1988-1989, la naissance de Williams-Renault
De retour en 1989 en F1 après l’interdiction des moteurs turbos par la FIA, Renault était motoriste et partenaire exclusif de l’écurie Williams, quadruple championne du monde des constructeurs (1980, 1981, 1986, 1987). L’alliance entre le Losange et le team de Didcot déboucherait sur neuf couronnes mondiales (quatre chez les pilotes, chez les constructeurs) en neuf saisons ... L’association sera tellement bénéfique que Renault lancera en 1993 la Clio Williams, série limitée de sa citadine lancée avec succès depuis juin 1990 en remplacement de la Renault 5.
En 1986, Patrick Faure, secrétaire général de Renault et président de Renault Sport, annonce le retrait du constructeur français en Formule 1.
Motoriste de Lotus, qui a accumulé les pole positions en 1985 et 1986 grâce à la virtuosité d’Ayrton Senna, Renault avait retiré sa propre écurie fin 1985, deux ans après avoir frôlé la couronne mondiale des pilotes avec Alain Prost. Mais 1983 avait sacré Nelson Piquet et Brabham-BMW.
Le 17 novembre 1986, la marque au Losange est frappée par l’assassinat de Georges Besse, son PDG, par Action Directe. Le groupe terroriste d’extrême-gauche venge ainsi l’assassinat de Pierre Overney, militant tué en 1972 par un vigile de la régie Renault, ainsi que les nombreux licenciements dans le groupe au début des années 80, conséquence d’un désastre économique.
En 1986, l’entreprise Renault va mal, le groupe n’a plus les moyens de s’impliquer dans une compétition aussi coûteuse que la F1. La privatisation de la Régie s’amorce entre 1992 et 1996. C’est Raymond Lévy, sur décision du gouvernement Chirac et du Ministre de l’Industrie, Alain Madelin, qui prend les rênes de l’entreprise. Le constructeur automobile, endetté, est alors frappé de mauvaise réputation, phénomène amplifié par le lancement raté de la Renault 25 en 1983. La clientèle étrangère se rabat sur les valeurs sures du marché allemand, BMW et Mercedes, et se détourne de Renault. Le nouveau credo de Lévy devient la qualité de fabrication ...
Ayant jeté l’éponge pour 1987 en F1, Renault laisse donc Ferrari, Honda, Porsche et BMW en découdre avec leurs moteurs turbos sur les circuits d’Europe et du monde ... C’est en pleine apothéose des turbos que le Losange quitte la scène, alors que c’est Renault qui a introduit, dès 1977, le concept de suralimentation en F1.
Fin 1987, Nelson Piquet, qui vient de remporter son troisième titre de champion du monde, quitte Williams Honda pour Lotus.
Pire, l’écurie Williams perd le moteur Honda au profit de McLaren, sa grande rivale parmi les top teams ... Les pourparlers entre Honda et McLaren avaient commencé dès 1986, mais Ron Dennis avait commis un impair. En déplacement à Tokyo avec Alain Prost, le patron de l’écurie anglaise avait voulu relire une dernière fois le contrat avant de signer ... Les Japonais, vexés, avaient alors mis terme aux négociations ...
Mais Honda avait été profondément déçue de l’épilogue du championnat du monde 1986. Williams disposait de la meilleure monoplace, mais Mansell et Piquet s’étaient mutuellement chipés des points, permettant à Alain Prost de conserver sa couronne, acquise en 1985.
Malgré la domination insolente de Williams en 1987, Honda avait décidé de quitter l’écurie anglaise ... Le motoriste japonais ne jurait que par trois pilotes ... Alain Prost, courtisé également par Ferrari début 1987 après sa victoire à Rio de Janeiro, Ayrton Senna, que les ingénieurs nippons considéraient comme l’ultime incarnation du samouraï, et Nelson Piquet, sprinter virtuose ... Voulant s’assurer que ses moteurs seront pilotés par ces trois champions, Honda choisit donc de s’associer à McLaren en 1988, tout en continuant à équiper Lotus.
De plus, Woking a réussi un coup de maître en engageant Ayrton Senna, virtuose de chez Lotus, Piquet ayant refusé de signer chez McLaren pour ne pas s’astreindre aux éreintantes tournées promotionnelles imposées par Marlboro.
De son côté, l’écurie Williams délaisse les turbos et anticipe la future réglementation qui entrera en vigueur en 1989. Dès 1988, Williams se dote d’un moteur atmosphérique, un V8 Judd.
