Ménisquerie
Une « affaire » de ménisque en 5 tableaux.
Et je vous le dis : "pour le sport, ce n’est pas vrai". Le culte du corps censé maintenir le poids, c’était pour la forme, pas pour le fond. Le parcours du combattant qui trottine impassible, c’était bon sous le soleil et le béton bien plat en longeant le bitume des plages de Californie, mais alors, à Bruxelles, en tous terrains, cela présentait quelques aléas...
Pourtant, j’avais eu un pressentiment et quelques frissons à l’idée que les sportifs de haut niveau poussaient parfois le bouchon trop loin. Pour mon cas particulier, participer n’était pas jouer dans les extrêmes, donc pas trop de risques, du moins le croit-on. Au total, un quart de siècle de jogging en douceur, en dilettante, sans compétition, du vélo pour compléter la panoplie des activités sportives. A l’insu de mon plein gré, des brusqueries furent du parcours et contribuèrent à ce qui allait suivre. Car, il y eu un retour de flammes, une mesquinerie, ou son anagramme, une « ménisquerie » en l’occurrence.
Le ménisque est ce "truc" qui sert à amortir notre position debout. Et, oui, l’homme n’était pas fait, au départ, pour se retrouver sur deux pattes. Alors l’évolution a dû parer au plus pressé et créé un amortisseur relativement fragile entre les deux pièces majeures de la jambes entre le fémur et le tibia, le ménisque, Son rôle de cale assure l’amortissement de la marche et la course. Le malheur, il ne résiste pas dans la durée ou dans l’exception d’une utilisation moins prévue par l’évolution. Je suppose que celle-ci n’avait pas pensé que le sport eu existé, un jour. Alors, sans respect de Dame Nature, c’est l’arthrose ou la fracture qui guette. Faire un sport avec pondération et précautions fait monter la niveau de la dopamine et l’envie de continuer.
Un amortisseur, disais-je ? Serait-ce comme l’amortisseur de la bagnole ? Un McPherson, en quelque sorte ? Je ne pensais pas réaliser une pub des amortisseurs de la bagnole, mais, pour le cas, cela me parait une occasion opportune. Un design de la géométrie de suspension du ménisque qui n’aurait pas été à la bonne hauteur de la tâche ? Une faiblesse du mécanisme ? Contre quel concepteur se retourner pour vice de construction ? Premier secours, le médecin généraliste en avait avec des pommades pour mettre du baume sur un genou désemparé. La guérison n’était pas garanti sur facture. Le temps passait et faisait ce qu’il peut pour faire oublier le problème.
Progressivement, pourtant, la douleur imperceptible du début prenait mon genou à revers et s’incrustait insidieusement à ne plus me permettre une position accroupie trop longue.
Un mouvement banal, imprévu et ce fut l’entorse, l’origine d’une douleur qui me reste en mémoire et m’imposa l’arrêt complet. Une visite chez le "réparateur", des palpitation de l’endroit incriminé et ce fut le transfert à l’étape suivante : l’IRM.
Machine imposante que cette machine. Elle vous impose l’immobilité pendant 20 minutes. Pour vous faire passer le temps et pour vous faire oublier le bruit de mitraillette, un casque avec de la musique de Mozart vous est proposé. Dans mon cas, on avait malheureusement oublié qu’on allait arriver à fin de bande cinq minutes après. Résultat, j’ai eu droit à beaucoup de bruit et peu de Mozart. Mais passons...
L’Imagerie de Résonance Magnétique, comme l’appelle les initiés, confirmera le diagnostic du généraliste : le ménisque est fatigué.
Pourtant, tout semblait léger, impalpable, discret d’après le diagnostic. En résumé et sans aller dans trop de détail fort peu explicatifs pour le commun des mortel, on trouvait :
-
remaniement dégénératif global de la corne postérieure du ménisque interne avec fissurations multiples du bord inférieur.
—> Dégénératif global de la corne ? Non, mais, faut pas pousser, me disais-je
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épanchement articulaire modéré.
—> faire dans la modération, cela me bottait.
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œdème sous-cutané global. Discrète inflammation derrière le tendon semi-membraneux distal sans exclure un antécédent de rupture de kyste poplité.
