Le temps des arbouses

La fin d'une époque
Il est déjà revenu le temps des arbouses, ces merveilleux fruits gorgés de soleil et de rougeur, ignorés de beaucoup, qui nous annoncent la fin des beaux jours, le virage de la Toussaint. Il faut se dépêcher de les goûter, de profiter des derniers rayons de soleil, des ultimes repas dehors. Bientôt, les froidures de l'automne vont gagner la partie et l'hiver nous cloîtrera autour de la cheminée.
Les petites fraises Tagaga de l'arbousier résistent encore ; elles font reculer l'échéance inéluctable des saisons mornes et des frimas. Nous allons devenir bêtes en nos terriers, animaux en hibernation, fuyant tant que possible le bonheur du grand air. Bientôt, nous nous couvrirons de la tête au pied, dissimulant la moindre parcelle de peau pour éviter le rhume et la mauvaise grippe.
Petits fruits de l'automne, les arbouses sont tendres et sucrées. Elles s'offrent à notre désir de profiter jusqu'au bout de la belle saison, celle qu'il nous faut inexorablement laisser derrière nous. Nous allons rentrer dans le long tunnel grisâtre des jours trop courts, des frissons et des ciels si gris que le moral se met lui aussi en berne. Leur rougeur chatoyante nous accorde, l'espace d'une ultime bouchée, les couleurs qui vont se dérober désormais.
Profitons de cette arrière-saison qui s'étire, qui se laisse prendre comme une ultime friandise. Les champignons et les arbouses nous permettent encore de faire de la résistance, de nous laisser penser qu'il est encore possible d'aller à l'envers du cycle des saisons. Nous baguenaudons, nous jouissons des derniers rayons de soleil, nous profitons de cette douceur qui nous sera refusée jusqu'au retour du printemps.
Le temps des arbouses c'est le dernier soubresaut d'une vie en extérieur. Il va falloir se claquemurer, rentrer le bois et allumer le chauffage. Les soupes épaisses remplaceront les salades légères et inventives. La nuit sera notre compagne du réveil ; il faut se faire à cette cruelle évidence : le jour a perdu la bataille, nous nous enfonçons dans l'obscurité.
L'heure elle-même va s'aligner sur l'hiver. Finies les pauses sur les terrasses, rangées les tables de jardin, refermés les parasols, nous entrons dans notre phase morose : la glaciation est pour demain. Vite, vite, encore quelques arbouses volées à l'inéluctable, encore quelques fruits ensoleillés avant que de plonger dans la morosité des temps obscurs.
Le brouillard va couvrir de son voile sinistre les paysages, la gelée blanche va magnifier le décor, les feuilles en auront fini de tomber et l'hiver se sera insinué sans qu'on y prenne garde. À nous de faire provision de clarté ; osons jouir des derniers rayons de soleil, couvrons-nous et allons nous gorger de ces ultimes moments de quiétude.
Le mois de Samonios annoncera la fin de l'insouciance. Nous y célébrerons tous les saints et les défunts, nos chers disparus, histoire d'entrer de plain-pied dans la gravité hivernale. Froid, gel, neige serviront de cortège à ces jours sans lumière que quelques lanternes, lampions et guirlandes viendront sauver pour le plus grand bénéfice de la fée électricité.
Oublions tout cela, délectons-nous des arbouses, goûtons au vin nouveau, dégustons la bernache, mangeons des châtaignes grillées autour d'un feu de joie. Il ne faut pas battre en retraite, abandonner la partie et se calfeutrer dans nos intérieurs douillets. Vivons encore ces ultimes instants de douceur, protégeons-nous du vent et des frissons.
Bientôt, demain peut-être, nous sortirons des armoires les gros manteaux, les gants et les cache-cols. Nous serons moins guillerets ; il faudra rentrer vite, fermer la porte pour éviter que le froid s'invite à notre suite. Alors, mangeons les arbouses et profitons de ce temps qui joue les prolongations. La suite ne sera pas aussi agréable, à moins que l'été de la Saint Martin ne refasse fleurir les épines blanches comme il y a 1 700 ans, jour pour jour.
Automnalement vôtre.
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