Dans un berceau de joncs !
C'est la Loire païenne qui nous baptisa puis nous servi de nourrice, les forêts avoisinantes qui nous élevèrent au-dessus des contingences. Nous, les enfants du Val, de Sologne et de la forêt d'Orléans ! Nous avons grandi sous la houlette bienveillante d'une nature radieuse et généreuse qui surveillait nos escapades bucoliques sans le risque des véhicules automobiles ou des craintes parentales.
Nous nous sommes nourris de la friture de goujons et des écrevisses d'alors, des pêches des étangs et des gibiers d'une Sologne qui n'était pas encore enfermée dans un labyrinthe de barbelés hostiles. Nous ramassions les champignons au Nord comme au Sud de cette frontière bleue. La lépiote s'élevait bien droite le long des rives, le cèpe abondait dans les chênaies et les girolles préféraient la lande. Nous arpentions ces espaces sans limite, n'ayant alors jamais la crainte de nous retrouver face au fusil d'un garde irascible.
Nous nous sommes réunis en joyeuses bandes insouciantes autour de feux de bois que nul ne pensait alors interdire. Nous pouvions chanter sans déplacer un véhicule bleu, nous nous regroupions sans déclencher le regard suspicieux des plus grands. Nous plumions une volaille élevée en plein air et rôtie de la même manière. Nous l'accompagnions de châtaignes ou bien de mûres qui donnaient à ces pique-niques des airs de festins.
Nous découvrîmes les promesses et les premiers émois dans la discrétion d'une garrigue, sous le couvert d'un taillis ou dans le secret d'une île. Nous avions le temps devant nous et tout cet espace sauvage pour le dévorer. Quand l'insuccès était au rendez-vous, nous offrions à la Loire consolatrice les premiers chagrins, en errant en solitaire sur une levée réparatrice, auprès d'une rive consolatrice au fil d'une onde salvatrice.
Nous avons dormi sur le sable d'une plage isolée. Des guitares incertaines accompagnaient de quelques accords, les succès de Graeme Allwrigt ou de Maxime Le Forestier que nous chantions jusqu'à ce que le sommeil nous emporte vers la magnificence d'un soleil levant. Nous étions enfants du rêve d'un Mai qui était passé en nous laissant cette farouche volonté de liberté sans entrave.
Nous avons grandi et perdu de vue notre Dame Liger pour quelques infidélités qui nous éparpillèrent dans tout le pays et bien plus loin encore. Pourtant, indéfectiblement, nous étions de la tribu Liger et jamais ce lien ne se rompra. Les semelles de vent de nos 'pataugas' nous ont conduit en bien des endroits. Beaucoup sont devenus moniteurs, éducateurs, instituteurs ou animateurs pour transmettre le goût de la pleine nature aux générations futures.
Nous avons échoué dans ce passage de témoin parce que l'étrange lucarne qui grandissait devenait plus distrayante que nos balades champêtres. Nous avons également baissé pavillon dans la lutte que nous menâmes face aux hideuses centrales qui vinrent défigurer notre Loire. Le combat était inégal et il n'est pas raisonnable d'avoir raison trop tôt ! Nous avions pourtant lutté bec et ongles contre ces monstres indomptables qui un jour nous dévoreront au nom d'un égoïsme absurde.
Beaucoup ont fait leur vie d'adulte loin de la douceur du Val. L'ascenseur social fonctionnait encore et chacun prenait une direction que de bonnes études avaient définie. Ils n'en gardèrent pas moins une douce nostalgie au cœur, une rivière qui ne cessait de les rappeler à l'ordre, de les convoquer de temps à autre pour qu'ils se ressourcent comme on dit maintenant avec cet étrange vocable fluvial.
Ceux qui sont restés ont longtemps survécu au matérialisme envahissant. Ils s'en allaient, solitaires et incompris, goûter aux charmes oubliés de la levée ou de la forêt. Puis, ils se sont retrouvés, quelques uns d'abord puis un peu plus nombreux au fil du temps, autour de la mémoire d'une marine de Loire qui avait été totalement effacée par leurs pères et les pères de ceux-ci.
Ils se sont raconté l'amour du fleuve, de ses hôtes et des alentours. Ils se sont retrouvés autour de bonnes bouteilles du pays, d'une ripaille qui n'était pas honteuse, de la fête et des danses qui font tourner les têtes et les jupons. Ils ont retrouvé les vieux écrits oubliés de Louis Martin, historien illustre de la Marine avant que d'autres ne reprennent le flambeau.
Les plus adroits ont retrouvé ou bien inventé l'art d'assembler les planches de sapin, de chêne, de sélectionner un mât sur pied et de tresser la corde de chanvre. Ils ont donné naissance à des bateaux de bois qui, gonflés d'orgueil sous le vent de galerne, remontent le courant d'une société qui file à sa perte en entraînant les générations futures et tout notre environnement vers une catastrophe probable.
Ils se sont dressés une nouvelle fois devant cette appropriation effrénée de ce qui ne devrait que se partager et se transmettre. Ils ont réveillé les ligériens, ils leur ont décillé les yeux pour qu'à nouveau ils regardent cette rivière magnifique qui est leur plus beau bien commun. Certains se sont fait charpentiers de marine, d'autres capitaines aventureux. Beaucoup se firent photographes pour la mettre en valeur tandis que d'autres prirent le pinceau . Il en est encore qui se sont rêvés chanteurs de Loire et quelques-uns ont eu la prétention d'écrire des histoires. Ils n'ont d'autre but que de vous faire aimer la rivière qui les a nourris dans son berceau de joncs. Puissiez-vous les rejoindre à votre tour au cœur, cette merveilleuse passion Loire !
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON