La bonne fée et les deux célibataires
Bonimenterie Dominicale
Une pierre dans la rivière.
Il était une fois un humble pêcheur de Loire nommé Robert qui vivait isolé au bord de la rivière. L'homme était apprécié de tous, il avait le cœur sur la main et des lumières plein les yeux. Mais il vouait sa vie à son métier, se levait de très bonne heure, se couchait bien tard quand il ne passait pas les longues nuits d'hiver sur l'eau à la saison des anguilles d'avalaison.
Quelle femme aurait accepté pareille vie d'autant plus que la pitance était bien maigre ? Le pauvre se trouvait bien seul et supportait de moins en moins cette situation. Il rêvait de partager sa passion avec des enfants, chair de sa chair. Le célibat dont il ne voyait pas comment se départir, le rendait très malheureux C'était un temps où la foire aux célibataires n'était pas au goût du jour.
Un matin, notre brave homme, n'en pouvant plus, décida de se mettre en chemin, à la recherche de celle qui redonnerait des couleurs à son existence. Il laissa filets et nasses, bateau et cuissardes pour s'en aller à l'aventure, trouver une bonne épouse, une femme simple, désireuse tout comme lui, de fonder une famille.
Dès qu'il sortit de son refuge, il rencontra sur le chemin une vieille femme qui ramassait des fagots de bois. Robert se moquant de ce qui l'avait mit en branle, se mit immédiatement à aider la femme courbée par le poids des ans et son fardeau. Bien vite, les fagots furent faits et portés dans la chaumière de la vieille.
Celle-ci, heureuse de ce service, invita Robert à partager sa soupe. Tout en dégustant un simple brouet, ils tinrent conversation. Après quelques balivernes et bien vite, des confidences lâchées, nos deux personnages en vinrent au fond de la question. « Où vas-tu ainsi sur le chemin ? Tu ne me sembles pas être un chemineux habitué à la rudesse de la route ! » s'enquit l'hôtesse. « C'est vrai, vénérable femme. Je viens de quitter ma cabane de pêcheur. Je la trouve bien vide ; je me languis et suis parti à la recherche d'une bonne épouse pour la rendre heureuse », lui répondit sans pudeur le gentil pêcheur. « C'est la destinée qui t'a fait passer devant ma demeure. Tu es un brave garçon. Si tu suis mes conseils, tu seras comblé », lui répondit la vieille, de la malice dans les yeux.
Naturellement, Robert avait trouvé sur son passage une bonne fée. Comment pourrait-il en être autrement au pays des fables ? Il n'a pas lieu de s'en étonner quand on aime la Loire et qu'on y connaît ses légendes. Qu'elle fût Morgane ou bien Mélusine, la vieille dame avait plus d'un tour dans son sac à délices. Mais pour en bénéficier, il fallait avoir le cœur pur et les intentions louables. C'est bien la difficulté de nos jours, ce qui explique que nous rencontrons si rarement des fées et des mages.
« Après ce repas, mon garçon tu poursuivras ta quête. Au bout de quelques heures de marche, tu déboucheras à nouveau sur la rivière et, sur la rive, une barque t'attendra. C'est toi qui décideras de ton avenir et de la direction à prendre. Tu prendras les rames et poursuivras ta route sur les flots. Tu dois rester ferme sur tes convictions. Sache cependant que pour obtenir ce que tu espères, il te faudra fournir quelques efforts ... ». La vieille avait une voix douce ; elle semblait vouloir montrer la bonne direction à ce Robert si brave .
« Après deux heures d'effort, tu découvriras deux toues cabanées. Ne te fie pas à leur allure. C'est ton intuition qui te fera choisir la bonne. Tu y pénétreras et découvriras à l'intérieur ce qui te sera nécessaire pour combler ton vœu. Ne te laisse pas attirer par les illusions et les vaines promesses et rapporte-moi bien vite ce que tu auras choisi ! » Robert écoutait respectueusement la fée, comprenant à demi mot ce qu'elle cherchait à lui faire passer. Il partit bien vite vers son destin.
En fin de soirée,ayant trouvé une barque, il remonta le courant bien qu'il fût en cet endroit puissant et tempétueux. Ce qu'il désirait valait bien cet effort, il était près à y mettre toute sa peine. À la tombée de la nuit, il découvrit deux bateaux qui semblaient l'attendre. Il y avait une toue rutilante, portant une cabane neuve et magnifique en pin encore tout clair. Elle avait à n'en point douter, toutes les commodités pour y séjourner confortablement mais aucun charme ni personnalité. L'autre plus vétuste, rustique et même en piteux état, avait pourtant cette patine des objets qui ont vécu . Elle était faite en chêne et même si le bois en était abîmé, on devenait qu'elle avait été construite pour durer très longtemps.
Robert n'hésita pas un seul instant, il entra dans la cabane plus ancienne et sur la table y trouva un joli coffre brillant et une simple et grosse clef comme on en faisait en ce temps- là . Il prit la clef et s'endormit du sommeil de celui qui avait grosse fatigue, avant que de retourner voir la vieille en sa demeure.
