Finissez d’entrer malgré la pluie !
Il y a 4 ans déjà (1)
Josette et Georges.
Je marchais depuis bientôt quatre heures ; j'avais traversé trois villages et nul caboulot ne s'était offert à mon envie de boire enfin un petit café réconfortant. Je ne vais pas revenir sur cette désertification intérieure qui prive nos campagnes de petits espaces commerciaux. Elle m'inquiète grandement sur le devenir d'un pays qui ignore à ce point son espace traditionnel.
J'en étais là de mes pensées lorsqu'au détour d'un virage, j'aperçus une fermette sage et modeste qui donnait signe de vie. Mon bidon était vide, il est souvent le parfait truchement de la rencontre impromptue ; il fut, cette fois, le sésame d'un grand moment de bonheur.
Celle que bientôt j'appellerais Josette, était au seuil de sa porte. Elle m'offrait l'occasion, espérée depuis si longtemps de réclamer cette eau qu'à plusieurs reprises, hélas, sur ce chemin, de pauvres gens ont eu l'indignité de me refuser.
Josette n'est pas de ce marbre froid, la peur, depuis longtemps n'a plus de place chez elle. Elle m'accueillit avec cette merveilleuse phrase qui illumina mon périple : « Finissez d'entrer ! »
La glace était brisée, le marcheur dégoulinant de pluie n'effrayait pas la vieille dame. Elle s'offusqua même que je quitte mon sac à dos devant le pas de sa porte.
La gourde remplie, elle appela Georges qui fit son apparition avec la démarche mal assurée de ceux qui ont beaucoup vécu. Un sourire, un mot gentil ; la jeunesse du cœur n'a vraiment rien à voir avec les outrages du temps. Me sentant en lieu d'humanité, je me permis de dire :
« Si j'osais, je vous demanderais bien un café ! ». La formule est un peu cavalière mais elle n'offusqua pas mes hôtes de l'instant. Au contraire, elle fut suivie d'un « Asseyez-vous donc ! » qui ouvrit la porte des confidences à venir.
J'évoquai alors les difficultés rencontrées sur la route pour obtenir pareil accueil. Georges me répondit avec bonhomie : « Moi, j'ai été déporté. Le père de Josette a été fusillé. Maintenant, plus rien ne peut nous faire peur. L'hospitalité est pour nous, un devoir sacré ! »
Mon petit calepin rouge fit son apparition sur la toile cirée. Je demandai l'autorisation de prendre des notes, ce qui me fut accordé tout aussi facilement que le café. Durant plus de trois heures, mon stylo noircit le papier humide, Josette pleura souvent, Georges s'émut aussi, tous les deux chantèrent parfois et je fus convié à déjeuner pour poursuivre la conversation entamée.
Mon chemin voulait remonter l'histoire ancienne. Je croisai brutalement la folie des hommes, la barbarie la plus monstrueuse que le siècle dernier ait pu enfanter. Georges et Josette en furent les malheureuses victimes. Pourtant, rien n'a pu les déposséder de leur merveilleuse humanité.
Au terme du récit qui va suivre, quand, plein de regrets, il me fallut les quitter, je ne pus que dire, après avoir salué Georges et embrassé Josette : « Merci mille fois pour votre accueil et votre incroyable gentillesse. Vous venez de donner justification à mon voyage. Vous êtes l'honneur de ce pays ! »
Le feuilletoniste laisse parfois son auditoire en suspens, il s'assure ainsi une audience attentive et souvent captive pour le prochain épisode. Je ne résiste pas à cette tentation coupable. Je ne vous imposerai cependant ni page de publicité ni pirouette formelle. À bientôt.
À-suivrement vôtre.
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