Momies : la nouvelle malédiction des pharaons ?
« J’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » (Blaise Pascal, posthume, 1670).
Ce n’était pourtant pas un poisson d’avril, ce n’était pas non plus une manifestation de Pâques malgré la date parce que c’était en terre musulmane, quoiqu’on puisse imaginer là un avatar innovant de la Résurrection, mais cela a eu de quoi surprendre.
Effectivement, le samedi 3 avril 2021 a eu lieu dans la soirée au Caire, à 18 heures (heure de Paris), pendant une quarantaine de minutes, un très étrange convoi funéraire : vingt-deux pharaons, dont quatre reines (les autres étaient des hommes), ont paradé en grandes pompes dans la capitale égyptienne pour rejoindre leur dernière demeure. Ou plutôt, leur nouvelle demeure car depuis deux siècles, ces malheureuses personnalités ont été ballottées au gré des ego et des impératifs culturels et politiques.
Ce sinistre défilé, car il s’agit bien d’un sinistre défilé, puisqu’il s’agit d’un transfert de cadavres, des momies découvertes dans la Vallée des Rois, près de Louxor (à la rive gauche du Nil), avait l’objectif de déménager une salle de l’ancien Musée du Caire, place Tahrir, dans le Musée national de la civilisation égyptienne (NMEC), situé près des pyramides, prés aussi du nouveau Grand Musée égyptien (GEM), au Plateau de Gizeh (il doit ouvrir au public au milieu du mois d’avril 2021). Parmi les monarques en déplacement, on peut citer les plus connus du grand public, c’est-à-dire le pharaon Ramsès II et la reine Hatshepsout.
À titre personnel, je trouve assez odieuse cette idée de vouloir exposer des momies, idée qui date d’il y a plus d’un siècle et demi et qui vaut de mettre à la vue du public des cadavres asséchés qui mériteraient de bénéficier du même respect, tout pharaons qu’ils fussent, que n’importe qui. C’est un truc à vouloir se faire incinérer.
Cette parade d’un fort mauvais goût (les vingt-deux chars étaient décorés selon ce qu’on pourrait imaginer de "l’époque") a été organisée par l’égyptologue égocentré Zahi Hawass, fort sympathique au demeurant, mais dont les connaisseurs savent qu’il a assuré la préemption de toute découverte archéologique sur sol égyptien à ses propres fins "commerciales".
Celui qui fut nommé très éphémèrement Ministre des Antiquités égyptiennes dans le gouvernement égyptien quelques jours avant la fin de l’ère moubarakienne et quelques jours après le début de la Révolution égyptienne (il y a dix ans) avait été le très influent patron du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes de 2002 à 2011. Cette noble institution fondée par l’égyptologue français Mariette en 1858, a été dissoute en 2011 et remplacée par un ministère. Il est difficile de trouver des documentaires télévisés sur les découvertes archéologiques égyptiennes récentes sans y voir incrustée l’image de Zahi Hawass qui en a fait une affaire personnelle. On soutiendra cependant son combat pour préserver le patrimoine égyptien voire rapatrier certains monuments qui ont quitté l’Égypte depuis deux siècles (du moins, ceux qui ne furent pas offerts par le peuple égyptien mais plutôt "empruntés" par des archéologues cleptomanes).
S’il faut saluer le fait que ces vingt-deux momies seront accueillies dans un meilleur environnement technique (contrôle de l’humidité, de température, etc.) destiné à leur meilleure conservation, avoir fait de leur transfert une opération de communication politique à visée nationaliste (événement diffusé en direct à la télévision) n’est pas forcément le résultat d’une très bonne inspiration.
À cette occasion, Zahi Hawass a déclaré à l’AFP : « Les momies seront présentées pour la première fois d’une belle façon, à des fins éducatives. Pas pour le sensationnalisme. ». Et pourtant, exposer des cadavres restera avant tout du sensationnalisme. Au contraire de la précédente exposition, chaque momie sera exposée à côté de son sarcophage d’origine, de sa biographie et, le cas échéant, des scanners qui auraient été réalisés dans le passé. Dans l’ancien musée, ces momies avaient été placées sans aucune information les concernant. Mais cette sobriété était-elle vraiment plus du sensationnalisme que la nouvelle exposition ? La nouvelle présentation donnerait plutôt l’idée qu’un corps reste seulement une "chose", objet d’étude, et pas un "résidu" d’humain qui mériterait le respect, aussi ancien soit-il.
