De l’ovalité dans la complexité du Rugby
Mode d'Emploi pour le quidam.
Après le terrible match Galles-France de la Coupe du Monde de Rugby au Japon, il semble opportun d'éclairer la lanterne des béotiens qui ignorent tout de ce jeu, véritable philosophie de vie sauf hélas cas l’exception. Le Rugby, sport paradoxal par excellence est souvent évoqué au travers de l'antienne : « Sport de brutes pratiqué par des gentlemen ! »
Il y a bien un aspect polymorphe dans une pratique quasi rituelle qui mène un combat d'appropriation territoriale. La force, la puissance et le courage y sont les valeurs essentielles. On y devine aisément le portrait de notre brute. Pour atteindre ses objectifs, il doit faire preuve de grandes qualités morales, d'intelligence pour appréhender la complexité du jeu et d'un sens du sacrifice anachronique. Cette fois c'est le gentleman qui pointe !
De cette dualité, le quidam étranger à la confrérie de l'Ovalie ne perçoit, le plus souvent, que les excès, les dérapages ou les blessures sanguinolentes du joueur en Bleu, porteur du coq. C'est le guerrier, avec son cortège d'ecchymoses, de plaies et de bosses qui surgit de ce premier cliché. Quand le combattant sort vainqueur des mêlées houleuses, des plaquages destructeurs, quand il a surmonté sa souffrance et sa peur pour sortir vainqueur de lui-même, il entre alors dans la folie des dérives exutoires. Il se fait soudard au cœur de la taverne ou du club-house. C'est ainsi qu'il est étiqueté, montré du doigt et frappé d'indignité au cœur de la cité.
Mais la brute est pudique, il ne dira rien de l'autre versant de sa personnalité, de cette partie immergée que personne ne semble voir, tant la célébration cathartique de la joute sportive et ultra télévisée s'impose à tous.
Pourtant, au secret du vestiaire, une métamorphose s'opère. Le joueur échappe à l'individualisme dominant dans notre société pour se fondre dans un collectif d'un autre temps. Cette mue se réalise par le truchement du Discours. C'est le Verbe, la puissance des mots ou des évocations, qui transcendent celui qui va revêtir la tunique magnifique « le maillot ! », cette carapace du héros médiéval.
Cette étrange alchimie ne fonctionne pas à chaque fois. Parfois les mots ont touché l'âme collective et de l'émotion a jailli l'énergie. Le groupe uni comme un seul homme, déterminé, inflexible, va balayer son adversaire comme fétu de paille. D'autre fois, un grain de sable a grippé le mécanisme, le propos ne s'est pas fait rassembleur ; un mot de travers, une incompréhension manifeste et la chrysalide ne sortira pas du cocon. L'équipe sera décevante, empruntée et triste.
Ce mystère est difficile à comprendre pour qui ignore tout de ce laboratoire surchauffé qui sent l'embrocation et la sueur et qu'on nomme vestiaire. C'est là que s'opère la transfiguration du pratiquant ordinaire en Dieu du stade (quel que soit son niveau de pratique). C'est là aussi qu'il fera le chemin inverse, qu'il quittera le maillot souillé pour reprendre ses habits civils. Mais on ne quitte pas l'Olympe sans faire un tour par l'enfer de la troisième mi-temps.
Bien sûr, si ce détour doit se faire avec modération, il demeure indispensable pour assumer une pratique qui est, au plus profond d'elle-même, totalement schizophrène. La troisième mi-temps est donc consubstantielle à ce sport qui s'apparente davantage aux combats ancestraux qu'au charmantes agitations sportives de notre société de l'image. Sur le pré, l'homme, aussi puissant soit-il, est nu face à sa peur, ses douleurs, ses craintes. Il ne se surpasse qu'au travers d'un collectif qui, plus que dans tous les autres sports, transcende les qualités individuelles. C'est avec ses compagnons de métamorphose qu'il lèvera une belle flopée de verres pour revenir à sa modeste condition de mortel !
Mystérieusement vôtre.
Et puis une image, une seule, détruit le travail de tous les éducateurs, détournant parents et enfants de ce sport qui n'a pas besoin d'une telle publicité désastreuse. Monsieur Sébastien Vahaamahina je ne vous salue pas !
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