« Zodiac », un film 100 % « American Way of life » ?
Coucou, ce n’est pas le Zodiac qui vous écrit ici, non, c’est simplement... moi (!) pour vous parler du film éponyme signé David Fincher, sur un tueur fou qui, entre 1969 et 1978, dans la région de San Francisco, affiche au compteur une trentaine de cadavres sans que la police ne l’identifie. On peut se réjouir qu’un tel cinéaste américain hollywoodien qui, dans le passé, n’a pas ménagé ses gimmicks visuels néo-hitchcockiens, ses fioritures maniéristes et autres tics de mise en scène putassière à souhait - je pense au glauquissime, crépusculaire et suintant Seven ou encore au film-puzzle-concept-video game Fight Club - puisse de la sorte metttre la pédale douce concernant sa virtuosité tape-à-l’oeil de filmeur hors pair, "s’assagir" pour nous livrer, à peine clés en main, un film d’envergure, bien calibré au niveau dramaturgique, construit moins sur les actions d’un serial killer tout-puissant voulant égaler l’Antéchrist dans le génie du Mal ( façon Hannibal Lecter du Silence des Agneaux ou Kevin Spacey dans Seven justement) que sur un long travail d’enquête qui, plus le film avance, plus celle-ci fait, en apparence, courir le film à sa propre perte en quelque sorte, et c’est là, dans cette béance narrative sans fin, confinant à l’échec, que Zodiac devient intéressant : il agit sur un mode déceptif, en creux, et ce n’est pas tellement en osmose, comme on le sait, avec la mentalité américaine qui cherche partout l’efficacité des winners bankable et autres performers. Ce film est déceptif comme il existe un certain art contemporain déceptif, je pense par exemple à l’aspect " bande mou " des scultures en feutre d’un Robert Morris, artiste de l’art minimal américain.
Regardons-y de plus près : Zodiac prend à contre-pied l’apologie de la réussite US (on admire notamment l’Amérique pour sa puissance, sa vitesse réactive et sa richesse) aussi bien dans le crime (parfait ?) que dans le dénouement à tout prix de l’intrigue par les enquêteurs - ici, plutôt à l’Ouest, voire carrément Billie Gin ! Là, on est dans un parcours nébuleux, limite ennuyeux (on est à la lisière), tant pour les spectateurs que nous sommes (2 h 36, le film-enquête, diantre, c’est long !) que pour le Zodiac et pour les enquêteurs qui le pistent - le journaliste dandy alcoolo, finissant dans une "cabane" délabrée (Robert Downey Jr.), le flic énergique mais buté (Mark Ruffalo) et le dessinateur adulescent du San Francisco Chronicle croqué par le fadasse, c’est son personnage de caricaturiste un peu boy-scout, Jake Gyllenhaal. Et le Zodiaque lui-même, bien qu’il soit l’auteur de quelques crimes horribles qui font d’autant plus froid dans le dos qu’ils sont montrés du point de vue des victimes (sécheresse terrifiante du filmage et horreur froide représentée cliniquement, comme en retrait), n’est pas si loin, lui aussi, de la figure archétypale du loser. On s’attendrait à un criminel intello, élevant le crime quasi au rang d’un art (c’est la loi du genre "film de serial killer"), voire cinéphile (référence marquée au film Les Chasses du Comte Zaroff d’Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel, 1932 - cf. la phrase " Le gibier le plus dangereux pour l’homme est... l’homme "), mais non, son empire des signes (ses fameux cryptogrammes sibyllins livrés à la presse tombant dans le panneau d’une énigme à résoudre) tourne à vide, sans finalité précise, si ce n’est de faire parler de soi en menaçant de faire exploser des bus scolaires (comble de l’horreur, s’attaquer à la sacro-sainte famille américaine, symbolisant le bonheur XXL). Bref, il lance un rébus de pacotille, un fil rouge qui (se) défile sans cesse, il ouvre une boîte de Pandore en toc, c’est un assemblage composite d’un bricoleur sans génie. Fincher, à l’égard de son serial killer se la jouant Arlésienne, pratique le fameux "less is more" des minimalistes américains. Ainsi, on a affaire à un assassin habitant ni... au 31, ni au 13 et autres 666 sataniques, il s’inscrit plutôt aux abonnés absents et c’est dans ce vide même (la présence par l’absence, c’est bien connu - moult stars procédant selon cette rhétorique de l’image, celle de la figure présente-absente) que le film de Fincher fonctionne, dans ses manques, dans ses banalités, dans ses insignifiances mêmes. Et, alors là, le danger serait de passer à côté du film en l’assimilant à ce vide qui sonne creux, mais c’est justement dans ses creux et dans ses transparences assumés que le film se révèle audacieux. Transparence des personnages, malgré un sens puissant de la composition des acteurs américains, transparence (absence ?) du mobile du tueur et transparences aussi dans les images qui font bientôt du film (dans toute sa seconde partie qui se concentre sur l’investigation) un labyrinthe formel impressionnant et sans issue. A cet égard, le "Finis ce que tu as à faire et tourne la page" de la femme (Melanie / l’excitante Chloë Sevigny) du journaliste-obsédé du signifiant insignifiant, et davantage obsédé textuel que sexuel, est révélateur du tunnel sans fond et sans fin dans lequel est plongé son ado attardé, perdu dans un mystère insondable fait de messages codés, de signatures et de croix entourées de cercles. Oui, c’est pour lui et pour nous spectateurs une vraie quadrature du cercle et David Fincher montre parfaitement cela à l’image lorsque par un jeu de transparences et de superpositions, il combine les murs-écrans transparents des salles de rédaction du San Francisco Chronicle avec des carrés emplis de symboles qui viennent s’inscrire sur l’écran, le rabattant à la planéité du plan, de l’image, à sa platitude même (et avec grande intelligence, l’affiche palindrome du film - superbe, l’une des plus belles affiches de cinéma de ces dernières années, soit dit en passant - reprend cette signalétique cryptée affichée comme un blason, comme une signature, comme une marque de fabrique qui ne dit rien d’autre qu’elle-même, art de la surface qui s’affiche comme telle ). Et alors là, au sens propre, dans son film-palimpseste, David Fincher travaille, via l’écriture inscrite sur l’image "réelle", à une mise à plat du suspense par une frontalité de surfaces qui viennent faire écran (à cran) et ce je(u) d’à-plats venant insidieusement épouser le côté platounet du Zodiac fait du film-même une mise en abyme vertigineuse et jouissive de la mise en scène au cinéma comme mise en espace et en trans-position, comme entre-deux du miroir aux alouettes, sur le bord de l’image et du topos - oui le monde désenchanté, ici, se regardant au miroir d’un art (le cinéma) où l’artifice est au service de la vérité, pas si rose et si rationnelle que cela. On a affaire, avec le Fincher, bel et bien à un désenchantement du réel et du monde. A souligner ici qu’un cinéaste d’entertainment hollywoodien connu autrefois pour sa "frénésie" clippesque (Alien 3, Seven, Fight Club et autres Game(s) filmiques...) nous fait, avec son Zodiac, non pas l’éloge progressiste et moderniste, voire futuriste, de la vitesse, de la gagne, de la vitesse gagnante, mais s’intéresse au contraire à la lenteur, à l’ennui, à l’échec, au vide : pas vraiment de gagnant à l’arrivée, on ne gagne pas à tous les coups, hélas pour le moral, peut-être en berne, du spectateur. Et c’est là que (le) Fincher est grand car il prend le risque, à l’ère du village global qu’est le monde d’aujourd’hui et un certain ciné-monde actuel soumis aux vitesses des transports, des transmissions et des moyens webistiques tous azimuts, de filmer ce qui ne fait pas fureur au box-office : la lenteur - on n’a pas dans le film (sorti, donc, en 2007), par exemple, de traçabilité ADN, de fax, de téléphone-portable et autres fichiers informatiques pour profiler au plus vite et intercepter le tueur fada, et pour cause c’est les sixties et les seventies ! - d’où certainement l’une des raisons du bide commercial de Zodiac sur le territoire nord-américain alors qu’en France, pour l’instant, Zodiac s’en sort plutôt bien, il cumule ainsi, quasi... à vive allure, 730 000 entrées pour sa deuxième semaine et devrait se diriger vers le million. Ouf, on respire !