Effectuant le chemin à l'envers, il retrouva la fée qui l'attendait devant sa fermette. « Montre -moi ce que tu as rapporté mon garçon » lui demanda-t-elle. Robert lui tendit la grosse clef et la fée lui dit alors : « Va donc ouvrir le cabanon au fond du jardin. Tu verras si tu as fait le bon choix ! »
Robert s'exécuta avec la confiance qui sied à ceux qui sont certains d'avoir choisi en toute conscience. La porte s'ouvrit et il découvrit au milieu de la pièce une humble couturière qui filait sa laine. Elle leva les yeux vers ce curieux visiteur et lui offrit le plus beau des sourires. Ni très jeune, ni très belle, elle était simplement celle qu'espérait notre bon Robert. Ils se plurent aussitôt et bien vite monsieur le curé célébra la noce.
Au mariage fut convié le cousin de Robert , Oscar, un encombrant personnage . L'homme n'avait toujours vécu qu'aux crochets de ses parents, se plaisant à ne rien faire et à profiter de toutes les occasions pour faire la fête et trop boire. À vivre ainsi, lui non plus n'avait pas trouvé femme à marier et , fort jaloux du succès de son cousin, il insista tant et tant, se montrant si pénible, que Robert pour avoir la paix et se débarrasser de l'importun, lui bailla son secret.
Bien vite la vieille vit surgir un malotru peu soucieux de l'aider à finir l'ouvrage qui l'occupait alors. Fort exalté, il voulait sur le champ qu'elle lui indiquât le chemin. Elle n'eut pas le temps de lui tenir le discours qu'elle avait distillé à Robert quelques mois plus tôt. Ce vil chenapan avait déjà filé à grande enjambées.
Quand il arriva à la barque, Oscar se laissa glisser au fil du courant. Il n'était pas homme à fournir des efforts quand ce n'était pas indispensable. Il trouva pourtant lui aussi, deux bateaux sur la rive et pénétra sans hésiter sur le plus récent. Il y avait pareillement un coffre et une vieille clef et il s'empara de la boîte si attirante.
Ayant laissé filer la barque qu'il n'avait même pas pensé à attacher, il rentra à pied, profitant de l'aubaine d'un chariot qui passait par là en proposant à son propriétaire un coup à boire dont jamais il ne s'acquitta. Il arriva si vite devant la vielle femme que celle-ci n'avait pas fini son ouvrage. Elle le félicita de sa promptitude et lui confia une petite clef dorée pour ouvrir le coffre. Le cousin trop méfiant , s'en alla vite chez ses parents pour ouvrir à l'écart des regards ce qu'il espérait en secret.
Au fond de ce coffre il découvrit une bague somptueuse. Il se dit que le message était clair, qu'il avait là de quoi attirer la plus belle des femmes de la région. Il fit grand tapage dans la contrée pour annoncer qu'il offrirait le plus prestigieux des bijoux à la femme qui voudrait bien l'épouser. Devant la porte de sa masure, la vieille fée riait sous cape ….
Les demoiselles du village connaissaient le lascar. Aucune ne se laissa prendre par ce miroir aux alouettes. Un beau bijou pour prix d'un fainéant et d'un mauvais homme, il fallait être bien sotte pour accepter ce marché de dupe. Il se trouva pourtant une fille d'une lointaine ville, attirée par l'aubaine. Elle n'était pas vilaine et le terrible cousin accepta sur le champ de la prendre pour épouse.
La noce eut lieu dans un curieux climat. On sentait comme une sourde tension entre les deux époux. Au sortir de la messe, la femme arborait fièrement cette bague à vous faire retourner toutes les têtes. La fête se passa dans une morosité pesante. Puis au moment de consommer ce que l'église avait sanctifié, la nouvelle épousée prétexta un malaise et finit par disparaître …
Oscar, déconfit et grugé resta sans femme le reste de ces jours. Sa dulcinée avait pris la poudre d'escampette pensant pouvoir tirer bon prix d'un bijou qui tomba en poussière lorsqu'elle passa à toutes jambes, la robe retroussée, devant une vieille femme sur le pas de sa chaumière. C'est ainsi qu'un couple malheureux ne se constitua pas et ce fut bien la seule bonne nouvelle de cette pauvre histoire.
Quant à Robert et sa douce femme, ils connurent tout le bonheur dont les deux autres avaient été justement privés. Ils convièrent souvent la vieille femme à partager leur table et cette félicité à laquelle elle avait apporté sa pierre. Que celle-ci ne fût ni brillante, ni coûteuse, prouve bien que les vrais trésors sont dans les cœurs. C'est bien la seule morale de cette histoire que je suis allé pêcher au bord de la rivière. Vous pouvez ne pas la croire, je ne vous en tiendrai nullement rigueur.
Précieusement sien.
Merci à Christian Beaudin pour ses merveilleuses photographies ....
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