—> La discrétion y avait rien de mieux pour suivre ma philosophie. Retrouver cela, jusque dans mon genou, c’est chic. Quant au côté "pop", pourquoi pas ?
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très discrète chondropathie fémoro-patellaire et fémoro-tibial interne. Discrète tendinose du tendon sous-rotulien.
—> un ramollissement du cartilage, dit Wiki. Du cartilage, peut-être. Mais faut pas se tromper, je ne suis pas fait uniquement de cartilage.
C’est vrai, on dégénère avec l’âge, on s’épanche très sentimentalement, on s’enflamme plus vite et les raideurs se déplacent.. c’est écrit dans notre gènes. Les photos sont là pour prouver tout cela. Sur DVD, plus holographiques qu’en images 3D, cela permet de le voir sous tous les angles. Pas besoin de lunettes spéciales que l’on trouverait suite à la révolution du 3D annoncée sur nos écrans télés..
Tableau 2 : Dès lors, on se perd en conjectures. On se confond en conjonctures.
Dans la même source, il est dit "il n’y a pas d’urgence : laisser en place une lésion méniscale n’aggrave pas l’état du genou et ne complique pas une éventuelle opération faite ultérieurement si elle devenait nécessaire en raison de l’aggravation de la symptomatologie fonctionnelle.".
Pas de blocage, en effet, la flexion reste libre, mais la sécurité d’emploi n’est plus assurée et les chaussures de jogging devront se résoudre au vestiaire dans ces conditions. Armer de plusieurs conseils de ceux qui sont passés à l’étape "exécution", qui ont réussi une remise à neuf, on se décide à consulter un chirurgien. Sur place, les explications de ce qu’est un genou. Censées rassurer ou, au contraire, à vous insurger sur le "créateur" de ne pas avoir pensé à mieux consolider l’ensemble. Une voiture, car on y pense, on lui donne des rotules et des amortisseurs en fonction de la carrosserie qu’elle supporte. Dans le monde des bipèdes, il y a bien plus adapté à la course. Vous avez déjà vu, vous, des kangourous avec des problèmes de ménisque ?
L’intervention, l’arthroscopie, consiste à enlever le cartilage usé et de le "resurfacer", c’est à dire, en garder le maximum. Pas de régénération automatique possible car il n’y a pas de sang qui abreuve les sillons pour y arriver. Dans mon cas, on ne parle que de resurfaçage, pas d’ablation du ménisque. Sauvé, me devrais-je me dire.
Les lésions sont soit traumatiques, soit non traumatiques. Accidentelles ou dégénératives. Ou cela saute en une fois, ou c’est avec le temps, mais on y passerait, tôt ou tard.
Traumatiques, ressenties de manière indirecte. Très fréquentes, non traumatiques, les lésions sont à associer à des patients d’âge mûr présentant des douleurs progressives. Symptomatologie cyclique, avec épisodes douloureux plus ou moins longs.
"J’aime tes genoux, ils me rendent fou", chantait Henri Salvador. Quant à suivre les paroles, "le reste je m’en fous", c’est à voir. La "bête" veut encore du ressort.
- Palper, Docteur, prenez votre temps, et vous serez considéré. Même si je n’ai pas celui qui devrait exciter votre regard.
Tiens, si je l’appelais, Henri ?, pensais-je. J’avais bien appelé un de ses prédécesseurs, Claude, lors d’une autre affaire de pièces défecteuses.
Le modus vivendi se fait avec écran interposé. J’espère simplement qu’il ne se trompera pas de cassette vidéo.
Il inspire confiance, cet Henri. Étape suivante, fixer un rendez-vous avec lui et avec les autres praticiens pour confirmer que tout est en ordre d’opération.
Son agenda bien rempli, pourrait expliquer que vous n’êtes pas seul à avoir des démêlées avec la nature fragile de l’homme.
Tableau 3 : Au préalable, un rendez-vous combiné dans un timing serré comprendra la visite pour l’électrocardiogramme, l’entrevue chez l’anesthésiste et la traditionnelle prise de sang. Du côté, électro pas de commentaires folichons si ce n’est que les électrodes sur le corps me faisait penser à un film dont je ne me souviens plus du nom.