Chez Renault, une cellule de veille a été mise en place sous les ordres de Bernard Dudot, à Viry-Châtillon, fief historique de Renault Sport. Dès 1987, cette cellule technique est chargée de réfléchir à la future technologie des moteurs atmosphériques. Dudot et ses hommes envisagent déjà une architecture V10 pour un avenir plus ou moins proche ....
En ce printemps 1988, Bernard Dudot achève à Viry-Châtillon la conception d'un V10 Renault atmosphérique destiné à la Formule 1. Le retour de la firme au Losange se dessine peu à peu, mais nécessite encore les feux verts de son PDG Raymond Lévy et de Michel Pecqueur, le patron d'Elf. Car Renault compte fermement associer à ce projet son allié historique. L'inévitable François Guiter surveille l'affaire de très près.
En outre, la Régie ne reviendra en F1 qu'avec un grand partenaire, ce qui exclut donc une écurie française... Larrousse et AGS sont de trop petites structures, tandis que l'irascible Guy Ligier compte de nombreux ennemis quai du Point du Jour à Boulogne-Billancourt. Patrick Faure, le président de Renault Sport, entame des pourparlers avec Williams et Lotus. Ceux-ci se dénouent assez rapidement. Abandonné par Honda fin 1987, Frank Williams rêve de s'allier à un autre géant de l'automobile et son équipe, riche et expérimentée, offre toutes les garanties de réussite possibles. Ce n'est pas le cas de Lotus qui, malgré l'appui de Camel, n'est désormais plus qu'une officine de taille moyenne, incapable de rivaliser financièrement avec les géantes que sont McLaren, Williams ou Ferrari. Peter Warr est embarrassé. Les maigres résultats de Lotus ne justifient plus son alliance avec Honda. Comment pourrait-il alors séduire Renault ?
Malgré ses difficultés actuelles, le Team Lotus gardait encore fin mai un mince espoir d'obtenir le futur V10 Renault atmosphérique. Partenaire potentiel privilégié, Frank Williams devait en effet rompre avec Mobil pour pouvoir s'associer avec la firme au Losange, alliée à Elf. Mais à Mexico, Dominique Savary, l'adjoint de François Guiter, a annoncé à Peter Warr qu'un accord de principe entre Williams, Renault et Elf était conclu pour 1989. La grande coalition franco-anglaise verra le jour à Didcot. Frank Williams accepte de sacrifier Mobil sur l'autel de ses ambitions. Son écurie n'a inscrit qu'un misérable point depuis le début de cette saison 1988, celui de la sixième place de Riccardo Patrese dans le dédale de Monaco. John Judd n'est qu'un associé de transition. Après le divorce avec Honda, Williams avait besoin de retrouver au plus tôt le soutien d'un géant de l'automobile. C'est désormais chose faite.
Le 7 juin 1988, Renault et Williams officialisent leur partenariat pour trois saisons, jusqu'en 1991, avec une exclusivité pour 1989. Il n'est fait aucune mention d'Elf qui doit maintenant négocier l'octroi de compensations avec Mobil. Pour le géant américain, cette rupture avec Williams est un coup très dur.
Ce même jour, à Abrest, Guy Ligier surveille le déménagement de ses ateliers lorsqu'il reçoit un coup de téléphone de Dany Hindenoch. Celui-ci lui annonce la conclusion de l'alliance Renault-Williams. Ligier explose de colère. Il se fait le chantre d'un patriotisme sourcilleux. Selon lui, Renault trahit le sport automobile français en s'alliant avec un constructeur britannique. Moi, je roule anglais, avec Judd, parce que je n'ai pas d'autres solutions... soupire-t-il. Sa stupeur étonne son entourage. Comment une équipe de fond de grille comme Ligier, qui n'a inscrit qu'un seul point en un an et demi, pouvait-elle sérieusement espérer obtenir en exclusivité le moteur Renault ? Les journalistes prennent de moins en moins au sérieux le patron des « Bleus »...
En avril 1988, Guy Ligier a chargé Jean-Pierre Paoli et Dany Hindenoch de dénicher un ingénieur de renom afin d'épauler Michel Tétu, rattraper le cuisant échec de la JS31... et sauver son écurie d'une inexorable décadence. Les deux hommes jettent leur dévolu sur Frank Dernie, l'expérimenté adjoint de Patrick Head.
