Téhéran, complice du 11-Septembre 2001 ou la « fabrique du mensonge »
Dans mon dernier ouvrage (Bush, l’Iran et la bombe), j’essaie de décrire comment George W. Bush a planifié une intervention militaire de grande ampleur contre l’Iran. Une décision qui remonte à deux ans, prise dans le plus grand secret, et sur laquelle l’enquête que j’ai menée apporte quelques informations inédites notamment en terme de désinformation et de fausses révélations.
Les fausses révélations ont toujours existé. Dans un livre publié en 1981 [1], qui fascinait William Casey, le directeur de la CIA, la journaliste Claire Sterling expliquait que toutes les organisations terroristes visant l’Occident étaient financées et contrôlées par l’Union soviétique. Une thèse qui s’est révélée aussi fausse que les articles et les livres de l’ancienne journaliste du New York Times, Judith Miller, spécialisée dans la dénonciation des armes de destruction massive de Saddam.
Le dernier avatar est encore beaucoup plus choquant. L’auteur de Countdown to Crisis, Kenneth R. Timmerman, se présente comme un « journaliste d’investigation », ce qui conduit à une réflexion préoccupée sur le sérieux et l’éthique de nombreux confrères américains. J’ai d’abord été fasciné par la couverture. Ahmadinejad, le doigt levé, visage menaçant, est aux côtés du guide de la Révolution qui visite un site de missiles, entouré de militaires. Une vignette rouge placée juste dessous attire mon attention : « Nobel Peace Price Nominee » (nominé au Prix Nobel de la paix). Je pense d’abord qu’il s’agit d’un clin d’œil, d’une plaisanterie au second degré pour souligner le bellicisme des dirigeants iraniens. Puis je découvre l’effarante vérité : l’auteur, Kenneth Timmerman, se présente comme « nominé au Nobel ». Un terme qui n’a aucun sens. Le jury du Nobel choisit, ou non, parmi les multiples candidatures à cette distinction prestigieuse, mais s’il existe un lauréat, il n’y a pas de nominés. Première entorse à la vérité qui, à la lecture, est suivie de beaucoup d’autres.
Téhéran, complice du 11-Septembre
La thèse de Timmerman est simpliste, les preuves inexistantes. L’Iran, selon lui, est le plus impitoyable ennemi des États-Unis, impliqué dans pratiquement chaque attentat terroriste conduit contre les États-Unis depuis 1979. La volonté iranienne de se doter de l’arme atomique n’a qu’un objectif : menacer les États-Unis et leurs alliés. « Il suffit seulement d’un missile nucléaire iranien pour pénétrer le système de défense antimissiles Arrows d’Israël, anéantir une population à forte densité, détruire son économie et briser effectivement l’État. Israël est un pays à “bombe” et les Iraniens le savent. »
Timmerman va beaucoup plus loin : il affirme que l’Iran est impliqué dans les attentats du 11-Septembre 2001 et que la CIA, désireuse de protéger les États voyous qui financent le terrorisme, a délibérément soustrait ces informations à la connaissance du public américain. Ses propos s’appuient, dit-il, sur les témoignages de transfuges (dont on connaît évidemment la fiabilité). Il évoque de prétendues visites du numéro deux d’al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, à Téhéran, et, pour faire bonne mesure, ajoute qu’il est rejoint, le second jour de réunion, par Oussama Ben Laden. Ces affirmations, les récits de ces réunions, selon Timmerman, reposent sur « des sources ayant une connaissance directe de ces rencontres [2] ».
Timmerman, qui entretient des liens étroits avec les néoconservateurs, a créé une fondation pour la démocratie en Iran et son ouvrage duplique de manière à la fois grossière et insidieuse l’argumentation développée par l’administration Bush après le 11-Septembre pour préparer à l’invasion de l’Irak. Les responsables, dans leurs propos, évoquaient tout à la fois le 11-Septembre, Ben Laden et Saddam Hussein, créant dans l’esprit des gens un lien qui allait conduire une majorité d’Américains à penser que le dictateur irakien était derrière les attentats. La méthode reste la même, mais cette fois l’Iran remplace l’Irak et Timmerman revisite l’Histoire et s’efforce de frapper les esprits en affirmant que Téhéran fut complice de la tragédie.
Les « théories » de Timmerman sont complaisamment relayées par de nombreux médias, tout comme l’ouvrage de Jerome Corsi, sorti, pure coïncidence, la même année : L’Iran atomique : comment le régime terroriste achetait la bombe et les politiciens américains [3]. M. Corsi est un personnage aux propos édifiants dont voici un bref florilège. À propos de l’ancien président Clinton : « Quand ce type finira-t-il par admettre qu’il est simplement un communiste antiaméricain ? » Sur sa femme Hillary : « Hillary aime tellement les Arabes (embrasse, embrasse Mme Arabe, RAT)... Comme elle paraîtrait merveilleuse, habillée d’une burka. » Il est également le coauteur de l’ouvrage Unfit for command (Incompétent pour commander), publié en 2004, dont l’objectif était de discréditer le passé militaire au Vietnam de John Kerry, le candidat démocrate à la présidence. Un livre qui a bénéficié, lui aussi, d’un important lancement. Les commentaires de Corsi sur Kerry sont infâmes. Un seul exemple : « Après qu’il a épousé Ter Rahsa [Teresa, sa seconde femme], John Kerry n’a-t-il pas commencé à pratiquer le judaïsme ? Il a aussi des grands-parents paternels qui étaient juifs. Quelle est la religion de John Kerry ? »
L’Iran et al-Qaida détruisent New York
Son dernier ouvrage, Atomic Iran, évoque la coopération entre al-Qaida et les mollahs iraniens. Mais alors que Timmerman insistait sur l’implication de l’Iran dans les attentats du 11-Septembre 2001, Corsi, lui, évoque l’apocalypse imminente : une bombe atomique fabriquée par l’Iran et que les terroristes d’al-Qaida feront exploser en plein cœur de New York.
