Le bicorne de Monsieur le Maire
L’évènement, et c’est bien normal, n’a pas été médiatisé au niveau national lorsqu’il s’est produit en 2015. Il a en revanche amusé les populations des Côtes d’Armor à la lecture des gazettes locales. Cette année-là, le maire de Plouha a tenu à officier en tenue du Second Empire, une épée au côté et la tête fièrement coiffée d’un bicorne du plus bel effet. Ce faisant, fait étonnant, Éric Duval a agi en toute légalité…
Qu’un maire porte des cornes du fait de l’infidélité de son épouse ne serait pas pour surprendre, la chose s’étant déjà vue, parfois de manière bien peu discrète. Que la gestion d’une commune donne lieu à des situations de cornecul n’aurait pas non plus de quoi étonner au pays de Clochemerle où l’on se complaît si souvent en escarmouches réglementaires et en querelles picrocholines. Mais que le maire d’une commune de France agisse officiellement au 21e siècle en tenue du Second Empire, autrement dit vêtu d’un habit à queue de pie sur gilet blanc et portant fièrement l’épée au côté ainsi que, sur la tête, un bicorne à plumes d’autruches, voilà qui n’est pas banal.
C’est pourtant ce qui s’est passé à plusieurs reprises en 2015 et 2016 dans le bourg de Plouha*, une commune littorale du Goëlo jusque-là surtout connue pour ses falaises, ses plages, son pittoresque mouillage à pieux de Gwin Zegal et les galettes-saucisses de Paulette. Non content d’avoir étrenné sa belle tenue du Second Empire à environ 3 800 euros** (accessoires compris) à l’occasion du pardon de Notre-Dame d’Auray le 26 juillet, Éric Duval a, cette année-là, célébré quelques mariages – avec l’accord des mariés, ravis d’une photo de célébration atypique – avant d’assister au côté des pompiers à la fête de la Sainte Barbe et à d’autres cérémonies.
Le Maire de Plouha a-t-il commis une faute en s’affichant ainsi publiquement ? Que nenni ! En portant l’écharpe tricolore sur un tel accoutrement, Éric Duval n’a en aucune manière transgressé les règles de représentation de sa fonction élective, ce qui aurait pu lui valoir d’être sévèrement sermonné, voire sanctionné, par le Préfet ! Comment est-ce possible ? Tout simplement parce que le décret impérial du 1er mars 1852 instaurant la tenue officielle des maires de France n’a jamais été abrogé ! Pas même en 2001, en 2002 et en 2012 lorsque des parlementaires ont, en vain, saisi les ministres de l’Intérieur en vue d’une abrogation de ce texte du 19e siècle.
À ce propos, Manuel Valls s’est exprimé en 2012, en arguant du fait que « les normes postérieures abrogent implicitement les normes antérieures ». Selon lui, « le port de l’écharpe tricolore avec glands à franges d’or » imposé aux maires par le Code général des collectivités territoriales (CGCT) lors des cérémonies publiques vaut abrogation du décret de 1852. Un argument en l’occurrence non seulement spécieux mais faux au plan juridique : tout texte qui n’a pas été expressément remplacé ou abrogé dans les formes légales reste de facto en vigueur ! Seule obligation pour le maire : le port de l’écharpe tricolore sur un habit que le CGCT ne décrit pas.
« Aujourd’hui, un maire peut marier ses administrés en tongs et en short », fait remarquer Roger Houzel, maire d’Offin (Pas-de-Calais). Pas le genre de cet élu : dans le sillage d’Éric Duval, lui aussi a adopté la tenue du Second Empire. Ces exemples feront-ils école ? Nul ne le sait. Mais pourquoi pas ? Car, comme le souligne l’ex-maire de Plouha « Ce n’est pas plus excentrique que l’uniforme des académiciens qui date de 1801, ou celui des polytechniciens, retouché en 1830 ! » À cet égard, quid de la tenue d’apparat du président de la République ? Eh bien, aussi étrange que cela puisse paraître, il n’existe sur ce plan aucune obligation, excepté de porter les insignes de la fonction.
Nul doute pourtant qu’Emmanuel 1er rêverait de revêtir l’habit de Napoléon III à défaut de pouvoir proclamer un nouvel empire. Qu’à cela ne tienne, il lui suffirait de signer un décret présidentiel pour se donner les moyens de son ambition vestimentaire.
* Élu en 2014 avec 14 voix d’avance sur Philippe Delsol, Éric Duval a été confronté à une fronde municipale qui a conduit, en octobre 2016, à une nouvelle élection très largement gagnée par le battu de 2014. Nul ne sait si l’habit du maire a joué un rôle dans le résultat !
* Cette tenue, réalisée par la société AntikCostume de Dinard, a été intégralement payée sur les deniers personnels du maire de Plouha.
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