Tenu à l'écart des pourparlers avec Renault par un Frank Williams méfiant, Dernie accueille favorablement leurs avances. Le 24 juin, il rencontre Ligier, Paoli et Hindenoch et paraphe son contrat avec l'équipe vichyssoise. Ligier le « patriote » recrute un ingénieur britannique ! L'affaire n'est néanmoins pas tout à fait conclue car Dernie doit un préavis de douze mois à Williams. Or, ce dernier est bien décidé à marchander l'allègement d'une telle contrainte. Une fois arrivé au Castellet, Ligier délègue Hindenoch auprès du maître de Didcot pour négocier. Celui-ci n'accorde que de petites concessions. Décidément, Williams joue bien avec les Français... soupire Guy Ligier. Il va nous prendre de l'argent à propos de Dernie et il recevra gratuitement les moteurs Renault...
En mai 1988, Patrick Faure, président de Renault Sport, reçoit l’aval du PDG Raymond Lévy pour un retour en F1. Raymond Lévy ne pose qu’une seule question à Patrick Faure :
- En combien de temps pensez-vous pouvoir gagner ?, demande l’ancien polytechnicien (X 1946, promotion comprenant aussi Serge Dassault)
- En trois ans, répond l’ancien énarque (promotion Charles-de-Gaulle en 1972, comprenant également Alain Juppé)
Dans l’optique d’un retour en 1989, l’objectif de Renault Sport serait donc de remporter le titre mondial dès 1991. Patrick Faure ne se trompera que d’un an, Renault étant sacré en 1992.
Le 7 juin 1988, Bernard Casin et Patrick Faure rejoignent Londres par un vol de la British Airways. Une voiture prend ensuite le relais jusqu’à Didcot, dans l’Oxfordshire, chez Frank Williams ... Le président et le directeur de Renault Sport sont reçus par le team manager anglais, pourtant francophobe notoire. Mais Bernard Casin a préparé le terrain plus d'un an auparavant.
Pour Frank Williams, paraplégique depuis un accident de voiture près de Marseille en 1986, la course est désormais toute sa vie puisque le voilà prisonnier de son propre corps ... L’écurie Williams est donc l’obsession du génial directeur d’écurie ...
Mais Bernard Casin fut le premier Français, en avril 1987, à rendre visite à Frank Williams, dans son manoir situé près d'Oxford. Accompagné de Jean Sage, Casin avait apporté au patron des Williams des photos datant de janvier 1986, au Brésil, alors qu'il courait sur la plage de Rio de Janeiro.
Très touché, Frank Williams avait alors accepté de revoir chaque mois Bernard Casin, s'ouvrant de plus en plus à son interlocuteur. Trahi par Honda, Frank Williams acceptait la main tendue par Renault. Pendant que Bernard Casin rendait secrètement visite à Frank Williams à Oxford en 1987-1988, Patrick Head en faisait de même auprès de Bernard Dudot, motoriste de Renault Sport, à Viry-Châtillon, où la cellule de veille du Losange travaillait d'arrache-pied, prête à tout moment à relever le défi d'une joute avec Honda et Ferrari.
Fort de la flatteuse réputation acquise par Renault lors de l’époque des turbos (1977-1988), un accord est vite trouvé, d’autant que Williams se doit de retrouver un partenaire de haut niveau pour contrer l’axe McLaren - Honda, et ses deux pilotes d’exception que sont Alain Prost et Ayrton Senna. Frank Williams s'avère féroce sur deux clauses du contrat : sa durée et le montant du dédit. Trahi par Honda qui avait préféré jouer la carte McLaren, l'homme est devenu sceptique. Il applique donc sa loi du talion avec Renault. Egalement marqué par les départs en fracas de Keke Rosberg (fin 1985) mais plus encore de Nelson Piquet (fin 1987), Williams sera le seul à décider du choix de ses pilotes, au grand dam du Losange. En 1990, Renault avait en tête l'espoir français Jean Alesi ou le virtuose Ayrton Senna pour la saison 1991, le président Raymond Lévy étant prêt à verser des sommes colossales. Mais la venue du prodige de Sao Paulo restera utopique jusque fin 1993 pour Williams et Renault ...