Bien entendu, bien sûr que l’épouvantail du film, ou son croquemitaine - à savoir le serial killer prénommé le Zodiaque - peut être raccordé à toute l’Histoire actuelle des Etats-Unis, reliée au post-11-Septembre 2001, et à la peur de l’Autre (infiltré) et patati et patata, alors OK, c’est hyper cliché, hyper attendu (tous les films récents de Sunset Boulevard ont eu des rapprochements critiques avec le terrorisme, pensons au Village, à Inside Man, l’Homme de l’intérieur, au très stone World Trade Center (et pour cause !), à The Departed ou encore à la parabole de V pour Vendetta ), pour autant, dixit Hitchcock - "il vaut mieux partir d’un cliché que d’y arriver" -, aussi interrogeons le film de David Fincher pour ce qu’il est : un film sur un tueur fou et surtout l’enquête en eaux troubles qui en découle, avec ses méandres psychanalytiques de chaque côté (surtout chez les enquêteurs), interrogeons-le pour sa réflexion sur la société médiatique de l’époque (le fait par exemple que les journaux de cette société du spectacle par excellence que sont les States sont bernés et publient en masse les cryptogrammes ésotériques du Zodiac), pour son hommage évident aux séries TV des années 70 (dont les intrigues feuilletonnesques se déployaient sur plusieurs épisodes, par "capillarité narrative") et à un certain cinéma hollywoodien des années 70 (Les Hommes du président pour son côté film-enquête, Dirty Harry et la grosse référence à Scorpio(n), signe du zodiaque, le tueur en série que combat Harry Callahan et qui a directement été inspiré par le Zodiac, ou encore Bullitt avec le flingue de Steve McQueen porté à l’épaule à la façon des sympatoches Starsky & Hutch aux sirènes hurlantes de notre enfance téléfoutraque). Oui c’est aussi un film revival et cruising des seventies, avec un regard dans le rétro pour du kitsch à volonté (imprégnation des atmosphères de l’époque jusque dans la fibre des costumes ! gilets-tailleurs, noeuds-pap’, cheveux gominés et autres chemisiers à pois) et c’est une subtile revisitation du San Francisco mythique immortalisé par les flics solitaires de Bullitt, de L’Inspecteur Harry ( la gamme chromatique sobre de Zodiac rappelant les films de Don Siegel ) et par la musique jazzy et flottante du grand Lalo Schifrin. Question tévé, accessoirement, on peut aussi penser, non seulement aux téléfilms américains en deux parties déjà évoqués, mais aussi aux faits divers diffusés sur M6 et , après tout, pourquoi pas. Pendant tout le film, j’avais en mémoire les propos glaçants d’un Stéphane Bourgoin, confesseur cathodique français des serial killers internationaux, comme une petite rengaine obsédante, flippant le truc ! Mais le film est moins terrifiant, moins bouleversant que les intrigues télévisuelles tape-à-l’oeil, il vise plus à intriguer, à inquiéter et, au final, à captiver parce que l’absence même du mobile du tueur fou (fameux MacGuffin néo-hitchcockien, à savoir enjeu dépourvu d’importance et de contenu autour duquel dans le cinéma de Hitchcock on se combat, on s’entre-tue, on se poursuit...) transforme ce film-surplace, à l’opposé de la vitesse de la course frénétique qui fait figure de modèle pour la quasi-totalité des films d’action blockbusterisés, en un vide... plein (!), où l’on a du temps pour s’installer, et où on met à peu près ce qu’on veut - le MacGuffin filmique (définition possible d’ailleurs de cet objet-film concept qu’est Zodiac) se révélant aussi bien donuts que madeleine de Proust à déguster lentement, très lentement, très très lentement, au bord de l’ennui - rien ne va plus, aucun gagnant au bout ! - et de l’angoisse insidieuse signée... Zorro ? Euh...non, Zodiac !
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