La pièce rapportée

L’intrus dans la famille
Qui n’a jamais entendu cette expression a sans doute eu le bonheur d’être accueilli à bras ouverts dans sa belle famille. Mais hélas, tel n’est pas le cas de tout le monde et je sais des gens de ma connaissance pour qui l’anathème a pesé durablement et ne cesse, pour certains, de se prolonger en dépit des années. C’est pour eux que j’écris ce billet ; que les autres profitent du bonheur d’être acceptés sans hypocrisie ni réticence.
La pièce rapportée se trouve, le plus souvent, en but à l'inénarrable belle-mère, objet de tous les ressentiments, des acrimonies, des plaintes et des reproches. Bienheureux encore quand tout cela ne s’exprime qu’en regards de travers, petites piques vachardes ou bien oublis fort opportuns. Parfois, la pièce rapportée se trouve taillée en pièces, interdite de séjour ou bien si ignorée qu’elle en devient transparente.
Mais qu’a donc fait cette pauvre pièce pour qu’on lui taille des croupières ? Le pire des crimes pour une mère aimante ou bien un père possessif - car il n’y a pas d'exclusive dans cet odieux ostracisme, homme et femme s’y entendant parfaitement pour jeter l'opprobre sur l’indélicat - réside sans doute par ce qui est vécu comme un vol, un rapt inacceptable. L’affreuse pièce rapportée est venue enlever la prunelle des yeux : le cher petit gars ou la merveilleuse fille qui s’est laissé abuser par ses maudites grimaces.
C’est alors la litanie des reproches et des suspicions. L’argent d’abord, l’argent surtout, dans certains milieux, ne peut être que la motivation de celui ou de celle qui a jeté son dévolu sur l’héritier ou l’héritière potentielle. On n’aime pas monsieur, on compte ! Gare à la pièce rapportée s'il venait à manquer d' argent : ce serait alors la démonstration flagrante de sa vénalité. Dans pareil cas, pas la moindre aumône, pas la plus petite pièce pour le pauvre quémandeur.
L’éloignement ensuite. La pièce rapportée a la fâcheuse tendance de vouloir mettre de la distance entre une belle-famille envahissante et le couple qu'elle veut fonder dans la sérénité. C’est sans doute un mauvais calcul car elle se trouve assaillie d’appels téléphoniques : ces merveilleuses sonneries qui, quand elle décroche, lui renvoient systématiquement le redouté « Allô ! » suivi immanquablement du prénom de ce cher enfant qu’on regrette tant. La pièce rapportée se sent alors invisible, quantité négligeable pour ce correspondant indélicat.
Les valeurs plus encore car la pièce rapportée est toujours coupable d’une influence désastreuse sur le brave petit ou la bonne enfant d’autrefois. Cette greffe qui ne peut prendre se trouve diamétralement à l’opposé de l’échiquier politique. Pire encore, c’est un mécréant ou bien une païenne qui va élever les petits-enfants, mon Dieu quelle horreur, sans le secours de la religion. « Mais qu’est ce qu’on a fait au Bon Dieu pour mériter pareil châtiment ? »
La pièce rapportée fait tâche. C’est encore un sujet d’indigestion. Sa profession n’est pas digne de fierté. Comment avouer à ses fréquentations, aux gens de sa côterie que son enfant se trouve uni à un parasite, un incapable, un fonctionnaire ou bien un individu le plus souvent sans emploi ? Les ambitions sociales se sont fracassées sur cette terrible réalité. Il n’y a rien à espérer de cette pièce qui va contraindre le cher enfant à une vie sans relief, sans confort, sans reconnaissance.
La pièce rapportée a tellement mauvaise influence qu’elle ne peut qu’élever en dépit du bon sens les petits-enfants. Ces gamins ne pourront être que mal éduqués, impolis, désagréables. « Comment faire pour qu’ils échappent à sa détestable éducation ? J’en tremble ma bonne dame ! Le pire de tout c’est qu’elle a refusé d’inscrire mes petits-enfants dans une école privée sous prétexte d’une nécessaire mixité sociale... »
La pièce rapportée n’a aucun espoir de tomber un jour en grâce. Pour elle, les réflexions cinglantes, le traitement méprisant, l’indifférence ou bien l’évitement. Elle doit ronger son frein, faire preuve d’une immense patience quand, pour quelques jours, elle se trouve plongée dans un monde inquiétant et hostile. Elle se fait discrète, garde ses réflexions, mange son chapeau jusqu’à la délivrance du retour dans sa tanière. Mais gare au faux pas ! le rejet de la pièce rapportée surviendra , à la plus petite faute, afin d'extirper le pauvre enfant du piège dans lequel il s’est fourvoyé.
La pièce rapportée n’accédera jamais au statut de membre de la famille. Éternellement il lui faudra traîner ce statut de la honte, porter une croix dont aucun péché n’expliquera vraiment la raison d’être. Tout s’est joué ailleurs, dans une relation passée, en un temps où elle n’était qu’une éventualité, une hypothèse incertaine et le plus souvent inenvisageable. La pièce rapportée paie très cher le prix d’un cordon qui n’a jamais été coupé, et contre ça, il n’est hélas rien à faire !
Justapositionnement vôtre.
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