Lièvre à la Royale, un met national
Il étaient légions, au XVIIe siècle, les sans-dents stigmatisés par notre bon président selon la légende du moment. Mais l’appellation ne s’appliquait pas qu’aux gueux, aux traine-misère, aux va-nu-pieds, aux malheureux : le Roy, le Roy lui-même était sans-dents, une grande partie de la cour également, et les archontes ecclésiastiques, cardinaux, archevêques, évêques, Princes du sang, courtisanes, haut-prélats, magistrats, parlements .. tout autant.
Quelle marque insigne de solidarité avec le manant que cette façon de n’avoir point de dents chez les nantis au temps du Grand Roy Louis ! Quel témoignage des sentiments les plus élevés de l’Unité Nationale aujourd’hui singulièrement malmenée !
De nos jours, Sénateurs, Députés, Ministres, Président, grands commis de l’Etat, bien plus payés que leurs homologues du temps des Rois, n’en sont plus là malheureusement , je parle des dents bien évidemment car, pour la bonne chère, ils n’ont pas du tout abandonné les mœurs royales, ils continuent même et avec brio de s’inscrire dans une courbe ascendante de progrès ès-qualités et ès-quantité ..
Nos puissants perpétuent avec assiduité la dégustation, chez Lucas Carton, au Grand Vefour ou au Potin Gourmand, ou chez Lasserre, de cette pure merveille qu’est le plat national dont je m’en va vous livrer la recette dans un moment et dont le nom suffit à faire saliver tout honnête gens : le lièvre au sang, ou lièvre à la royale.
C’est par amour de la Nation sans doute, qu’ils restent ainsi attachés aux plus hautes traditions de la France, qu’ils restent épris de solidarité avec les sans-dents de maintenant aussi bien qu’avec ceux des ci-devant nobles d’antan.
L’origine du plat national
Le Roy ainsi affligé fit donc mander le Grand Queux de France, puis tous ses Maîtres-Queux, ses valets de sommiers, puis ses Marmitons, ses queux-seconds, ses servants, toute la Maison du Roy chargé du service de la Bouche et des nobles tripes .. Le nombre et les hautes compétences des ces magnifiques ouvriers expliquent déjà – mais en partie seulement – l’extraordinaire valeur du plat et sa vocation à représenter la France en tous lieux en tous temps.
Plat royal en raison de sa lignée par commanditaire interposé certes, mais plat national aussi, pour d’autres raisons comme nous l’allons voir ..
La légende raconte que l’essaim de marmitons par le Roy mandé n’eût pas à se ruiner les méninges : depuis les temps les plus reculés, le petit peuple, qui n’avait pas droit de chasse comme le Roy, braconnait dur, ou plutôt se servait en toute bonne foi.
Il collait sec ce bon petit peuple à l'époque, il collait .. pas des affiches comme maintenant pour la démocratie et les partis, non, il posait des collets tout simplement. Si bien que lièvres et capucins se retrouvaient très abondants dans les marmites des paysans.
Vous comprenez ainsi l’origine de ce plat national devenu royal : lièvres, jardins de paysan et baie sauvages en sont les principaux ingrédients.
Le foie gras n’est pas d’une absolue nécessité. Jugez plutôt : « Ce mets nécessite un lièvre avec son foie et son sang, du vin rouge, de l'huile d'olive, des échalotes, un oignon, des gousses d'ail, des tomates, des dés de lard, du cognac, un bouquet garni, ainsi que crème fraîche, sel et poivre ».
Comme nos paysans étaient sans dents, déjà, il apprêtaient savamment le léporidé de façon à pouvoir l’ingérer facilement ..
Le plat devint ensuite, mais bien après, royal, pour satisfaire le même type de nécessité chez notre Roy le mieux édenté.
La première caractéristique du plat national, ou royal, comme vous voudrez, qui traversera les âges, inaltérée, pour venir jusqu’à nous, c’est d’être parfaitement nettoyé de la présence du moindre os. C’est ensuite que la chair soit parfaitement émincée, effilée, préparée tout spécialement pour les bouches des sans-dents, paysans, Roy ou courtisans, qu’elle se soit prêtée à un apprêt sévèrement marmeladé.
