Des limbes et de la nature des âmes
Les limbes ont été abolis, vendredi 20 avril, officiellement, par le Vatican. Mais qu’en est-il, par ailleurs, de la nature de la conscience et des « âmes » ? Douglas Hostadter, auteur du livre culte « Gödel, Escher Bach, les brins d’une guirlande éternelle », répond dans son dernier ouvrage : « I am a strange loop » (Je suis une boucle étrange)
Le rapport de la commission théologique internationale de l’Eglise estime qu’il existe "des bases sérieuses pour espérer que, lorsqu’ils meurent, les bébés non baptisés sont sauvés" et veut en finir "avec des métaphores qui ne rendent plus adéquat le message d’espérance de la religion chrétienne".
"Vendredi ou les limbes du Pacifique... "Je ne connais pas plus beau titre de roman (Michel Tournier) que celui-là. C’est aussi "Les Limbes" qu’ont failli s’intituler les Fleurs du Mal de Baudelaire. Le mot désigne l’espace, un morceau d’éternité situé en Enfer, et réservé à l’errance infinie des innocents (des enfants en bas âge, surtout) emportés par la mort sans baptême, sans avoir le temps d’être élus ni damnés. Car n’étant pas baptisés ils restent porteurs du fameux "pêché originel".
L’interrogation à propos de "limbus puerorum" date de l’aube du christianisme : si seuls les baptisés sont sauvés et que tous les autres sont damnés, quel est le sort des enfants morts sans baptême ? La question fut tranchée au IVe siècle par Augustin d’Hippone, dit saint Augustin : ces innocents "souillés" par le péché originel, sont accueillis dans cet étage intermédiaire (mais situé en enfer, encore une fois), sans être conscient de la douleur de la privation de la béatitude (précisa plus tard Thomas d’Aquin). Conclusion (d’Augustin) : il faut baptiser le plus vite possible, dès la naissance (ce qui évite aussi que les jeunes âmes grandissantes n’aillent musarder vers d’autres religions). Mais les limbes, la privation de paradis, constitue bien une forme de punition. Albert Camus ne pardonna jamais à l’auteur des "Confessions" d’être à l’origine de cette culpabilité éternelle. Et la question des innocents ainsi maltraités, on s’en doute, revenait régulièrement en discussion dans les travées, à Rome et ailleurs. Finalement ce problème fut donc réglé en 2007. Soit. Reste une autre question : quid des âmes ? En effet, inutile de vous le cacher, je n’ai pas la "chance" d’être croyant. Alors, l’idée d’âme m’est-elle interdite ?
A ce sujet, il faut lire : "I am a strange loop", de Douglas Hofstadter (Basic Books), qui vient de paraître aux Etats-Unis. L’ex-physicien devenu "penseur" en sciences cognitives fut l’auteur, à la fin des années 70, du cultissime "Gödel, Escher Bach, les brins d’une guirlande éternelle". Un livre étonnant, entremêlant création artistique, mathématiques et informatique, génétique autour de la question de conscience et de la vie. La question centrale abordée dans son nouveau livre, si elle reprend l’essence de sa discussion de jeune homme, trente ans plus tôt, est plus troublante. Car plus claire : quelle est l’origine du moi ? De ma propre conscience de monde ? Et quelle est la fonction profonde de cette capacité ?
D.H. montre dans cet épais (et dense) ouvrage que cette émergence de la capacité des êtres pensants à avoir une idée d’eux et des autres est à la base un produit des contraintes et des forces qui s’exercent sur le cerveau et nos constructions du réel. Il y voit le résultat de l’évolution (la nécessité de reconstruire une image du monde que nous appelons la "réalité", afin de pouvoir agir au mieux de nos intérêts, de notre survie). Il y distingue comme conséquence une escalade, une boucle répétitive et ascensionnelle, un peu comme l’image que vous voyez dans deux miroirs se réfléchissant et se multipliant à l’infini. C’est cette illusion profonde, comme dans ce dessin fameux d’Escher où de petits hommes escaladent sans fin un escalier en boucle, et qui "semble" ne jamais redescendre, que nous appelons "conscience" ou "Moi". Il s’agirait du produit de l’ensemble de nos capacités cognitives, embarquées dans une sorte de mouvement ascendant.
D.H. distingue plusieurs niveaux de conscience, entre les espèces animales et même entre individus et les âges de la vie, et montre comment ce sentiment de soi peut être confondu avec ce que notre culture judéo-chrétienne définit par "âme".
D.H. pense ainsi que la conscience est un produit de la "machine" cerveau, mais n’appartient pas à celui-ci. Une fois apparue, elle "plane" au-dessus de la "machine". Comme un organisme vivant ne se résume pas à ses organes, la conscience une fois apparue ne peut se résumer à la biochimie du cerveau.
La principale question qui demeure, à ses yeux, est celle-ci : L’"âme" est-elle indépendante de son support ? En d’autres termes, la conscience de soi meurt-elle quand s’éteint le cerveau, l’amas de neurones qui en fut le support ? D H pense que non. Il estime que l’on survit ne serait-ce que dans l’esprit des autres, sous forme de trace émotionnelle plus ou moins intense, partielle. Mais il n’exclut pas non plus que cette âme-conscience élaborée par un individu, au fil de sa vie, prenne une forme d’existence autonome après la disparition de son "support" biologique.
D.H. ne parle ni d’Enfer ni de Paradis. Il ne cite pas non plus Dante. Il reste prudent, finalement, dans sa vision "dualiste" du cerveau et de la consience.
Le support de ces âmes -là, le limbe de nos consciences reste peut-être à inventer. Les machines ? Des cerveaux immortels pourraient-ils en devenir la matière après notre passage ici-bas ?
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