Les vingt-deux momies ne sont donc pas transférées au GEM mais au NMEC, car le GEM, qui reprendra toutes les collections de l’ancien Musée du Caire, est surtout consacré au (jeune) pharaon Toutankhamon, très célèbre, que l’archéologue britannique Howard Carter a découvert le 4 novembre 1922 dans son tombeau d’origine, jamais encore violé. Pendant les travaux, une partie des trésors de sa tombe a été exposée à l’étranger, en particulier à la Grande Halle de la Villette à Paris il y a deux ans (j’ai eu la chance d’y aller), exposition itinérante mondiale qui a été bousculée par la crise sanitaire en 2020. Pas question de mettre les vingt-deux momies au GEM, selon Zahi Hawass : « Le GEM a le roi Toutankhamon, la star. Si vous ne mettez pas de momies au NMEC, personne ne va y aller ! ». L’explication a l’avantage d’être franche et directe.
Mais mauvaise inspiration que ce défilé en grandes pompes, car cette cérémonie qui avait la volonté de redorer (c’est le cas de le dire) le blason du tourisme égyptien, particulièrement en berne depuis dix ans, ne va peut-être pas améliorer l’image du pays. En effet, de nombreuses catastrophes sont survenues peu avant ce défilé mégalomaniaque, et ont conduit beaucoup d’Égyptiens à y voir une nouvelle version de la fameuse malédiction des pharaons.
Bien sûr, c’est de la superstition (je n’y ai jamais cru et je n’y crois pas plus aujourd’hui, corrélation n’a jamais été causalité), mais qu’on regarde cette accumulation de malheurs dont a été victime l’Égypte cette semaine.
D’abord, il y a eu du 23 au 29 mars 2021 ce fameux blocage du Canal de Suez par un paquebot qui a fait attendre des centaines de navires au point de provoquer un mini-choc pétrolier (et un choc complotiste sur Hillary Clinton !). Cet incident, qui a été heureusement entièrement résorbé ce week-end, a cependant donné de grandes frayeurs internationales.
Mais il est des catastrophes plus coûteuses en vies humaines. En effet, le 26 mars 2021 a eu lieu un accident ferroviaire de grande ampleur (une collision frontale entre deux trains sur une voie unique) à 350 kilomètres au sud du Caire qui a coûté la vie à 32 voyageurs. Le 27 mars 2021 au matin, un immeuble résidentiel de dix étages, à l’est du Caire, dans un quartier populaire, s’est effondré (probablement en raison de sa vétusté) et a tué au moins 25 personnes. Le même jour, 28 mars 2021, un incendie a ravagé des boutiques désaffectées près de la gare de Zagazig, à 80 kilomètres au nord du Caire, heureusement sans faire de victimes.
Toutes ces catastrophes ont contribué à renforcer l’idée d’une malédiction des pharaons, mais il faut se rappeler que, à l’origine, il s’agissait de la malédiction "du" pharaon, à savoir de Toutankhamon, qui aurait tué tous ceux qui ont approché son tombeau. Mais pourquoi en voudrait-il à ses sujets 3 347 ans après sa mort prématurée ? À cette veille de Pâques 2021, Toutankhamon devait au contraire être content : il ne sera pas dérangé par ses prédécesseurs et ses successeurs, puisqu’ils habitent désormais dans une annexe de son prestigieux nouveau palais !… Le voilà confirmé comme le véritable maître d’Égypte !…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 avril 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Momies : la nouvelle malédiction des pharaons ?
Toutankhamon.
Le buste de la reine Néfertiti.
Mort du Raïs.
Anouar El-Sadate.
Sœur Emmanuelle : respecter et aimer.
Les Accords de Camp David.
Et Moubarak, que devient-il ?
Sissi imperator.
Gamal Abdel Nasser.
Abdel Fattah Al-Sissi et Mohamed Morsi.
Marine Le Pen en Égypte.
Les révolutions arabes de 2011.
Entre vert moutarde et vert croissant.
Et si l’on écoutait Michel Rocard ?
Moubarak démissionne.
L’obélisque de la Concorde.
Transition égyptienne : entre colère et raison.
L’Égypte, fin janvier 2011.
Une autre victime au Caire le 22 février 2009.
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