Le petit commerce de Berlaudiot
L'esprit d'initiative d'un gentil bredin.
Notre pauvre Berlaudiot a encore fait des siennes. Un esprit aussi fragile ne peut tout comprendre dans une société qui pousse toujours plus loin les innovations. Dans ce mouvement permanent que l'on nomme progrès, il est parfois des individus qui restent sur le bord de la route, incapables de s'intégrer dans cette spirale infernale. Pour Berlaudiot, il en va tout autrement. Il n'a de cesse d'interpréter à sa manière ce qu'il perçoit dans ce vaste tourbillon des idées et des pratiques.
Ce jour-là nous vîmes notre gentil imbécile tirer une remorque à bras dans laquelle il y avait tout un bric-à-brac d'objets tous plus hétéroclites les uns que les autres et ayant manifestement des heures de vol. C'était d'autant plus surprenant que nous étions en semaine et que nul vide grenier n'avait été annoncé dans la cité.
Il ne fut pas moyen de s'enquérir de ses intentions. Quand le garçon a une idée dans le crâne, il est préférable de le laisser aller jusqu'au bout de son caprice avant qu'il ne se rende compte par lui-même qu'une fois encore, il commet une bévue. Il est ainsi de notoriété publique qu'il est illusoire de s'interposer devant cet énergumène à la tête de linotte.
Nous étions quelques-uns à le suivre à distance pour voir quelle nouvelle fantaisie il allait sortir de son chapeau. Ce drôle d'équipage emprunta la rampe qui mène à la passerelle piétonne qui longe le pont de chemin de fer. Qu'allait-il faire au Sud ? Nous n'eûmes pas à nous interroger car il s'arrêta bien vite, s'installant juste en dessous de la grande bande piétonne parallèle au canal.
Berlaudiot laissa sa remorque à poste et fit demi-tour. Nous craignîmes quelques instants qu'il ne vînt se plaindre de notre curiosité. Que nenni ! Il arriva à notre hauteur, tout sourire, de ce sourire béat qui illumine son visage dans pareille occasion. Il déplia une toile cirée, juste à l'aplomb de sa remorque, au beau milieu de cette promenade si empruntée.
Sans un mot, il s'en retourna vers son attirail. Nous le vîmes déplier une canne à pêche. Nous pensâmes qu'il avait l'intention de pêcher dans le canal de cette passerelle ce qui est rigoureusement interdit sans pouvoir comprendre l'usage dans pareil cas de la toile cirée. Nous n'eûmes pas longtemps à attendre pour éclairer nos lanternes...
Berlaudiot accrocha à sa canne un des objets qu'il avait transporté. Il ajouta une grande étiquette sur laquelle était écrit quelque chose. Nous étions trop loin pour réussir à lire. Puis, lentement, il dévida son fil de pêche pour que descende ce qui s'avéra être un vieil arrosoir. La descente s'acheva à deux mètres du sol, exactement au niveau de la nappe.
Nous pouvions enfin lire le message de notre imbécile. « Vente flash : 10 euros ! ». Poussant la curiosité jusqu'au bout, l'un de nous leva la main pour montrer à notre vendeur qu'il était preneur. Berlaudiot remonta l'arrosoir pour le décrocher et mettre à sa place une vieille laitière en fer blanc.
Cette fois, la descente se fit pour arriver à notre hauteur. Sur la laitière, un message : « Glissez l'argent dans la laitière pour que je vous envoie votre commande ! Ceci est un mode de paiement sécurisé » Notre camarade s’exécuta et peu de temps après, reçut son arrosoir par ce procédé révolutionnaire. Berlaudiot venait d'interpréter à sa manière les lois du commerce moderne.
Quant à la laitière, elle nous entraîna dans une série de spéculations oiseuses jusqu'à ce que l'un d'entre-nous découvre le pot aux roses : « Berlaudiot compte faire son beurre ! ». Nous partîmes d'un grand éclat de rire et devant l’ingéniosité de notre imbécile, nous mîmes tous la main à la poche pour acheter tout son bazar.
C'est un commerçant à la sauvette, fier comme Artaban qui descendit de son promontoire avec sa remorque vide et qui revint chercher sa toile cirée. Il nous remercia et déclara sentencieux : La vente en ligne sur la toile, ça marche du tonnerre de Dieu ! » Puis celui qui n'était pas si idiot que ça s'en alla d'un pas de sénateur. Quant à nous, nous avions bonne mine avec notre bazar !
Épilogue.
Quelques jours plus tard, Berlaudiot en mal de produits de première nécessité, voulut inverser le processus. Il installa le même dispositif en réclamant cette fois des denrées. Il pensait ainsi pouvoir pratiquer l'achat perché. Les poulets intervinrent pour que cesse les agissements de cet individu qui décidément poussait le bouchon trop loin. Pourtant ce Tsar Up eut bien mérité d'entrer au Lab' Eau de notre bonne cité.
53 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON