JO de Pékin : la guerre des cultures
Les Jeux Olympiques se prétendent le plus grand événement au monde. Et, à l’heure de la télévision ils sont effectivement l’un des deux plus grands événements au monde (avec le Coupe du Monde de Football). Mais du coup, les Jeux Olympiques sont devenus un enjeu qui dépasse complètement le sport, avec des considérations qui tiennent à l’argent, à la politique, mais surtout au choc des cultures. Et à ce jeu, il n’est pas certain que les français aient plus de médailles que celles qui sont officiellement distribuées.
Le sport
Est-ce vraiment le sport qui compte ?
Pierre de Coubertin avait dit : "l’important, c’est de participer". Mais quand on voit les interviews des sportifs, tous le disent : l’important, c’est de gagner. Le reste ne compte pas. Et l’esprit du créateur des Jeux Modernes est bien perdu.
Ce n’est donc pas une si grande fête du sport que ça, mais une guerre à outrance entre les sportifs. Ou plus exactement, entre les Fédérations Nationales à travers les sportifs. Et même, entre les pays.
D’ailleurs, il suffit de regarder un peu : la valeur du sportif n’est pas le seul élément, mais son obéissance a presque plus d’importance que le reste, et le sportif lui-même n’est qu’un instrument. Je suis toujours choqué par la manière dont certains entraineurs parlent aux sportifs. Dans n’importe quel autre environnement, se faire traiter comme cela serait insupportable, que ce soit en entreprise, dans une association ou n’importe quel environnement. J’ai encore l’engueulade maison de l’entraineur en haltérophilie passée en direct à la télévision, les hurlements des entraineurs du judo, ou les interventions musclées dans les vestiaires de football.
Benjamin Dardelet, au judo, a failli ne pas participer (il est médaille d’argent en moins de 66kgs) parce qu’il avait fait le mur et que l’entraineur, probablement vexé, en avait déduit qu’il ne ferait pas de résultat parce qu’il n’obéissait pas aux ordres.
Hongyan PI, la française d’origine chinoise, 5e mondiale en badminton, n’est française que parce qu’elle a été chassée de l’équipe de Chine il y a 7 ans parce que la sélectionneuse chinoise (probablement membre du parti), a décidé qu’elle était trop petite pour pouvoir avoir une chance de gagner.
Même l’espionnage sur la meilleure manière de fabriquer des sportifs fait rage entre les pays. En France, c’est une antenne du HRIE au sein du Ministère de la Jeunesse et des Sports qui en est chargée Et cela s’appelle "l’intelligence sportive". On appelle ça un oxymoron.
Non, ne rigolez pas, je n’invente strictement rien : voir le très officiel site du Ministère de la Défense.
Amateur ou Professionnel ?
Il fût un temps où les Jeux Olympiques étaient réservés aux sportifs amateurs.
Ce temps là est bien terminé, et c’est Antonio Samaranch qui a arrêté toutes ces simagrées qui posaient des problèmes financiers au CIO. Désormais, c’est affaire de gros sous, et on s’en fout de l’amateurisme.
Bien sûr, les français, attachés à l’esprit de Courbetin (hummm...) ont tenté de résister. Principalement parce que en acceptant les professionnels, nombre de nos sportifs se trouvaient rélégués au rang de faire valoir, malgré le déguisement en amateur en les faisant embaucher par l’armée ou la douane.
Le résultat, c’est que les Français ont perdu leur influence au sein du CIO, et n’ont pour seul succès que le maintien du français comme langue officielle au CIO (et on a failli le perdre).
Au passage, je souligne un point de réglement sur le football : ne sont acceptés aux JO que les footballeurs de moins de 23 ans, avec une exception pour 3 joueurs.
Tiens ?
En fait, c’est le résultat d’une combine entre Samaranch (ancien Président du CIO) et Havelange (ancien Président de la FIFA) parce que des JO qui auraient les meilleures équipes de foot du monde auraient rendu moins important et moins rentable la Coupe du Monde de Foot. Et donc, ils nous ont inventé ce réglement bizarre et qui ne fait pas combine du tout, du tout. En tout cas, même eux n’ont pas osé continuer à parler d’amateurs ou de professionnels.
D’ailleurs, il n’y a plus que le golf qui distingue aussi brutalement professionnel et amateur : un amateur ne peut gagner plus de 750 euros pour une compétition. Au moins les choses sont claires et c’est valable pour le monde entier : d’un côté les amateurs et de l’autre les professionnels. Et si un amateur fait une compétition avec les professionnels, il doit renoncer à l’avance à tout prix s’il veut rester amateur.
Evidemment, bien que joué par un nombre très important de pratiquants dans le monde, dans presque tous les pays, un des plus anciens sports et ayant déjà été au programme des JO, le golf n’est pas accepté par le CIO, contrairement au taekwondo ou au curling.
Le fric, que le fric
Le moteur des JO, ce n’est désormais plus que le fric.
L’exemple le plus frappant, c’est la natation. NBC, la chaîne américaine a mis sur la table un sacré paquet d’argent (2,2 milliards de dollars) pour que les finales se déroulent le matin, une horreur pour la plupart des sportifs pour la performance et contraire à toutes les habitudes du sport. Vous connaissez bien entendu la raison : le matin en Chine, c’est le prime time aux USA, une heure de grande écoute qui permet de vendre les pubs super cher ...
Pour la période olympique 2001-2004 (la période actuelle se concluant par les JO de Pékin ne sera publiée qu’en 2009), plus de la moitié des revenus vient des droits TV : sur des revenus de plus de 4,2 milliards de dollars, il y a 2,2 milliards de dollars qui viennent des droits TV, 1,4 milliards de dollars des sponsors et 441 millions dollars de la billeterie et environ 80 milliards des drotis dérivés.
Le bond budgétaire s’est fait pour les JO de 1984 de Los Angeles, sous la férule de Samaranch, et même si aujourd’hui Jacques Rogge (le Président du CIO) déclare vouloir diminuer la taille des jeux et fait tout ce qu’il faut pour, il ne réduit certainement pas les revenus. En somme, dépenser moins pour gagner plus, sans s’occuper des sportifs.
Cette histoire de diminuer la taille des JO est d’ailleurs une vaste fumisterie. Jacques Rogge ne voit ça que du côté budget CIO et même pas du côté organisation. La preuve : un peu plus de 2 milliards de dollars pour le BOCOG (Comité d’organisation de Pékin), légèrement supérieur à celui de l’ATHOC (Comité d’organisation d’Athènes), une augmentation modérée du fait que le BOCOG ne paie pas grand chose les salariés de l’organisation ou bien évidemment les volontaires.
Pour Athènes 2004, il y a eu 160 000 demandes pour une sélection de 45000 bénévoles qu’il a fallu habiller former et nourrir. Pour Pékin 2008, il y a eu 1,12 millions de demandes pour 100000 bénévoles.
En terme de réduction du gigantisme des jeux, plutôt pas mal ... d’autant plus que désormais, la production tv n’est plus sous-traitée, mais est devenu un service du CIO. Pour mieux contrôler, j’imagine.
Et cette course au fric se retrouve chez les sportifs, avec une prime à la médaille d’or de 50000 euros pour les Français, 100 000 euros pour les Russes, et 200 000 euros pour les Malaisiens (qui ont de grandes chances de garder leur argent). Les Chinois reçoivent 25000 euros par médaille d’or, mais surtout signent désormais des contrats de sponsoring qui sont indexés sur le fait qu’ils obtiennent ou non une médaille d’or. Ainsi, par exemple Chen Xinxia va recevoir dans les 1,5 millions de dollars suite à sa médaille d’or en haltérophilie.
