Vacances en Bretagne ? Brillez au fest-noz : le kan ha diskan
Certains d’entre vous se rendrons certainement en Bretagne durant leurs vacances. Peut-être aurez-vous l’occasion de participer à un fest-noz pour vous dégourdir les jambes. Histoire de pas passer pour un Parisien à la buvette, voici quelques éléments sur ce qui est l’élément fondamental d’un vrai fest-noz, le kan ha diskan.
Vu de l’extérieur, la Bretagne peut sembler un tout assez uniforme, peuplée de bretons têtus, portés sur le chouchen, marins de père en fils quand ils ne sont pas éleveurs de cochons. La réalité est plus complexe, faites de micro-régions possédant leur particularisme. Je vous parlerai d’une forme de chant populaire ayant cours en centre Bretagne, sur un territoire qui s’étend de Pleyben à Mur-de-Bretagne et de Gourin à Guerlesquin. Ici le kan ha diskan est roi dans l’accompagnement de la danse ou plus exactement de trois danses chacune attachée à un terroir : la gavotte montagne, la danse plin et la danse fisel. Ces dénominations sont assez récentes, les anciens ne parlant, dans les trois cas, de dañs-tro (danse en rond) ; ne pratiquant que la danse attachée à leur terroir, ils n’avaient pas à les différencier. D’autres danses, plus exotiques, ont parfois été adoptées par les autochtones, des danses kof-ha-kof (ventre contre ventre car elles se dansent en couple) comme la polka, mais l’accompagnement chanté utilisait toujours la technique, naturelle ici, du kan-ha-diskan.
Tentative de définition
A ce stade, certains doivent se demander ce que j’entends par kan-ha-diskan. On pourrait traduire ce dénominatif approximativement par chant et contrechant, ou par chant et déchant. A première vue (ou ouïe), ça ressemble à du chant à répondre dans une langue étrangère(du breton en l’occurence). En écoutant plus attentivement on notera quelques particularités. Nous avons ici deux chanteurs (plus exceptionnellement trois, les soeurs Goadec ou les frères Morvan par exemple), sans accompagnement instrumental autre que le martèlement des pieds des danseurs, chantant alternativement un ensemble de mots et d’onomatopées sur un air rythmé qui normalement, sauf état d’ébriété avancé des chanteurs (ou teuses), s’accorde parfaitement aux mouvements des danseurs. Avec un peu plus d’attention on remarquera que :
- le chanteur A chante une phrase (qui visiblement à un sens quoique chantée en étranger) ;
- le chanteur B la reprend et ainsi de suite ;
- le chanteur B chantant les derniers pieds du ver à l’unisson avec le chanteur A qui fera de même à son tour.
J’aurais peut-être du faire un petit schéma, mais faites un petit effort.
En fait la chanson est une suite de strophes de deux vers, racontant une histoire. En cliquant ici vous pourrez observer la forme d’un chant. L’air fonctionne aussi comme une paire de phrases musicales qui revient à chaque strophe. La vraie particularité de cette technique de chant est le "tuilage", c’est-à-dire cette étape où les deux chanteurs sont à l’unisson et assurent ainsi la continuité du rythme. C’est ingénieux.
L’organisation de la danse
Maintenant que vous avez saisi les aspects techniques, entrons dans les règles régissant le genre. Ces danses se déroulent en trois parties :
- un premier chant sur un air donné accompagnant la danse proprement dite (gavotte, danse fisel ou plin). On parle ici de tamm kentañ (premier morceau) chanté le plus souvent sur un ton berr (un air court, c’est-à-dire que la phrase musicale comporte un nombre de temps qui colle avec le texte) ;
- un deuxième chant dit tamm kreiz (morceau du milieu), tamm bale (morceau pour marcher), ou bal. Le chant est composé différemment que celui qui accompagne le tamm kentañ (voir ici). Il se décompose en une partie lente qui accompagne la marche des danseurs et une partie rythmée où les danseurs effectuent quelques figures. Il dure moins longtemps que le tamm kentañ ;
- enfin, un troisième chant dit tamm diwezhañ (dernier morceau) construit comme le premier, mais chanté sur un air dit ton doubl (air double) ou ton hir (air long). La deuxième phrase musicale de l’air comporte 16 temps au lieu de 8, les chanteurs sont donc obligés d’utiliser des onomatopées au milieu du ver afin de joindre les deux bouts. Ces onomatopées donnent une liberté plus grande puisqu’elles permettent de s’affranchir du respect du sens des mots. Le chanteur peut en profiter pour montrer sa virtuosité et du coup épater les filles. La chanteuse aussi. Mais les garçons.