Durant la saison 1988, McLaren écrase la F1, Williams se contenant d’une année de transition avec un V8 Judd atmosphérique ... Bernard Dudot, un des meilleurs ingénieurs motoristes de l’époque turbo avec Paul Rosche (BMW) ou Osamu Goto (Honda), est le père du futur V10 Renault atmosphérique. Renault devra se frotter à deux rivaux de taille, Honda, qui se lancera également sur le V10, et Ferrari, qui conserve son V12 historique (le V12 sera abandonné par la Scuderia fin 1995).
Au soir du Grand Prix de France, Nigel Mansell se rend à Lausanne pour parapher son contrat avec le Marlboro World Championship Team, prélude à son engagement officiel avec Ferrari. Celui-ci se concrétise quelques jours plus tard. L'avocat de la Scuderia Henry Peter se rend dans l'Île de Man, au domicile du Britannique, lequel annonce lui avoir concocté une « petite surprise » pour célébrer l'événement. Il le fait patienter une bonne heure avant de l'entraîner dans son jardin. Mansell demande à Peter de lever les yeux au ciel. Les jets des Red Arrows, la célèbre patrouille de la Royal Air Force, fendent alors les nuages et passent au-dessus de la demeure du pilote. C'est un jour important. Le plus grand pilote britannique lie son destin à la plus grande écurie de Formule 1 ! proclame Nigel, ravi de son effet, avant de signer le fameux contrat. De retour en Italie, l'avocat éberlué ne manque pas de répéter que Mansell a convoqué la RAF pour saluer son arrivée chez Ferrari. Six mois plus tard, il apprendra que les Red Arrows, en manœuvre, passent tous les jours au-dessus de l'Île de Man, à heure fixe...
Dégoûté par le niveau calamiteux de la Williams-Judd (il n'a pas fini une seule course à son volant en 1988 au soir du Grand Prix de France), Mansell n'est pas davantage convaincu par la future association Williams-Renault, et saisit l'opportunité de rejoindre une Scuderia Ferrari en pleine mutation. Pour cet excellent soldat longtemps sous-estimé, sorti du rang à la seule force de son poignet, être accueilli dans le saint des saints de Maranello est un superbe aboutissement. Et tant pis si en 1986 il avait déjà signé un pré-contrat avec Marco Piccinini, dénoncé au bout de quelques jours... Mansell/Ferrari, c'est en tout cas le choc des mentalités. Comment le brave Nigel, très « brut de décoffrage » et dépourvu de tout sens de la diplomatie, va-t-il se mouvoir au sein d'une super structure traversée de tout temps par les querelles byzantines ? Ne saisissant pas un mot d'italien, il me sera difficile d'être au centre d'une polémique. Je suis un pilote, pas un politicien ! avoue-t-il benoîtement. Les observateurs avisés se gaussent de sa naïveté... Heureusement, sa future cohabitation avec Gerhard Berger s'annonce pacifique car les deux hommes se connaissent bien et, sans être amis, entretiennent des relations de bonne camaraderie.
Le successeur de Mansell à Didcot sera Thierry Boutsen. Les négociations entre Frank Williams et Ortwin Podlech, l'agent du pilote bruxellois, ont commencé à Monaco. Boutsen était également sollicité par Ferrari. Depuis son entrée chez Benetton en 1987, la cote de ce pilote sérieux, rapide et polyvalent (il a longtemps brillé en Endurance et en Tourisme), ne cesse de monter. Boutsen est séduit à l'idée d'intégrer un « top-team » et surtout de prêter son concours au retour de Renault en Formule 1. En outre, il n'est guère convaincu par le futur V8 que prépare Ford et craint de stagner chez Benetton. Chez Williams, l'historique et le potentiel de l'écurie me paraissent plus riches que chez Benetton, explique-t-il. L'arrivée de Renault constitue un formidable atout supplémentaire. Je perçois la stratégie de Renault comme la deuxième offensive d'un grand constructeur qui a analysé les raisons de son relatif échec initial et s'est donné les moyens de revenir au plus haut niveau [...] Je quitte une bonne équipe pour une grande équipe, résume-t-il, sûr de son choix. Pourtant, à Silverstone, Davide Paolini et Luciano Benetton en personne tentent de le retenir en lui offrant de doubler son salaire. En vain. Boutsen et Podlech signent le contrat rédigé par Williams.