Avec l’anesthésiste, par contre, une dame avec le bonnet vert sur la tête et un tablier tout aussi vert, me faisait penser à une écolo en service, donc, parfaitement dans l’air du temps. Une discussion suivit pour faire connaissance du type de ce vieux film "Je ne bois pas, non, je ne fume pas, non, je ne drague pas, mais... je cause".
Dans ce film, d’après Wiki, il s’agissait "d’une femme de ménage, a trois clients, un caissier suppléant à la prévoyance de crédit, une présentatrice télé et un éducateur d’enfants, et apprend certains de leurs secrets assez inavouables. En révélant habilement ces secrets, elle arrivera à ce que le caissier fasse chanter la présentatrice qui fera chanter l’éducateur qui fera chanter le caissier....et la boucle est bouclée...".
Il faudra que je revois cela dans le détail pour m’y reconnaitre ou non. Pour les secrets de "fabrication", j’ai été informé. Pas femme de ménage., donc pas question de faire chanter.. Pour continuer la boucle, il faudra attendre 3 semaines.
Quant au choix de la formule du dodo complet ou partiel, j’ai le choix et j’en profite. J’en veux pour mon argent, ma séance de rattrapage, je la veux éveillée.
Une consultation sur Internet m’informera, plus tard, que l’anesthésie partielle se fait par péridurale. Celle-ci s’adapte plus à l’autre moitié de l’humanité : les femmes. Femmes qui doivent accoucher par césarienne dans des situations difficiles. César, j’aimais son histoire mais moins sous la forme de césarienne. Piqure dans le dos entre vertèbres plus basses que là où passe moelle. J’en arrive à espérer seulement que l’anesthésiste est une championne de tir aux fléchettes et pas du tir au pigeons.
Fin du tableau à la prise de sang. Rien de passionnant. Bon sang ne saurait mentir, dit-on. Je ne vais pas déroger à ce dicton riche en valeur intrinsèque.
Tableau 4 : C’est le grand jour et le « One day » commence. The longest day of the week. Déjeuner frugal avant 7:00. A 10:30, l’admission à la clinique. Dans la chambre, déjà un autre candidat à la "charcuterie fine". Espagnol, parlant anglais. Lui, il a pris un gros bouquin pour passer le temps. Il a raison car du temps, il en faudra en quantité non négligeable. Pour moi, les "festivités" commenceront à 15:00. Lui, ce sera vers 17:00. A l’heure dite, c’est le transport de la "victime consentante" et me voilà véhiculé jusque dans le saint des saints. Là, on s’affaire déjà pour l’invité. de marque Toutes les infirmières aidantes d’Henri, les "Henriette", avec le petit bonnet vert sur la tête, s’agitent. Toutes masquées pour le bal des gens biens ? Je ne manque pas de faire une relation avec la mode dans un cadre d’AH1N1. On sent que le scénario est bien rodé. L’arrivée du maître "Henri" ne passe pas inaperçu avec son bonnet de pirate bleu avec de jolies fleurs rouges. Son collaborateur, lui, se limite au bleu roi. Chacun son grade. Le patient lui, avec un bonnet de pâtissier blanc sur la tête ne peut pas concurrencer. Voilà, la maitresse de mon sommeil. Elle va me donner la piqure dans le dos pour m’envoyer le bas du corps dans les bras de Morphée. Cette piqure en s’infiltrant ; me donne une chaleur progressive. Je résiste, beaucoup, un peu, plus du tout. Me voilà, cul de jatte. La jambe jaunie par les désinfectants, un drap sur le corps, un écran vidéo planté devant les yeux, je vais assister à mon Voyage fantastique.
Pour commencer, pas même de générique de la « 20th Century Fox ». Ce ne sera pas, non plus, dans un vaisseau mais le chemin suivi par une mini-caméra qui se charge de l’arthroscopie, sur un écran même pas cinémascope. Introduit dans le genou, la sonde miniaturisée avec caméra, la fraise, la pince coupante et l’aspirateur s’articulent de l’extérieur par 3 petits trous. Pas de laser, comme dans le film d’il y 45 ans. Une pitié, beaucoup moins poétique et moins coloré tout cela, me dis-je. Faut pas trop rêver dans mon état.
