Droit de réponse : 10 voix d’hommes
Mon dernier article (« 10 voix pour se réconcilier avec les femmes ») a aussitôt généré un droit de réponse, au nom de la parité, exercé par le CVHC (Comité de Vigilance des Hommes en Colère), requête présentée par Maitres Parcimoni et Bonnessian, avocats à la Cour. Même si la devise du CVHC est « tout homme a besoin d’une femme, ne serait-ce que parce qu’on ne peut pas se plaindre toujours du gouvernement »(P.Desproges), une liste de 10 voix masculines m’a été soumise, de nature à établir que les femmes n’ont pas le monopole de l’émotion vocale.
Dont acte. Ma Stupeur est totale, mais il faut bien s’exécuter.
1/ Arno (« Oostende, bonsoir »)
L’apogée de la tristesse calme et résignée du « Bashung du pauvre ». Un titre crépusculaire et prémonitoire, comme un signe de la main que nous fait le grand mareyeur à la voix tailladée comme des poignets, aux textes denses et noirs comme un baril de Brent. Il a voulu revenir chez lui sur sa digue d’Oostende pour nous en lâcher une dernière (?), pour la route, ou plutôt sa route. En plus, je lui dois d’avoir découvert Spillaert par ce titre. Merci pour ça aussi.
2/ Alain Bashung (« Réves de vétéran », cover d’Arman Mélies)
Comme beaucoup de ceux qui l’ont vraiment apprécié, suivi, ou servi pendant des décennies, je ne peux pas me résoudre à « la lointainisation d’Alain », selon la belle formule de son ami Jean Fauque. Nous sommes quelques uns – beaucoup, en fait – à toujours éprouver des difficultés, douze ans après, à revoir ou ré-écouter ses œuvres directement. Aussi j’ai choisi une reprise d’un titre de Méliès, finalement sorti longtemps après, dans l’album posthume « en amont ».
Belle voix charnue et puissante, et ambiguïté jusqu’au bout du texte sur le fait qu’il traite des souvenirs d’un sniper vétéran d’une guerre ou des remords d’un pervers/ violeur. Je suis un polysémique, disait-il…
3/ Rodolph Burger (« Marie »)
L’association d’idée n’est pas fortuite : Burger fut un authentique fan et « serviteur » de Bashung, et l’étendard talentueux de « l’Elsass Blues » et des « oubliés du Grand Est » dans la musique française, même si – comme tout alsacien – il est très cosmopolite, dans l’esprit du moins.
Ex-prof de philo et guitariste fulgurant, il est ici dans un concert en Suisse avec une brochette d’helvètes de haut niveau, dont Eric Truffaz à la trompette (ex. Christophe, etc.), Ed Cominotto aux claviers (voir l’envolée exceptionnelle à mi-vidéo), Marcello Giuliani, etc.
4/ Stephan Eicher (« Rivière »)
Encore un suisse classieux, cultivé, pudique et ironique, ayant gardé l’esprit « artisan », aidé il est vrai par les textes de Djian, faussement simples mais très affutés. Difficile de choisir un titre parmi le panel de sa carrière. C’aurait pu être aussi bien « rendez-vous », ou le sobre « prisonnière »...
5/ Hubert Felix Thiefaine (« Affaire Rimbaud »)
Impossible évidemment de ne pas citer le jurassien qui remplit les salles depuis 35 ans sans faire de promo ni de télés, l’un des tout derniers survivants – avec Manset – de la chanson française intelligente.
Loin des ‘dingues et des paumés’ et de « la fille du coupeur de joints », il donne ici un petit cours d’histoire (il a une maîtrise de lettres) sur Rimbaud, à l’usage des incultes, « des rustres et des malpolis » comme disait Desproges. On y parle de sa jambe putride, de ses escroqueries d’Abyssinie, du Choa et du Harar (que cette chanson m’a fait découvrir, quand j’étais étudiant). Un des tous derniers dinosaures qu’il nous reste, à présent que la faucheuse s’est bien servie des morceaux de choix, ces derniers temps.
6/ Marcel Kanche ( « buveurs de marécages »)
Un des « chanteurs à texte » les plus méconnus, hormis des fans de Bashung (dont il était proche et qui lui a donné un coup de projecteur dans le superbe duo « Du haut de Pise », à la Boule Noire) et de « M », avec qui la collaboration perdure. Vit « retiré » dans l’Orne, un poète des forets aux relents moyenâgeux, à la noirceur nostalgique, « le Bashung des champs » disait un ami (« à mes jambes, à mes chiens, à ceux qui ont laissé leurs cheveux dans les branches », dit-il dans « vertiges des lenteurs ») .
Egalement une affaire de famille, puisque son épouse Isabelle Lemaitre est souvent au chant, et leur fils, contrebassiste, est aussi un collaborateur de pas mal de gens de qualité (notamment Nevché).
7/ Christophe (Daniel) Bevilacqua (« comm’ si la terre penchait »).
Tout – ou presque – a été dit ou écrit – y compris par moi, ici ou ailleurs – sur cette Ferrari vocale, cristalline et subtile, qui a finalement laissé sa voix dans la voie sans issue d’un respirateur au CHU de Brest, parce que la mort ne respecte même pas les cultures et les origines ( « je sais depuis longtemps déjà que l’on meurt de hasard, en allongeant le pas », chantait Brel).
J’ai choisi ce morceau parce que c’est par cet album, en 2001, qu’il s’est vraiment décollé de son image de chanteur pour midinettes, qui fut longtemps son sparadrap à la Haddock, et qu’il a pu partir vers le classieux, le mystère et les instruments / arrangement sophistiqués.
8/ Gérard Manset (« que deviens-tu ? »)
Le dernier « grand » atypique, qui depuis 40 ans a vendu des millions de disques sans faire un seul concert, ni une seule TV de promotion, ni même, pendant 15 ans, n’a montré son visage sur les pochettes des albums.
Un esthète, maniaque du son retravaillé en studio. Des textes simples mais ciselés, la tristesse sobre au service d’une hyper-lucidité sur les choses de la vie, une sorte d’hiver quasi permanent.
Encore une scorie tombée de la planète Bashung (sur la fin, il lui avait offert le fameux « comme un légo », dont le Bash, par son interprétation forte, a dépossédé Manset de ce titre, comme il l’avait fait 10 ans plus tôt pour Christophe avec « les mots bleus »). Il lui avait aussi rendu hommage par un court essai (« Visage d’un Dieu Inca ») consacré à leurs échanges des dernières années, après quelques décennies passées à s’ignorer ou à « se tourner autour ».
9/ Bernard Lavilliers (« la grande marée »)
Evidement, 40 ans de carrière prolixe, des récurrences thématiques, mais… à l’heure où construire un « sujet/ verbe / complément » relève de l’exploit ou de la khâgne – dans la vie comme dans la chanson –, il sera beaucoup pardonné à celui qui nous a offert – et pour longtemps – « on the road again » ou la vulgarisation d’Aragon et son « est-ce ainsi que les hommes vivent ? ».
J’ai choisi une « vieillerie » qui fut en son temps l’hymne de ralliement des étudiants, par sa belle évocation du « big brother » (ça devrait plaire par ici, où il y a des complots partout. En ce sens, Lavilliers fut un visionnaire. Sauf erreur, ce titre date de 1977, son aspect visionnaire étonne toujours).
10/ Noir Désir (« des visages, des figures »).
Oui, oui, je sais. Economisez votre salive et vos claviers.
Noir Désir ne se résume pas à Bertrand Cantat.
Ceux qui veulent le suivre peuvent se porter sur le groupe « Détroit ».
Les autres peuvent notamment prêter une oreille à « The Hyènes », qui héberge 2 des autres membres du groupe (hormis Teyssot-Gay).
Reste que, au-delà du désastre et du gâchis général, nous sommes quelques centaines de milliers à attendre qu’un groupe « franchouille » soit capable de nous sortir un produit (paroles/ musiques/qualité d’interprétation) du niveau de cet album et de ce titre éponyme.
Cela ne ferait revenir personne, ni les morts, ni les morts-vivants, ni notre jeunesse, mais cela ne ferait pas de mal quand même…
Epicetou.
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