Les américains sont entièrement sur le principe du sponsor : il n’y a pas une prime unique pour tous les sports, ni même par sport, car les revenus des sportifs viennent principalement des sponsors. Michael Phelps par exemple, a 7 sponsors (dont Speedo et Nike) pour un total de contrats de 5 millions de dollars an. Ses médailles d’or aux JO de Pékin va lui ramener à court terme une augmentation des contrats vers les 20 milions de dollars par an, et les spécialistes estiment sa valeur autour du milliard de dollars.
Les sports inégaux
On le sait, tous les sports en sont pas égaux. Tous les cas se retrouvent :
- Les sports à gros budget (le football en France avec plus de 2 millions de licenciés) où on n’arrive à rien.
- Ceux qui vivent chichement des subsides du Ministère des sports, mais qui ont des résultats (lutte gréco-romaine avec 15000 licenciés).
- Ceux qui ont beaucoup de pratiquants mais où on n’arrive à rien (athlétisme avec 200 000 licenciés).
- Le tennis, deuxième sport en nombre de licenciés (1 million) mais où on n’arrive que péniblement.
- l’escrime qui espère arriver aux 100 000 licenciés, soit 5 fois et demi moins que le judo mais qui rapporte autant de médailles sinon plus que le judo.
En nombre de médailles distribuées, je m’interroge quand même un peu également.
En natation, par exemple, il y a 34 médailles d’or distribuées. Il n’y a guère que l’athlétisme qui en a plus avec 47 médailles d’or. Le triathlon, par exemple n’en a qu’une pour les hommes, alors qu’il y a évidemment deux types de compétitions (court et long) et que l’on n’a même pas d’épreuve par équipe. A titre de comparaison, rien qu’en nage libre hommes, on a le 1500m, 400m, le 200m, le 100m, le 50m, sans compter les épreuves par équipe. Si on multiplie cela par le nombre de nages (papillon, brasse, nage libre), plus les nages mélangées, plus les épreuves par équipe, on arrive à une multiplication qui n’a plus de sens.
D’ailleurs, on le voit bien, les nageurs et les nageuses font toutes les distances ou presque, et ce sont toujours les mêmes qui gagnent. Du coup, on finit par avoir des grands champions qui font 8 médailles d’or quand ils sont bons (et encore, Phelps en aurait plus s’il avait le temps et la force de faire les autres épreuves), alors qu’en tir à l’arc (où on pourrait multiplier les distances comme au tir), il n’y a que deux médailles possibles pour un compétiteur : individuel et par équipe.
Avec ça, Phelps à lui tout seul se retrouve devant la France entière en nombre de médailles : si on lui donnait à lui tout seul le budget de tout le sport de haut niveau des Fédés Françaises, on peut considérer qu’il est mal payé après tout.
La guerre des cultures
Mais ce qui est le plus impressionnant, c’est la manière dont les JO sont considérés selon les cultures. Il n’y a pas si longtemps (enfin, avant internet quand même), les JO n’intéressaient absolument pas les chinois. Et les commentaires de l’époque allaient jusqu’à des considérations (très racistes) sur l’incapacité physique des asiatiques pour expliquer leur absence aux JO.
- 1988 Séoul, 241 médailles d’or, 149 pays, Chine 11e avec 5 médailles d’or
- 1992 Barcelone, 260 médailles, 169 pays, Chine 4e avec 16 médailles d’or
- 1996 Atlanta, 271 médailles d’or, 197 pays, Chine 4e avec 16 médailles d’or
- 2000 Sydney, 299 médailles d’or, 199 pays, Chine 3e avec 28 médailles d’or
- 2004 Athènes, 301 médailles d’or, 201 pays, Chine 2eme avec 32 médailles d’or
- 2008 Pékin, 302 médailles d’or, 204 pays, et la Chine sera probablement première (22 sur 91 distribuées, en avance de 8 sur les USA deuxième).
Les JO de Pékin sont pleinement marqués par la culture chinoise. Le chiffre 8 étant porte-bonheur (la marque de cigarettes la plus vendue est le 888 et dans les rues de Pékin et Shanghai, vous trouvez des boutiques qui vendent les numéros de portable sans les téléphones, et sans l’abonnement à des prix variables en fonction du nombre de 8), la cérémonie d’ouverture a commencé le 8/8/2008 à 8h08 le soir.
