Ça sent le sapin
Mais pas que !
Il n'est désormais pas plus précis marqueur d'un changement de saison et de l'entrée dans la période de l'Avent que ce merveilleux breuvage. Il est devenu paradoxalement en regard de son passé, le symbole de notre volonté collective d'affronter les frimas hypothétiques, la tête haute et le regard tourné vers la ligne bleue des Vosges.
Il se pare de mille effluves, toutes différentes, exprimant à la fois les nuances de nos territoires tout comme l'inventivité de l'alchimiste à l'origine de sa composition. Il parait même qu'il en existe désormais en poudre pour attraper les gogos. Mais oublions cette perversion pour nous attacher à celui qui se limbe d'un exotisme dans la grande continuité des Rois Mages.
Il réchauffe les cœurs et les corps, tourne quelques têtes, délie les langues et favorise l'évaporation de vos bourses. Il se fait complice d'une période vouée entièrement au consumérisme dont il se fait le porte tonneau. Il colore alors les joues aux couleurs du vieillard qui mène le bal et se fait maître de chais pour l'occasion.
Qu'il soit piquant ou bien poivré, acidulé ou épicé, il est le roi de la fête : roboratif, énergétique et calorifique. Il vous pousse à prendre l'air pour battre le pavé en dépit des conditions climatiques alors qu'il se restreignait jusqu'à peu encore aux pentes enneigées et au marché de Strasbourg. Depuis, il a su conquérir tout le pays pourvu que de petits chalets en sapin poussent au cœur de votre cité.
Il lui arrive de colorer des manteaux pour peu qu'une foule enfiévrée bouscule celui qui communie, le calice à la main pour honorer la liturgie de l'heure. Pour pousser plus avant le rituel du moment, certains n'hésitent pas à lui adjoindre des marrons grillés qui remplacent le pain dans cette nouvelle communion cultuelle.
Pour rompre avec les traditions, on n'hésite pas à le rendre tricolore. Singeant la couleur de la pelisse et de la fourrure, il peut être rouge mais aussi blanc pour honorer celui dont la face rubiconde trahit son appétence pour cette merveilleuse potion magique. Le merveilleux n'est pas loin puisque son abus pousse à voir des petits lutins, des korrigans et autres elfes qui ne sont pas tous roses.
Si la faculté continue d'affirmer qu'il convient de le boire avec modération, la fièvre acheteuse qui est ainsi provoquée en ces lieux de perdition de votre compte en banque pousse à ne pas écouter ce conseil. Plus vous en buvez, plus vous risquez de céder aux sirènes du consumérisme ambiant, repartant alors avec des produits estampillés made in China.
Pourtant, lui, il est bien de chez nous, lui le clou de la soirée, le bâton de maintien du soiffard, la chaufferette intestine du client que l'on mène par le bout du nez grâce à ces effluves envoûtantes. Pour forcer le trait, certains n'hésitent pas à lui incorporer sournoisement quelques liqueurs secrètes qui poussent le bouchon toujours plus loin.
Il est celui sans qui les marchés de Noël seraient des lieux imbuvables. Grâce au vin chaud, nous entrons dans une autre dimension, une forme détournée de sauver la crèche et la tradition en communiant avec ce breuvage festif par excellence. Qu'il ouvre désormais le bal de la nativité n'est pas sans ironie mais dans cette société de l'imposture et de la falsification, rien ne doit nous surprendre. Saint Nicolas avait son pain d'épices et comme il a dû baisser pavillon devant son compère le Père Noël, il lui a refilé le bébé et l'eau du vin d'épices.
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