Vers une nouvelle lecture de Le Corbusier à Ronchamp
La chapelle de Ronchamp de Le Corbusier n’est pas candidate au patrimoine mondial de l’Unesco ! Cette immense oeuvre d’art est passée derrière un ouvrage militaire ! La profondeur de sa poésie a-t-elle été vue ? Nous prenons aujourd’hui notre meilleur tank pour la défendre en dévoilant pour la première fois ceci :
Le Corbusier s’oublie
Dissociation entre théorie et architecture.
Etudes sur la chapelle Notre-Dame du Haut à Ronchamp
Un article sur l’architecte Le Corbusier publié dans la revue d’architecture en ligne CYBERARCHI.com.
Cinquante ans après l’inauguration de la chapelle Notre-Dame du Haut à Ronchamp et à l’occasion de sa demande d’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco, posons que ce projet assez mystérieux et plutôt atypique de l’architecte recèle une stratégie non dévoilée par lui et qu’il nous faut retrouver.
Postulons également qu’il a sciemment voulu « oublier » ses propres théories : le modulor, la géométrie de l’architecture grecque et son nombre d’or, pour parler de tout autre chose. Pour parler cette fois par métaphore. C’est-à-dire l’architecture pensée non plus comme plastique, mais comme images, et, qui plus est, images issues du texte. Le Corbusier a-t-il voulu ici s’opposer à lui-même, à ses propos de toujours ? Le Corbusier s’est-il « oublié » ?
Au sujet de son œuvre, l’architecte nous montre une carapace de crabe à l’origine de son idée de la célèbre coque en béton,"une coque de crabe ramassée à Long Island près de New York en 1946 et posée sur la table à dessin."
Objet assez similaire à la toiture du projet en effet mais ce squelette ne nous apporte rien. Quel est le rapport entre un crabe et une église ? Ce chemin est à notre avis une impasse, un piège posé par l’architecte lui-même.
Il s’exprime aussi sur le paysage et de sa relation avec la chapelle mais ce texte-là aussi a l’air d’avoir été monté « après coup » pour la communication du projet.
Enfin, il parle aussi d’« acoustique visuelle » et nous préférons ruminer de ce côté-là. Des premières esquisses de plan montrent en effet un vague rapport du plan de la chapelle avec la coupe d’une oreille.
Si le plan est la coupe d’une oreille, la coque est donc l’oreille externe elle-même (le pavillon) tournée vers le ciel et l’ensemble de la chapelle est donc construit comme une antenne parabole.
Une parabole mais pour écouter quoi ? le ciel ? Dieu plutôt, puisque c’est une église. Le Corbusier a donc pu imaginer cette image amusante et parfaitement solide du point de vue sémantique : une foule de fidèles se presse dans la chapelle en forme d’immense oreille pour amplifier et recevoir la voix de Dieu. Image belle et puissante, et parfaitement neuve.
Poursuivons notre recherche : Sur la façade principale, un détail nous intrigue : la coque s’effile en pointe avec une mystérieuse pliure indigne d’un puriste tel que l’était le maître.
Ce surprenant soulèvement de la pointe est-il un effet plastique à seul but esthétique, en un mot décoratif ?
Difficile de le dire, en absence de réponse à cette énigme, poursuivons notre promenade autour de l’édifice.
La coque sur la deuxième façade évoque un bateau et son étrave, ce qui est logique, du point de vue du sens, puisque la communauté de l’Eglise s’est toujours voulue un navire conduit par le Christ. La métaphore est ici absolument rebattue dans son fond, mais rigoureusement innovante dans son traitement plastique, dans sa forme architecturale.
Sur la dernière façade (ouest), les « coupoles » émergeant de la coque évoquent suffisamment les 3 grands personnages de la Trinité pour que nous n’ayons besoin d’insister.
Etendant leurs bras et protégeant ainsi de leurs ailes les fidèles, ils peuvent être l’image du verset "à l’ombre de tes ailes Seigneur, je n’ai plus peur de la nuit " (Nous citons de mémoire. Merci de rétablir la phrase exacte).
Sur cette façade, un détail nous attire : la gargouille.
Elle évoque avec insistance quelque chose, ou plutôt plusieurs images connues : entre autres, un naseau, un long nez, un papier plié, mais aussi une lettre de l’alphabet. Une sorte de w ou bien plus certainement un omega : un verset ultraconnu nous vient alors immédiatement à l’esprit : "Je suis l’alpha et l’omega "
Pourquoi omega ?
Si Le Corbusier a bien écrit ici un omega sur la dernière façade, il doit donc y avoir alpha sur la première. Notre jeu de piste serait donc corroboré, prouvé par ce détail. Revenons à la façade principale de l’entrée.
Sur cette façade, aucun alpha visible. Toute cette « promenade mentale », cette vision d’images n’est-elle alors qu’élucubration intellectuelle ? L’architecte a-t-il bien voulu raconter toutes ces images tirées du texte ou n’est-ce que phantasme de notre part ?
Abandonnant l’image visuelle, nous nous tournons alors vers les profondeurs du texte. Nous apprenons, d’après Marc-Alain Ouaknin , in Mystère de l’alphabet, éditions Assouline, que la lettre alpha vient de l’égyptien aleph « le taureau ».