Ma "Rachel Welch" m’a endormie le bas. Le haut reste en éveil. Dommage qu’elle ait pris un peu d’âge depuis le film. En direct, je reçois par toutes les explications sur le voyage par Henri, qui en devient, de fait, Le Navigateur,
Tout à coup, pour casser l’illusion, voilà qu’il me demande :
- "Avez-vous déjà fait de la plongée ?"
- "Rien qu’en surface", répondis-je, intrigué.
- "Vous ne trouvez pas que cela ressemble aux anémones ?", me dit-il.
Ouais. Mais, j’imagine, tout de suite, le poisson clown au milieu et cela brise le charme de la mer Rouge.
Je ne lui révélerai pas mon voyage, à moi. Celui-là avait été bien plus fantastique, encore.
Le temps passe vite. Fin du scénario. Le film s’arrête. Retour du "Dream land".
Tableau 5 : Retour dans la grande salle de réveil. Là, c’est l’heure de pointe et les parkings sont pleins. Les embouteillages se succèdent. La règle est "Longest in, first out" est de rigueur. On circule dans tous les sens. Les portes claquent. Un véritable courant d’air s’ensuit. Nouvelle période d’attente sous le regard attentif des appareillages et d’autres « Henriette ».
Les complications post opératoires sont connues. Toutes très rares d’après Internet. L’arthrite (0,5%). L’hémarthrose, le fameux épanchement de la "gentille Sidonie" (0,5%). Le beaucoup moins drôle syndrome algodystrophique, responsable de raideur encore plus rare. Comme je n’ai jamais gagné de gros lots, je ne désirerai même pas de lot de consolation.
Retour dans la chambre. Autre parking. Une attente « défébrilisée » du réveil du bas du corps qui commence très doucement.
Pour retourner chez soi, comme prévu, l’anesthésie par péridurale demande, parait-il, un examen de passage qui ne vient pas : uriner. Alors, là, on fait couler de l’eau, on imagine une source mais le petit oiseau reste muet. Pas question de penser honorer ses devoirs conjugaux pour la soirée.
A 20:00, c’est le passage d’Henri et de son collaborateur. Conseils et visites futures à prévoir.
Le pipi pour ticket de sortie ? Non, ils ne l’auront. Je me le réserverai pour plus tard à la maison. Pour ces choses là, il faut une remise en condition.
Pas de brusquerie dans la « ménisquerie ». C’est promis. Le temps va prendre son temps et puis, patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.
Dans le « home, sweet home », on passe le temps à l’abri des intempéries avec le blanc de la neige comme seul tableau. On attend que le genou récupère les attitudes d’antan.
Le compteur de dopamine interne, lui, rejoint la température du thermomètre hivernal en externe.
Qui dit "neige" dit ski, qui dit "ski" dit nouvelles fractures du ménisque en perspective cavalière.
Le sport, actuellement, c’est, pour moi, un futur indéterminé. A mesquinerie, mesquinerie et demi. Il parait que la balance a dû ajouter quelques centaines de grammes en plus au compteur.
Suite à l’écran pendant la con_valescence. Qui sait, sur l’écran noir de mes nuits blanches ?.
Depuis, j’aime mon genou. Me rendrait-il fou ?
Voilà, qu’il faut le bichonner, le glacer, l’allonger...
Hier, j’écrivais le Journal d’une quille.
Aujourd’hui, c’est l’épisode de la béquille.
Et pour demain, on se met à imaginer, à rêver, à extrapoler...
Et, la quille resquille.
L’enfoiré,
Citations :
-
"Un baiser au creux du genou est un papillon de nuit sur une moustiquaire...", Anne Sexton
-
"Une opération n’est jamais inutile. Elle peut ne pas profiter à l’opéré... Elle profite toujours à l’opérateur.", Georges Feydeau
-
"Dans tout ce que la nature opère, elle ne fait rien brusquement." Jean-Batiste Lamarck
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