L’or est une matière noble en Chine. Mais le jade est une caractéristique de la Chine et est presque plus noble. Les médailles olympiques sont donc faites de jade et de métal : or et jade blanc, argent et jade blanc teinté d’un peu de vert, et bronze avec jade vert.
Enfin, comme d’habitude, l’or n’est pas de l’or, mais du vermeil (argent plaqué d’or).
Le design de la médaille est d’ailleurs très chinois, avec en particulier l’attache qui est copiée sur des éléments existants sur des pièces archéologiques.
Cela ne gêne absolument pas les chinois qui n’ont rien à faire de l’authenticité : une des pensées ancrées dans l’esprit chinois est qu’on ne fait pas du neuf avec du vieux.
Du coup, à chaque dynastie, la nouvelle détruit tout ce qu’elle trouve de l’ancienne, et écrit l’histoire officielle de la dynastie disparue. La cité interdite de Pékin remonte donc au début des Ming, ceux-ci ayant détroit la bien plus grande cité interdite de la dynastie Yuan (qu’avait fondé Gengis Khan) et toute la ville qu’il ont reconstruit en partant de zéro.
Pour les Jeux de Pékin, les chinois ont commencé à détruire la grande majorité des anciennes habitations remontant à l’époque de la Cité Interdite pour faire une super belle ville pour cet événement... Pour les cultures occidentales, c’est choquant, comme d’ailleurs la mignonne petite fille qui chantait en play-back pendant la cérémonie d’ouverture parce qu’elle n’avait pas une belle voix tandis que celle qui chantait n’avait pas une belle tête. Comme le disait Den Xiao Ping, "qu’importe qu’un chat soit noir ou blanc, du moment qu’il attrape les souris". C’est en tout cas plus joliment dit que notre "Il n’y a que le résultat qui compte".
Et donc, comme il y avait de la brume pendant la cérémonie d’ouverture pour les feux d’artifice qui marquaient la route sur Pékin jusqu’au "nid d’oiseau", le réalisateur a diffusé des images de la répétition au lieu de ce qui se passait réellement. Tout dans le trucage ... D’ailleurs la TV chinoise diffuse en différé de plusieurs secondes pour avoir le temps de simuler un problème technique pour que le gouvernement ne montre pas à la population ce qu’il ne veut pas qu’elle voit : vraiment très précautionneux pour des gens qui n’ont pas à craindre le résultat des urnes.
Mais ce qui compte en Chine, c’est de ne pas perdre la face, de ne pas se sentir embarrassé en public. C’est une notion essentielle, et les Français, en faisant perdre la face aux Chinois en empêchant le bon déroulement du passage de la flamme olympique ont eu un effet beaucoup plus grave qu’ils ne le pensent. Désormais, le Chinois dans la rue est persuadé que les Français détestent les JO, et détestent la Chine. Et même si cela ne se ressent pas dans la rue (car le Chinois, par culture, évite de faire perdre la face aux autres), la relation entre français et chinois est gravement entamée. La réaction contre les supermarchés Carrefour en Chine n’est qu’un indice, et toute notré économie va en souffrir.
Aujourd’hui, on en est presque à un niveau ou les choses ont plus de chances de s’arranger entre le Tibet et la Chine qu’entre la Chine et la France. Et Sarkozy, qui essaye de ménager les deux cultures a perdu des deux côtés : nombre de Français l’accusent de manque de courage et de vision, tandis que les Chinois se moquent de lui en le surnommant "lai pou lai" : un coup je viens, un coup je viens pas.
L’avers (le côté pile) de la médaille olympique porte par obligation du CIO la silhouette de Nikè, la déesse de la victoire. Mais pour ce que les Jeux Olympiques vont nous apporter comme victoire, nous pouvons d’ores et déjà adopté le nom de la déesse.
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON