Alerte à la crue ...
En Orléans sur Loire
La rivière nous a fait une belle colère.
Vivre au bord d'une rivière et penser qu'il ne peut jamais rien arriver, telle fut la folie des hommes qui oublièrent les traces du passé, les craintes des anciens et les prédictions de ceux qui envisagent le pire. Alors, l'inconscience aidant, les habitations se sont multipliées en zone inondable, de belles demeures avec une vue imprenable et un danger repoussé aux calendes grecques.
Et puis le printemps a fait des siennes, la pluie n'a eu de cesse d'importuner les citadins, qui ne voient plus en elle qu'une contrariété aqueuse, un empêchement de boire ou de flâner sur les terrasses de nos villes. Les intempéries sont désormais entraves au bon plaisir de l'urbain qui n'accepte aucun rebours dans sa quête de jouissance.
Il a plu, le commerce en a pâti, le moral des troupes acheteuses s'en est ressenti et accessoirement, les eaux ont commencé à monter. Personne ou presque n'y faisait attention. La ville commerçante a tourné le dos à la Loire. Dans toutes nos cités fluviales, le mouvement de repli vers le centre ville s'est accéléré au tournant du vingtième siècle. Le lien a été rompu avec ce qui constitua, des siècles durant, le poumon et le cœur de nos cités d'alors
Les eaux sont venues lécher le pierret. Cette fois, il fallut prendre des dispositions, éloigner les passerelles, fermer le bateau lavoir, repousser le bateau à aubes « Inexplosible n°22 ». Les eaux ont continuer à gronder, à se faire de plus en plus fortes. La cote du fleuve est devenue une référence, une information qui comptait à nouveau. Les curieux affluaient sur les quais pour assister à ce spectacle étrange.
Les appareils photographiques étaient de sortie. Jamais la dame Liger n'avait été autant regardée. Elle sentait la drôlesse qu'elle était le sujet de toutes les curiosités. Elle roulait des bras, charriait tout ce qu'elle pouvait. Elle faisait la forte et la coquette. Son succès était tel qu'elle fit la une des journaux et des radios. La Loire montait, l'alerte crue était déclenchée.
Sur les berges, de plus malins ou de mieux considérés rangèrent leurs embarcations à l'abri du canal. Les autres durent se débrouiller, faire avec les moyens du bord et le fameux système D. On doit faire preuve d'initiative quand on n'a pas la chance d'avoir quelques privilèges accordés par l'échevin. Un commerçant, la mort dans l'âme fut contraint de fermer et de protéger son restaurant flottant. Une grosse dépense accompagnée d'un énorme manque à gagner. Les hommes composent pensant proposer quand la rivière dispose toujours …
La ville avait programmé une fête populaire sur les quais. La montée des eaux ne pouvait contrarier le spectacle. Mais la nature même de celui-ci, un concert de musique « techno », exigea que l'on prît des précautions pour éloigner la jeunesse électrisée des eaux tumultueuses. Qu'à cela ne tiennent, des cordons de CRS firent l'affaire. C'est belle conception de la fête que celle-ci.
La crue n'aura pas lieu. La Loire a décidé de se replier, de cesser de rouler les mécaniques. Elle avait souhaité voler la vedette aux fêtes johanniques, elle comprit qu'il faudrait un cataclysme pour interrompre une tradition vieille de 583 années. Elle retourna tranquillement dans son lit et força à nouveau les mariniers à sortir du leur.
Les embarcations devaient cette fois être éloignées du quai. Les pieds dans l'eau, ceux qui n'avaient pas eu droit aux prévenances de la capitainerie avaient à nouveau de l'ouvrage. Il leur fallait suivre le mouvement rapide de la décrue, modifier toutes les amarres, veiller à ce que les bateaux ne se mettent pas sur le flanc. Moins nombreux étaient maintenant les passants, l'eau qui descend intéresse moins de monde !
Tout va revenir dans l'ordre des choses habituelles. La dame n'aura, cette fois encore, pas montrer le visage de ses énormes colères. Les maisons n'eurent pas les pieds dans l'eau. Ce ne fut hélas pas le cas pour d'autres constructions en bord de Seine. Là aussi, la folie des hommes avait oublié les impondérables de l'eau. Orléans aura eu sa part d'impondérable et j'ai reçu ce message : « il y a eu une panne moteur du bateau du port pendant la manœuvre ! Quel frisson ! »
L'alerte est passée. Demain ou bien plus tard nous allons remonter sur nos bateaux. Les urbains retourneront à leurs achats. La rivière ne les intéressera plus. Le bateau lavoir enfin remettra ses passerelles, plus personne ne songera aux frayeurs et aux difficultés de son propriétaire. L'entrée du canal sera à nouveau libérée. L'épisode passera aux oubliettes jusqu'à la prochaine fois, jusqu'au jour où la crue redoutée ou bien espérée, la vraie, la grande crue centennale imposera sa rudesse à tous ceux qui pensent pouvoir passer outre les lois de la nature !
Débordement vôtre.
Photographies de notre envoyé spécial sur le quai
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