Frank Williams opère ce recrutement avec le plein soutien de Renault. Boutsen nous intéresse depuis longtemps, affirme ainsi Bernard Casin, le directeur général de Renault Sport. C'est un grand pilote en devenir. Il présente, en outre, l'avantage d'être francophone. Son profil d'Européen correspond à l'image que nous voulons donner de la présence de Renault en F1. Nous ne pouvons plus nous contenter d'être hexagonaux. Nous rejetons l'hyper-nationalisme pour un supranationalisme. A bon entendeur... Renault hume et suit l'air de temps, qui est à la globalisation économique, au libre-échange et à l'intégration européenne. Par le biais des délocalisations, les constructeurs automobiles en concurrence sur le marché international se détachent peu à peu de leurs patries d'origine. Ce déracinement de la production a pour corollaire l'internationalisation des services compétitions. Renault ne représente plus la France. Il ne faut plus compter sur elle pour soutenir les pilotes nationaux. Beaucoup ne le perçoivent pas encore en cet été 1988...
Le deuxième baquet chez Williams semble disponible puisque Riccardo Patrese, constamment dominé par Nigel Mansell en 1988, ne devait pas être conservé à l’origine pour 1989. Michele Alboreto était le favori pour lui succéder à Didcot. Son protecteur le comte Zanon est ainsi aperçu à Budapest en compagnie de Frank Williams, de même que son agent Domingo Piedade. Pour l'heure, Williams annonce le recrutement de Martin Brundle comme pilote de développement pour la future Williams-Renault.
Les premiers essais de la future monoplace Williams-Renault ont lieu le 5 octobre 1988 à Rio de Janeiro avec Thierry Boutsen et Riccardo Patrese.
En mars 1989, sur le circuit carioca de Jacarepagua, Williams et Renault entament leur collaboration, qui se terminera en apothéose le dimanche 26 octobre 1997 à Jerez, en Andalousie, par le sacre mondial du Canadien Jacques Villeneuve.
Le premier succès intervient au Canada en 1989 avec Thierry Boutsen. Sous la pluie, le pilote belge profite de l’abandon de la McLaren de Senna pour s’imposer, signant le doublé sur le circuit Gilles-Villeneuve, suivi par son coéquipier Riccardo Patrese. Mais Frank Williams souhaite rapidement améliorer son tandem de pilotes, jugeant le Belge et l’Italien trop tendres pour la quête du Graal, le titre de champion du monde.
Durant l’été 1989, toujours en quête d'un volant, Alain Prost explore la piste Williams-Renault. Mais ses entretiens avec Patrick Faure, Bernard Casin (Renault Sport), François Guiter et Dominique Savary (Elf) tournent court. Dans la lignée de son projet d’écurie France envisagé depuis une discsussion en mars 1986 à Rio de Janeiro avec son ami Hugues de Chaunac, Prost veut prendre totalement en main l'entreprise, ce à quoi s'opposent le Losange et évidemment Frank Williams. Quelques jours avant la course de Silverstone en juillet 1989, Prost rencontre Cesare Fiorio sur le yacht F-400 de Gianni Agnelli, au large de la Sardaigne. Cette entrevue se révèle fructueuses et ouvre la voie à des négociations avancées. Le double champion du monde en confie la direction à son avocat Me Jean-Charles Roguet, lequel entame des tractations avec Fiorio et Luca Di Montezemolo, le bras droit de Gianni Agnelli et ancien directeur sportif de la Scuderia en 1974-1975, avant d’en devenir le président fin 1991 en remplacement de Piero Fusaro (et indirectement grâce à Prost, par effet boomerang du licenciement express du Français après l’épisode du camion à Suzuka).
Le mariage Prost / Ferrari pour 1990 est annoncé à Monza, ce qui laisse Frank Williams déçu mais fair-play ... Il faut dire que Williams et Patrick Head ne sortent leur nouveau châssis FW13 qu’en Espagne, à Jerez, à deux courses de la fin du championnat du monde 1989. On a connu de meilleures façons de se faire de la publicité auprès d’un authentique champion comme Prost.
1990 marque une stagnation de l’équipe Williams-Renault avec une campagne très moyenne, deux victoires à Imola et Budapest mais une quatrième place finale derrière McLaren, Ferrari et Benetton. Le châssis FW13 était un véritable fiasco, Williams ne confirmant pas les promesses entrevues en 1989. Mais ces espoirs déçus n’entravent pas la progression de l’écurie anglaise, qui va profiter également des guerres politiques qui vont miner la Scuderia Ferrari en interne à l’horizon 1990-1991.