Si de nos jours le couple de chanteur se tient généralement sur une scène, il n’en était rien autrefois et les chanteurs chantaient dans la danse. C’est pourquoi l’air est d’abord chanté sans rythme avant de se lancer. Cet appel à la danse permet aux deux chanteurs d’accorder leurs voix, de se mettre d’accord sur l’air (les paroles pouvant généralement s’associer à n’importe quel air) et de former la ronde. Quand celle-ci sera constituée, ils rythmeront le chant. Les chanteurs en profitent souvent pour faire étalage de leurs capacités vocales (avant l’apparition du micro la principale qualité était de chanter fort, kanañ uhel).
Le chant a capella et seul à tour de rôle permet une grande liberté d’expression au chanteur, qu’il utilisera pour calmer ou énerver les danseurs. Les chanteurs les plus reconnus étant ceux qui savent contrôler les émotions des danseurs. Les chanteurs ont le plus souvent un compère (une commère pour les chanteuses) attitré. Il leur arrive néanmoins de chanter avec d’autres au gré des rencontres. Dans ce cas, le chant prend parfois l’aspect d’une lutte, l’un montrant sa grande mémoire en ayant soin de chanter l’intégralité de la chanson (certaines chansons s’étalent sur plus de 50 strophes), l’autre essayant de l’épuiser en virtuosité vocale. Ceux qui ont assisté à ce genre de joutes en reparlent souvent avec émotion. Certains changent parfois les paroles de la chanson, faisant un jeu de mot souvent grivois et mettant ainsi les rieurs de son côté (et perturbant son compère).
Quelques noms pour faire le malin
Evoquons ici la mémoire de grands chanteurs restés dans les mémoires. La grande Katrin Gwern, de Plouyé, figure rigolarde qui chantait encore la gavotte dans les années 50-60, à plus de 80 ans, avec parfois un peu trop "de vin dans son nez" (gwin ba’n he fri). Le style est "roots", presque punk dans l’âme (si si je vous jure). Il y a aussi Albert Bolloré, chanteur de plin de Sainte-Tréphine, réputé pour son organe vocal et l’autre aussi. L’immense Manu Kerjean, de Bonen, dont le talent a définitivement attaché son nom au style fisel. Je ne pourrais pas dresser une liste exhaustive.
Dans les années 70, des jeunes comme Erik Marchand, Laurent Jouin, Jean-Yves LeRoux ou Yann-Fañch Kemener se sont appropriés le genre. Ils sont allés au contact des anciens et ont su tirer partie des enseignements d’un Manu Kerjean ou d’un Marcel Guilloux. Ces jeunes ont ensuite confronté leur musique à d’autres (jazz, musique rom de Roumanie...) avec succès.
Aujourd’hui, d’autres jeunes chanteurs les ont rejoint comme Noluen Le Buhé, Annie Ebrel, Eric Menneteau, Christophe Le Menn et tant d’autres.
Je finis par une petite liste de liens pour ceux qui voudraient aller plus loin. Et je m’excuse auprès de tous les chanteurs que je n’ai pas pu citer ici.
Dastum, association qui s’occupe du collectage de la mémoire orale.
La gavotte et sa fameuse nuit
Le festival fisel de Rostrenen
Le festival plinn du Danouet
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