Voilà comment naquit le « lièvre à la royale », tout simplement inspiré par une tradition multiséculaire en vogue chez nos ancêtres paysans, curés de campagne, vagabonds, soldats de fortune, poètes, petites-gens, sans-dents de tout poil.
Vous avez bien noté, je n’ai en aucune façon prononcé le mot « haché ».
Ita id quod fit irremissibile error !
Je me permets en aparté de vous demander si vous ne craignez pas le Latin de cuisine ?..
Revenons à notre léporidé et sa préparation à la royale
Puisqu’il s’agit bien d’un léporidé, largement popularisé par le bon La Fontaine, et le Grec Esope même, et les hordes déshéritées sus nommées.
A ce niveau, je vous propose d’écouter quelques spécialistes
« Notez qu’il est rarissime qu’une recette enjambe aussi majestueusement les siècles. Le lièvre à la royale fait même toujours partie des challenges gastronomiques de part sa puissance et son élégance d’une Saveur sauvage et voluptueuse. »
« Et quelque part avant le service en compagnie de pâtes saupoudrées de poussière de truffes, les cœurs d’échalotes seront glissés pour donner à cette sauce, sombre, sauvage, d’aspect chocolaté, cette « gloire collective » évoquée par Colette. »
« Lorsqu’on n’est pas averti, le lièvre à la royale, c’est quelque chose. Lorsqu’elle arrive au restaurant, l’assiette est comme un linceul fumant. Il y a là un lièvre qui gît dans une flaque chocolatée. Le lièvre à la royale ? On imagine un trône, un sceptre, des laquais, des joueurs de clavecin. On glisse alors la cuillère dans le vif du sujet. C’est comme se lover sous une tente. Il y fait chaud. On distingue des ombres, des formes. »
Reste qu’on distingue deux écoles fondamentales autant qu’historiques. Celle de Carême et celle du Sénateur Couteaux. Le premier, Antonin Carême, cuisinier de Talleyrand de son état, grava dans le marbre début XIXe la version dite périgourdine du plat. Le lièvre est entièrement désossé à cru, farci de foie gras et de truffes, cuit en ballottine, puis découpé en tranches et nappé d’une sauce au vin liée au sang. Un opéra gastronomique, d’un classicisme vigoureux.
On aurait pu en rester là. Mais non. Un siècle plus tard, le lièvre se démultiplia.
Aristide Couteaux, sénateur de la Vienne écrivait la recette dite poitevine du classique royal. « La seule, l’authentique, la terrienne ». Rien à voir avec celle de Carême.. Chez Couteaux, l’animal mijote six heures au vin avec de l’ail et des échalotes, avant d’être désossé, effiloché, puis cuit une heure de plus. Il sort de là tout compoté, bien sûr.
Les gourmets se retrouvèrent donc à courir dix lièvres à la fois. Le lièvre du Roy et celui des manants, le lièvre de la Révolution et celui de l’Empire, celui de Talleyrand, et le lièvre des Républiques, 1e, 2e, 3e, 4e, 5e et bientôt 6e, .. celui des sénateurs et de la caste politique. La bataille fit rage, fera rage encore. Forcément on se donna des noms d’oiseau, on du choisir son camp. Senderens, Dutournier, Anne-Sophie Pic et Ripert se rangèrent sous la bannière de Carême. Robuchon, Bocuse et maints autres épousèrent la cause du sénateur. D'autres s'en remirent à de savant ecclectismes.
Et que dire d'une création "Bourgogne", qui puise son inspiration, pour ses goûts comme pour son savoir-faire, aux sources très pures d'un passé très-indépendant de la France et de ses querelles picrocholines ?
huit heures de cuisson quand même ! Pour un service a la cuillère… Vive le Roy, vive la France, vive la république ! Vive les Princes, Vive le Président, Vive les sans-dents ..
Citations graphiques :
http://img4.hostingpics.net/pics/971116298403585913jO9nNUWZ.png
Marie joelle Cédat
Brueghel
Versailles
Gustave Doré
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