« Les principaux problèmes techniques qui ont empêché les terroristes de faire exploser des engins nucléaires à l’intérieur des villes américaines sont résolus une fois qu’un régime terroriste, comme la République islamique d’Iran, a la capacité de fabriquer une arme nucléaire et de la livrer, à l’intérieur de containers, dans un grand port américain. L’engin peut être réceptionné par des cellules terroristes dormantes, assemblé et placé au cœur de la ville, où il pourrait exploser à l’heure de pointe, un jour de travail ordinaire. La destruction résultant d’une attaque atomique réussie, de type 11-Septembre, sur une ville comme New York, serait énorme. En un clin d’œil, les États-Unis pourraient être réduits à un statut économique de seconde classe [4]. »
Le scénario développé par Corsi décrit une ville de New York transformée en décombres après l’explosion d’une charge nucléaire de 150 kilotonnes, la mort immédiate de 1,5 million de personnes et la disparition, au cours des jours suivants, de 1,5 million de victimes supplémentaires.
Le livre demeurant malgré tout un média trop confidentiel pour frapper les esprits de la majorité de la population américaine, il a été décidé de miser sur le pouvoir de l’image. New York, victime d’une attaque terroriste nucléaire commanditée par l’Iran, est devenu un clip télévisé au titre évocateur : « Un 11-Septembre atomique : quand le mal est satisfait. » Financé par l’Iran Freedom Foundation, le film terminé en avril 2005 est diffusé au rythme de quatre passages quotidiens pendant treize jours sur les chaînes de télévision de dix-sept États américains, dont certains comptent parmi les plus peuplés : le Maine, le Mississippi, le Texas, l’Oregon, la Californie, le New Jersey, l’Illinois, l’Ohio, la Caroline du Sud, l’Alabama, l’Indiana, le Tennessee, la Pennsylvanie, le Dakota du Sud, l’État de Washington, la Floride et le district de Columbia où se trouve la capitale fédérale.
« Le chemin de l’Iran vers la bombe »
Pratiquement au même moment, en mai 2005, la conférence annuelle de l’AIPAC, le principal lobby pro-israélien, est consacrée à la menace iranienne. Cette manifestation est un détour obligé pour les responsables politiques américains, tous clivages politiques confondus. Le néoconservateur Richard Perle appelle à une attaque des États-Unis contre Téhéran et les organisateurs ont conçu ce rendez-vous annuel comme un show multimédia tournant autour du titre : « Le chemin de l’Iran vers la bombe ». Le journaliste du Washington Post, Dana Milbank, décrit cet « événement qui prend les allures d’un parc à thèmes, qui commence avec un narrateur condamnant l’Agence internationale de l’énergie pour sa réticence à conclure que l’Iran développe un programme d’armes atomiques [l’Agence avait manifesté les mêmes réserves à propos de l’Irak] et le Conseil de sécurité des Nations unies qui ne s’est pas sérieusement attelé à la tâche. Dans une succession de pièces, les visiteurs voient dans un décor de lumières clignotantes et de grondements sourds des figurines s’affairant à la fabrication d’uranium enrichi, au retraitement du plutonium et faisant surgir un nombre impressionnant de têtes nucléaires [5] ».
En août 2005, un mois après les attentats à la bombe qui ont frappé le métro de Londres, le vice-président Cheney demande au Stratcom, chargé de la planification de bombardements conventionnels et nucléaires, de dresser un plan d’urgence prévoyant des attaques aériennes de grande ampleur sur l’Iran, avec usage d’armes conventionnelles et nucléaires tactiques [6]. Pour répliquer à une nouvelle attaque de type 11-Septembre contre les États-Unis.
[1] Claire Sterling, The Terror Network : The Secret War of International Terrorism, Weidenfeld and Nicolson, Londres, 1981.
[2] Kenneth R. Timmerman, Countdown to Crisis. The Coming Nuclear Showdown with Iran, Three Rivers Press, New York, 2005-2006.
[3] Jerome Corsi, Atomic Iran, How the Terrorist Regime bought the Bomb and American Politicians, WND Books, Nashville, 2005.
[4] Ibid.
[5] Dana Milbank, « Aipac’s Big, Bigger, Biggest Moment », Washington Post, 24 mai 2005.
[6] Philip Giraldi, « Attack on Iran : Pre-emptive Nuclear War », The American Conservative, 2 août 2005.
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