une scène familière et si précieuse pour comprendre la vie quotidienne à l'époque d'Homère...
La scène se situe en Phéacie, une sorte d'utopie, un pays d'abondance où échoue Ulysse, après une tempête, déchaînée par le dieu Poseidon.
La jeune Nausicaa, fille du roi Alkinoos, pressée par un songe envoyé par Athéna, se rend, avec ses suivantes, au bord d'un fleuve afin de laver son linge...
C'est là, en jouant à la balle après le labeur qu'elle aperçoit Ulysse.
La description du fleuve est élogieuse grâce à l'emploi d' un équivalent de superlatif : "périkaléa, très beau..."
Un monde d'abondance est évoqué : les lavoirs sont intarissables, l'eau est abondante... et le champ lexical de l'eau est particulièrement développé : "le courant, le fleuve, les lavoirs, l'eau..."
Homère décrit, dans cet extrait, un univers paradisiaque, quasi-divin : la scène est pleine de gaieté et d'harmonie, Nausicaa et ses compagnes agissent ensemble, elles sont associées dans l'énoncé.
Homère nous fait voir, aussi, une scène de la vie quotidienne : on apprend comment on lavait le linge, à cette époque lointaine...
Au bord d'un fleuve, ce sont les femmes qui foulent le linge dans des bassins, puis elles l'étendent sur la grève.
Elles en profitent aussi pour se laver elles-mêmes et oindre leur corps d'huile...
On perçoit ici une scène de la vie quotidienne, une succession de gestes simples : on dételle les mules, on leur fait brouter l'herbe, on sort les vêtements, on les lave, avec empressement et ardeur à la tâche.
La Phéacie apparaît comme un pays civilisé, où la propreté est essentielle : celle du linge et celle des corps, un pays d'abondance, également : l'eau coule à flots, l'herbe y est "douce comme le miel".
Après avoir travaillé, les jeunes filles se détendent, prennent un repas, puis jouent à la balle, dans une harmonie parfaite. C'est alors que Nausicaa aperçoit Ulysse qu'elle ramène au palais de son père.
Ainsi, l'épopée n'est pas faite seulement d'épisodes héroïques, mettant en valeur le courage des personnages, l'épopée restitue aussi la vie ordinaire et quotidienne...
C'est ce qui en fait toute la valeur : on aime cette scène empreinte de simplicité et de vie.
On aime la poésie des épithètes homériques : "le fleuve au beau cours, "l'herbe douce comme le miel", "Nausicaa, aux bras blancs"...
Nausicaa est dans l'Odyssée une figure de la séduction : c'est une princesse à la figure d'immortelle et Homère la compare, après cet extrait, à la déesse Artémis.
Le texte :
Αἱ δ᾽ ὅτε δὴ ποταμοῖο ῥόον περικαλλέ᾽ ἵκοντο, 85
ἔνθ᾽ ἦ τοι πλυνοὶ ἦσαν ἐπηετανοί, πολὺ δ᾽ ὕδωρ
καλὸν ὑπεκπρόρεεν μάλα περ ῥυπόωντα καθῆραι,
ἔνθ᾽ αἵ γ᾽ ἡμιόνους μὲν ὑπεκπροέλυσαν ἀπήνης.
Καὶ τὰς μὲν σεῦαν ποταμὸν πάρα δινήεντα
τρώγειν ἄγρωστιν μελιηδέα· ταὶ δ᾽ ἀπ᾽ ἀπήνης 90
εἵματα χερσὶν ἕλοντο καὶ ἐσφόρεον μέλαν ὕδωρ,
στεῖβον δ᾽ ἐν βόθροισι θοῶς ἔριδα προφέρουσαι.
Αὐτὰρ ἐπεὶ πλῦνάν τε κάθηράν τε ῥύπα πάντα,
ἑξείης πέτασαν παρὰ θῖν᾽ ἁλός, ἧχι μάλιστα
λάιγγας ποτὶ χέρσον ἀποπλύνεσκε θάλασσα. 95
Αἱ δὲ λοεσσάμεναι καὶ χρισάμεναι λίπ᾽ ἐλαίῳ
δεῖπνον ἔπειθ᾽ εἵλοντο παρ᾽ ὄχθῃσιν ποταμοῖο,
εἵματα δ᾽ ἠελίοιο μένον τερσήμεναι αὐγῇ.
Αὐτὰρ ἐπεὶ σίτου τάρφθεν δμῳαί τε καὶ αὐτή,
σφαίρῃ ταὶ δ᾽ ἄρ᾽ ἔπαιζον, ἀπὸ κρήδεμνα βαλοῦσαι· 100
Traduction :
"On atteignit le fleuve aux belles eaux courantes, près duquel sont des lavoirs où monte en toute saison une eau claire et abondante, telle qu'il faut pour blanchir même le linge le plus souillé. Les femmes détachèrent les mules de la charrette et les poussèrent le long des rapides du fleuve pour y paître l’herbe douce comme le miel. Puis, à pleins bras, elles enlevèrent le linge de la charrette et le portèrent dans l’eau sombre des bassins, où elles le foulèrent, rivalisant entre elles d’activité. Quand elles l’eurent bien lavé et qu'il ne resta plus aucune tache, elles l’étendirent sur la grève, là où la mer forme une ligne épaisse de galets rejetés. Puis elles se baignèrent, s'oignirent d'huile brillante et prirent leur repas au bord du fleuve, tandis que les vêtements séchaient au grand soleil. Après qu'elles se furent rassasiées, elles ôtèrent leurs voiles pour jouer à la balle."
Le blog :
Une conférence de Luc Ferry sur L'Odyssée :
Documents joints à cet article
23 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON