Initiation à la Loire
Juillet débute sous un ciel d’automne, un fort vent d’ouest et un ciel gris. La Loire est encore grosse ; elle refuse de se parer de ses habits d’été. L’étiage n’est pas à son programme, elle continue à rouler les épaules, se refuse à nous proposer ses plages de sable et ses grèves. Elle fait la maligne la belle dame Liger.
Pourtant, elle a des amoureux ; tous ceux qui sont restés enfermés durant mai et juin à regarder pleurer le ciel ont envie de prendre l’air, d’aller sur les flots de celle qui a menacé de déborder. Elle a averti de ce que serait sa colère en demandant à ses petits affluents de montrer aux hommes ce qu’il advient quand on oublie de considérer le danger des crues.
Ce sont des pauvres gens qui ont fait les frais de l’imprudence des bâtisseurs, de la folie des opérations immobilières en zone inondable, de l’incurie des responsables publics désargentés qui n’entretiennent plus les ruisseaux, les fossés, les canaux. À vouloir tout buser, à refuser de voir les ruisseaux dans la ville, ceux-ci ont exprimé leur colère en envahissant les communes ligériennes.
Se retrouver sur la rivière, c’est sans doute faire allégeance à dame Loire, prouver qu’il faut la respecter et la connaître. Ce jour-là, ce sont vingt-cinq passagers qui vont braver le temps frisquet et les flots toujours tumultueux. Ils ne seront pas les seuls : d’autres groupes feront de même. Après deux mois d’inaction, les loueurs retrouvent le sourire : la saison démarre en dépit d’une météo chagrine.
C’est à l’initiative de l’association Intermède qu’à lieu cette sortie. De Saint-Jean-de-la-Ruelle à Meung-sur-Loire, un petit parcours-découverte, idéal pour apprendre à aimer la dame Liger, pour se retrouver très vite en pleine nature, pour aller à la rencontre de la faune et de la flore tout en croisant quelques légendes du pays.
Mais c’est encore une nécessaire organisation. Le principal défaut de la randonnée en kayak, c’est qu’elle supporte mal l’aller-retour. Il faut donc déposer des véhicules au point d’arrivée, se donner rendez-vous pour effectuer une première navette avant que ne débute la sortie. Puis, il faut rallier le point de départ pour retrouver le gros de la troupe, les embarcations et signer le protocole du loueur.
Chacun s’engage à savoir nager, à mettre son gilet de sauvetage, à respecter la nature et à suivre les recommandations de l’accompagnateur. En dépit de son aspect calme, la Loire recèle quelques pièges ; il convient de ne pas partir à la légère : chaque année des incidents sont à déplorer. Le groupe est particulièrement attentif ; il ne cessera jamais de l'être durant cette belle descente.
Il faut prévoir une tenue de rechange : elle trouvera place dans les bidons étanches, tout comme le pique-nique et le nécessaire ravitaillement. Quelques bouteilles font un doux bruit à mes oreilles. On se harnache, on se prépare, on se met à l’eau. Les premiers coups de pagaie mettent bien vite en évidence les néophytes. Ils apprennent vite cependant : ils cessent de tourner en rond, fort heureusement d’ailleurs, car le vent de face aurait transformé la balade en longue valse incertaine.
Les bateaux se dispersent un peu. Chacun va à son train. Il n’est pas facile de raconter une histoire quand nous passons devant la grotte Béraire. Quelques équipages parviennent à écouter l’histoire du dragon. Ma voix se perd dans les rafales de vent. Ce n’est pas très grave. Mesmin peut dormir en paix.
Nous remontons le Loiret, cette belle rivière envahie par les algues. Il conviendrait bien vite de l’entretenir un peu. Il faut souquer ferme pour remonter le flot transparent en luttant contre le piège végétal. Nous remontons quelques centaines de mètres ; l’eau est d’une transparence surprenante, elle est fraîche comme toujours : la rivière Loiret est à température constante toute l’année.
Nous faisons une halte sur la berge. Quelques besoins naturels, des apports caloriques ou bien une cigarette pour les intoxiqués. Les groupes se forment vraiment. Les conversations fusent. Les moustiques attaquent. Il faut repartir. Un nouveau groupe arrive, il fera le même trajet. Des peintres qui s’étaient installés pointe de Courpin plient leur chevalet. Décidément, il y a trop de monde aujourd’hui !
Le peloton reprend son trajet sur la Loire. Il faut trouver une île pour le casse-croûte. Le chef de meute cherche ; il hésite pour celle-ci, découvre que celle-là est déjà occupée, se rabat sur un petit îlot sans abri : une langue de sable qui fera l’affaire. Il y a du vent et il convient de se couvrir pour ne pas prendre froid. Juillet, décidément, ne se démarque pas des mois précédents. Les gourmandises se partagent, les verres s’échangent. C’est un beau moment de convivialité.
Puis le groupe reprend son chemin. Le point de chute s’approche avec sa difficulté : les vestiges du vieux pont de Meung-sur-Loire qui font une barrière agitée. Les cœurs battent, le passage est tumultueux. La vague arrose un peu les passagers qui sont tous ravis d’avoir connu ce petit moment d’exaltation. Il convient maintenant d’accoster.
Les plus téméraires vont aller affronter les vagues. Ils vont connaître les joies du chavirement et même de la longue dérive au fil du courant. Après trois tentatives mouillées, ils reviennent vers le groupe, trempés, épuisés mais manifestement ravis de l’expérience. La navette est arrivée, il faut ranger les embarcations et se répartir pour rentrer au point de départ. Les frissons accélèrent le mouvement, la séparation est plus rapide que prévu : juillet n’est pas clément pour les aventuriers des flots. Tous se promettent de recommencer ; la Loire a encore réussi son opération de charme.
Frissonnement vôtre.
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