1991 marque le retour au bercail de Mansell, après un purgatoire de deux ans à Maranello. Thierry Boutsen a été congédié, jugé trop tendre par Frank Williams, qui aime les pilotes de tempérament dans la droite lignée des Alan Jones et Keke Rosberg. Nigel Mansell fait partie de cette race de pilotes qui pilotent avec agressivité, force et absence totale de calcul. Mansell ne dissimule que rarement son goût pour l’offensive.
C’est en 1991 que Williams et Renault se battent pour la première fois pour le titre. Mais leur début de saison catastrophique, malgré le panache de Mansell et une belle remontée, les condamnent au final contre Senna et McLaren. Woking bat finalement Didcot au Japon. A Barcelone, Mansell avait gratifié le monde entier d’un vertigineux dépassement sur le roi Senna, au bout de la ligne droite ... Senna reste encore roi de la jungle mais Mansell va enfin sortir du rôle de proie ... Le chasseur va obtenir en 1992 les fruits de ses efforts ...
Les premiers titres mondiaux arrivent donc en 1992 avec Nigel Mansell. C’est à Budapest que le pilote anglais atteint son Graal, qui récompense tant d’exploits et de panache depuis 1985, année de son éclosion au plus haut niveau mondial.
Les moteurs V10 RS3 et RS4, véritables bijoux de puissance et de souplesse, assurent à Williams un avantage colossal sur la concurrence, au moment où Honda se fourvoie sur son V12, où Ferrari n’en finit plus de s’empêtrer dans un guêpier politique et où Ford n’investit pas suffisamment pour faire de son V8 l’arme absolue ...
Conjugués aux merveilleux châssis dessinés par Adrian Newey (recruté en 1991 par Patrick Head), les moteurs Renault font des Williams de véritables fusées ... Très vite, le paddock comprend que Newey est un ingénieur aérodynamicien de génie, digne des plus grands anciens, Rudolf Uhlenhaut (Mercedes), Colin Chapman, Mauro Forghieri (Ferrari), John Barnard (McLaren, Ferrari) ou encore Gordon Murray (Brabham, McLaren)
Les Williams-Renault obtiennent 15 poles positions en 1992, idem en 1993, une véritable hégémonie en performance pure, comme les invincibles McLaren Honda de 1988 et 1989. Mieux encore ... entre le Grand Prix du Canada 1992 (pole de Senna sur McLaren Honda) et le Grand Prix d’Australie 1993 (pole de Senna sur McLaren Ford), Williams-Renault signe 24 poles consécutives avec Mansell, Patrese, Prost et D.Hill, record absolu dans l’histoire de la F1 !
Les 63 victoires obtenues par le couple Williams-Renault font une moyenne de 7 succès par saison sur les neuf années de collaboration. A titre de comparaison, l’association McLaren-Honda avait remporté 44 victoires, mais en cinq ans (1988-1992).
De 1992 à 1997, Bernard Dudot et ses hommes raflent onze couronnes mondiales, dont neuf avec Williams : cinq chez les pilotes, dont quatre avec les pilotes Williams (1992 Mansell, 1993 Prost, 1995 M.Schumacher, 1996 D.Hill, 1997 J.Villeneuve), celle de 1995 avec Schumacher et Benetton étant l’exception, six couronnes mondiales chez les constructeurs dont cinq avec Williams (1992, 1993, 1994, 1996 et 1997 avec Williams, 1995 avec Benetton).
En 1992, Mansell bat le record de victoires en une saison avec neuf succès (Kyalami, Hermanos-Rodriguez, Interlagos, Barcelone, Imola, Magny-Cours, Silverstone, Hockenheim et Estoril) mais le pilote anglais rate le bâton de maréchal, piégé par Ayrton Senna en Principauté de Monaco.
Fin 1992, le retrait de Honda laisse McLaren orpheline, et le V10 Renault seul contre le V12 Ferrari et le V8 Ford, tandis que Mercedes débute en 1993 caché sous le nom Ilmor.
En 1993, Ayrton Senna court avec panache, multipliant les exploits face au favori Prost qui a hérité du baquet Williams-Renault. Le pilote brésilien, pour sa sixième saison chez McLaren, enchaîne les chefs d’oeuvre ... A l’exception de Monaco, ses victoires sont autant d’exploits mythiques ... Interlagos, Donington, Suzuka ou Adelaïde.
Senna rejoint Williams-Renault pour le championnat 1994, remplaçant Alain Prost parti à la retraite.