La coque de l’entrée est donc une corne de taureau. La cassure n’est donc nullement un effet plastique, créé arbitrairement pour sa beauté, mais une forme indispensable au sens, au propos.
Cette corne donne à la chapelle, pourtant petite, cet effet de puissance musculeuse presque préhistorique, remarquée par les commentateurs, mais qui n’en ont pas compris la cause.
Pour terminer cette analyse qui n’aborde pas les détails mais que chacun pourra poursuivre facilement lui-même, il nous reste à remarquer que la lettre omega signifie, toujours chez Marc-Alain Ouaknin, le « grand O ». « Le O est l’initiale du mot hébraïque ayin. Le ayin c’est la « source », le point de passage de l’eau souterraine à l’eau qui coule à la lumière du jour ( p.7) ». Cette lettre se trouve ainsi bien placée à Ronchamp comme gargouille réceptrice et dispensatrice de l’eau du ciel.
Toutes ces images rigoureusement suivies ne peuvent être l’effet du hasard. Elle ont été magnifiquement agencées par l’architecte et c’est pourquoi la chapelle de Ronchamp n’est donc nullement moderne, au sens de Le Corbusier lui-même, c’est-à dire faite de volumes sous la lumière, mais éminemment symboliste, ou, si l’on veut, presque égyptienne.
Ainsi les termes « d’espace indicible », propos si joliment trouvés par l’architecte et repris ensuite jusqu’à plus soif par tant d’architectes du monde entier, ne coïncident peut-être pas tant que cela, à la lumière de cette analyse, avec l’édifice construit.
Le plus inquiétant dans notre démonstration est que, ni à la chapelle de Ronchamp, ni à l’église de Firminy, Le Corbusier n’a jamais parlé de toute ces images. Tout au plus les a-t-il seulement esquissées, quand il mentionne "l’acoustique visuelle" de Ronchamp ou la "constellation" de Firminy. Même dans son propre livre consacré à la chapelle de Ronchamp, il n’en dit pas un mot ! Nous serions-nous trompés ?
Non, car nous avons un témoignage et un seul à notre connaissance, celui de son ami Jean-Jacques Duval qui a relevé sans la comprendre cette phrase de Le Corbusier sur Ronchamp : "Je m’attends un de ces jours à une frottée du Vatican, car il y a là-dessus une remontée dans le temps (c’est nous qui soulignons) vers l’homme et vers le divin, qui a permis de prononcer une parole architecturale."
À la lumière de nos explications, cette phrase mystérieuse ne l’est plus : Cette "remontée dans le temps" n’est-elle pas ces références égyptiennes qui nous conduisent, bien avant le catholicisme, à cette religion païenne, polythéiste et merveilleuse de l’Egypte ancienne ? Hélas, la "frottée du Vatican" n’est jamais venue. Personne du vivant de Le Corbusier, et pas même l’Église, n’a déchiffré ces signes et l’architecte est mort seul, vraiment seul. Comme on voudrait pouvoir le rencontrer maintenant pour lui en parler ! Comme le génie dans sa solitude est à plaindre vraiment ! Et nous avec lui.
Sans doute manque-t-il beaucoup de choses à notre trop courte étude, qu’il faudrait approfondir sur place en retournant soi-même voir la chapelle. Le Corbusier nous y invite d’ailleurs puisqu’il ajoute encore à Ronchamp devant le grand autel de pierre autour duquel ont été creusés plusieurs étages de niches destinées à recevoir des objets du culte :
"C’est incroyable ce que cela se rapproche des rites païens, ces pierres consacrées, ces reliques, ces objets que l’on adore. C’est de la substance humaine."
Nous devons nous débrouiller par nous-mêmes. Il serait intéressant d’étudier également sa peinture pour voir s’il y recherchait les mêmes effets. Cela permettrait de la réhabiliter. Pourquoi Le Corbusier n’a-t-il jamais parlé du sens profond de son oeuvre ? Voilà ce qu’il n’est pas facile de comprendre. Mais enfin un magicien dévoile-t-il ses trucs ? Peut-être n’aurions-nous pas dû nous-mêmes en parler, mais il nous a semblé qu’en vous dévoilant ces trésors, nous retardions quelque temps leur inéluctable disparition.
Construire à la fois la Cité radieuse de Marseille et ensuite la chapelle de Ronchamp est donc bien la marque du génie qui peut à la fois créer des bâtiments d’une époque, l’époque moderne, et ensuite en réaliser d’autres d’une pensée toute différente, imprévisible, comme la vie.
Cette étude montre maintenant clairement l’erreur des architectes qui pensent "poursuivre Le Corbusier" en multipliant les fenêtres en bandeau, les pilotis, les matériaux bruts ou les effets plastiques. Ils n’ont rien compris au fond dont nous venons de parler, et ne nous donnent en réalité qu’une pâle copie qui ne nous fait que regretter plus encore la disparition du maître. Ils ont tout repris de lui mais n’ont fait que l’étudier, quand il fallait le ressentir. Dans leur travail, il n’y a que de l’observation et non de l’impression, il n’y a donc rien. Comme après avoir écouté une interprétation nouvelle d’une chanson de Jacques Brel ou d’Edith Piaf, nous n’avons, en regardant leur travail, qu’une envie folle de revoir l’original, l’oeuvre de Le Corbusier.
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