En 1994, Renault trahit Williams ... le contrat d’exclusivité est rompu puisque le Losange choisit de fournir Benetton dès 1995. Ayrton Senna, prévenu dès le début de saison 1994, se sent trahi et envisage déjà de quitter l’écurie anglo-française, alors qu’il vient à peine d’arriver de chez McLaren. Son agent Julian Jakobi noue déjà des contacts avec la Scuderia Ferrari, Marlboro et Jean Todt, pourparlers qui seront rendus caduques par le décès de l’archange brésilien à Imola. La trahison de Renault est la conséquence de la politique de Frank Williams envers ses pilotes. Renault, comme tout motoriste, est sollicité par son écurie partenaire pour le paiement des pilotes mais n’a pas voix au chapitre sur le choix des hommes qui bataillent dans les cockpits Williams ... Mansell viré comme un malpropre, Prost écœuré par le tandem Head -Williams en 1993 et contraint à une retraite anticipée pour éviter une deuxième confrontation avec Senna en 1994 (après la houleuse cohabitation vécue chez McLaren-Honda en 1988-1989). Extérieurement, l’écurie Williams dégage une froideur angoissante... Intérieurement, il s’agit d’un volcan assoupi prêt à rentrer en éruption. Les velléités de Renault mais également d’Adrian Newey, le génial aérodynamicien, sont souvent soumises aux vetos irrévocables du tandem roi Patrick Head - Frank Williams. Head et Williams imposent leur férule à Newey, Contzen, Dudot et Faure, et en paieront les conséquences ...
En 1995, Renault atteint la quadrature du cercle avec 16 victoires en 17 courses (11 pour Benetton, 5 pour Williams). Mais Benetton s’effondre avec le départ de Schumacher pour Ferrari, que Bernard Dudot jugeait lui-même impossible au gré des rumeurs de l’été 1995 dans le paddock : Qu’irait faire Michael chez Ferrari ? Quand elles finissent, les Ferrari finissent à un tour.
Le champion allemand, virtuose du pilotage, a hérité du trône laissé vacant par Prost et Senna. Plutôt que de rejoindre Williams-Renault et d’enfiler les victoires comme les perles, Schumacher veut gravir l’Everest par la face la plus difficile. Sa démarche, pleine de panache et d’ambition, est donc de redonner tout son lustre au Cavallino, dont le palmarès prend la poussière. Ferrari attend un titre pilotes depuis 1979 et Jody Scheckter, sacré devant son coéquipier canadien Gilles Villeneuve.
Le fils de Gilles, Jacques, débute en F1 en 1996 chez Williams. Coéquipier de Damon Hill, le jeune rookie québécois fait merveille tandis que les Benetton d’Alesi et Berger sont condamnées aux accessits derrières les fusées de Didcot.
En 1996, Louis Schweitzer décide d’arrêter le programme F1 à la fin 1997, la nouvelle est annoncée juste avant le Grand Prix de France. Paradoxe, Nevers Magny-Cours voit une razzia du Losange avec un quadruplé D. Hill (Williams) – J.Villeneuve (Williams) - Alesi (Benetton) –Berger (Benetton). Partenaire historique de Renault, Elf quitte lui la compétition dès la fin 1996.
En 1996, Damon Hill remporte le titre mondial tandis que Williams-Renault écrase les débats chez les constructeurs. Avec 12 victoires, 6 doublés et 175 points, Williams fait encore mieux qu’en 1992 (10 victoires, 6 doublés et 164 points) ou 1993 (10 victoires, 1 doublé et 168 points). Frank Williams, dans l’optique de 1997, recrute le pilote allemand Heinz-Harald Frentzen, ancien coéquipier de Schumacher dans le Junior Team Mercedes en sports-prototypes. Grand espoir de la F1, Frentzen a débuté chez Sauber en 1994, Williams envisageant même de lui offrir un cockpit suite au décès tragique d’Ayrton Senna à Imola ... Mais par loyauté envers Peter Sauber et par manque d’expérience, Frentzen avait poliment refusé.
En 1997, Williams est orpheline d’Adrian Newey, qui a cependant dessiné la FW19. Ayant refusé à son ingénieur vedette d’acheter des parts de l’écurie, Patrick Head et Frank Williams sont incapables de régler correctement le dernier bolide de Newey, qui est parti en laissant des coefficients mathématiques incompréhensibles du bureau d’études ... Jacques Villeneuve, en gladiateur de la vitesse, se bat comme un lion et bat son rival Michael Schumacher in extremis à Jerez, pour l’ultime course de cette saison 1997, le Grand Prix d’Europe.
En 1997, à Silverstone, BMW annonce son partenariat futur avec Williams, à l’horizon 2000. Le PDG du constructeur munichois, Bernd Pitschrieder, en profite d’ailleurs pour lancer une pique à son rival de toujours, Mercedes : Nous n’attendrons pas soixante Grands Prix pour gagner (clin d’oeil appuyé à la victoire de David Coulthard à Melbourne en 1997, quatre ans après l’arrivée de la firme à l’étoile en F1 sous le nom d’Ilmor en 1993).
Lors de ce week-end anglais, Williams fête sa centième victoire en F1, sa soixantième avec le Losange. La dernière victoire du couple Williams-Renault intervient au Nürburgring avec Jacques Villeneuve. Suite aux abandons des deux flèches d’argent McLaren-Mercedes, c’est même un feu d’artifice Renault avec un quadruplé Villeneuve (Williams) - Alesi (Benetton) – Frentzen (Williams) - Berger (Benetton). Le Losange égale ainsi la performance de Honda, réussie en 1987 à Silverstone avec le quatuor Mansell - Piquet - Senna - Nakajima, les Williams devant les Lotus.
A Jerez, Williams et Renault se quittent donc sur un palmarès somptueux, avec quatre couronnes pilotes (Mansell 1992, Prost 1993, D.Hill 1996, J.Villeneuve 1997) et cinq couronnes constructeurs (1992, 1993, 1994, 1996, 1997) avec pour seul contradicteur, depuis 1992, le duo Benetton - Schumacher, notamment en 1995.
En 1998 et 1999, Renault vendra ses V10 à Williams sous les noms Mecachrome et Supertec, avant de revenir en F1 dès 2001, phagocytant l’écurie Benetton et rachetant son usine d’Enstone.
Sans Renault, Williams ne gagnera plus jamais de titre mondial, malgré une superbe campagne en 2003 avec BMW et Juan Pablo Montoya.
Sans Williams, Renault atteindra nouveau l’Everest du sport automobile. Le trio Alonso - Renault - Michelin dominera les saisons 2005 et 2006. En avril 2005, Carlos Ghosn remplace Louis Schweitzer à la tête de Renault. Patrick Faure est sur un siège éjectable et sera remplacé par Alain Dassas au printemps 2006.
L’arrivée de Ghosn plonge le Losange dans l’incertitude quant à son futur en F1. Un pilote comme Alonso a besoin de certitudes sur l’implication de son écurie. Désireux de quitter le cocon Briatore qu’il fréquente depuis 2002, le juvénile Espagnol se laisse séduire par Ron Dennis en cette saison 2005. McLaren est l’écurie de ses rêves, celle qui offrit trois titres mondiaux à son idole d’enfance, Ayrton Senna. Le champion brésilien reste dans les mémoires et Alonso signe donc avec McLaren, qui réussit un autre coup de maître en torpillant Ferrari, son autre rival. Woking persuade le sponsor numéro 1 de la Scuderia, Vodafone, de venir orner les flancs de ses flèches d’argent à horizon 2007, date de l’arrivée du champion espagnol chez McLaren. En 2006, Alonso gagne une deuxième couronne malgré la résistance du Kaiser Schumacher.
Sans Alonso et Bibendum, Renault chute à nouveau dès 2007, laissant l’ordre naturel de la F1, McLaren contre Ferrari, Woking contre Maranello, reprendre le dessus ... Après un mariage raté avec BMW, Williams est nostalgique de la période Renault, celle qui lui a apporté tant de victoires, dont sa toute dernière lors d'une deuxième collaboration, en mai 2012 à Barcelone (victoire du vénézuélien Pastor Maldonado au Grand Prix d'Espagne) ...
C’est avec Red Bull que Renault gagnera huit nouvelles couronnes entre 2010 et 2013, quatre chez les pilotes pour Sebastian Vettel et quatre chez les constructeurs pour l’écurie autrichienne basée à Milton Keynes, dirigée techniquement par le gourou de l’aérodynamique Adrian Newey. Celui-là même qui avait été, avec Bernard Dudot et Patrick Head, la cheville ouvrière des innombrables succès de Williams Renault entre 1991 et 1997 ...
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