Le poids de l’économie, du sport... et des droits de l’homme
Devant les graves événements qui secouent le Tibet, certains s’interrogent pour savoir si le seul moyen d’infléchir la position chinoise dans cette province ne serait pas de boycotter les jeux Olympiques de Pékin en août prochain.
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Un tel boycott a eu lieu à deux reprises depuis cinquante ans, en 1980 et 1984. En 1980, il y a eu le boycott de nombreux pays à l’occasion des JO à Moscou, en raison de l’invasion soviétique en Afghanistan, les Soviétiques rendant la pareille aux Américains quatre ans plus tard pour les JO de Los Angeles, au prétexte que la sécurité de leurs athlètes n’était pas assurée.
Dans les deux cas, tout le monde sentait bien qu’il s’agissait d’assertions fallacieuses. D’ailleurs, à une époque où pourtant le monde était coupé en deux, contrairement à aujourd’hui, chaque partie fut loin de rassembler son camp puisque des pays comme la France, la Grande-Bretagne, l’Italie ou le Brésil participèrent aux Jeux de Moscou. Quatre ans plus tard, malgré l’absence de quelques pays communistes très importants dans le domaine du sport tels que la RDA, la Pologne, la Tchécoslovaquie, Cuba ou l’Ethiopie, il y avait quand même 140 nations présentes à Los Angeles. Ces défections furent certes préjudiciables dans certaines disciplines, mais elles n’empêchèrent pas d’avoir des compétitions de grande qualité dans l’ensemble, y compris en athlétisme le sport roi des JO.
Certes, le vainqueur du 100 m de Moscou (Alan Wells) ne laissera pas un souvenir impérissable, mais à ces mêmes Jeux rien que l’affrontement entre Coe et Ovett sur 800 et 1 500 m suffira à faire oublier les absents. A Los Angeles en 1984, Coe renouvellera son chef-d’œuvre sur 1 500 m devant un autre Britannique, Steve Cram. Quant aux Français, ils étaient tout heureux de fêter une double médaille (or et bronze) à la perche. Bref, les absents ont eu tort d’autant qu’ils n’auraient pas empêché Carl Lewis de renouveler l’exploit de Jesse Owens en 1936, en remportant 4 médailles d’or en athlétisme (100, 200, 4x100 m et longueur).
Ces boycotts n’avaient donc servi à rien et n’avaient pas changé la face du monde. Les Soviétiques ont poursuivi sans fléchir leur guerre contre les Afghans armés par les Américains, un Boeing de la Korean Airlines avec 269 passagers à bord a été abattu en 1983 par un avion de chasse soviétique, parce qu’il était soupçonné d’espionnage, et enfin l’Iran et l’Irak armés par chaque camp continuaient leur guerre commencée précisément en 1980 et qui ne s’achèvera qu’en 1988. Bien entendu, ces événements ne sont qu’une partie des conflits sanglants qui secouaient le monde pendant cette période allant de 1980 à 1984.
Alors qu’est-ce que cela changerait si de nombreux pays décidaient de ne pas participer aux jeux Olympiques de Pékin ? A vrai dire, le gouvernement chinois subirait un affront sévère, surtout si cette non-participation était réellement suivie par la totalité des grandes nations sportives. Il est certain que l’absence conjuguée des Etats-Unis, de l’Union européenne, du Canada, du Japon, du Brésil et de l’Australie pour ne citer qu’eux, porterait un rude coup à la crédibilité des épreuves dans les principaux sports olympiques (athlétisme, natation, cyclisme, escrime, judo...). Dans ces conditions, il est vraisemblable que les grandes chaînes de télévision se retireraient très vite d’un marché d’autant plus juteux, que les épreuves rassemblent les meilleurs.
Et nous en arrivons à l’aspect économique qui, de toute façon, sera plus fort que l’aspect moral car la Chine est un acteur majeur du monde économique en ce début de XXIe siècle. D’ailleurs, si la Chine a obtenu l’attribution des jeux Olympiques de Pékin en 2001, c’est bien en raison de son statut de puissance économique émergente. Le monde de l’économie avait déjà beaucoup investi dans l’Empire du Milieu, et il savait que les JO allaient avoir d’énormes retombées pour l’économie chinoise, dans laquelle les sociétés occidentales étaient de plus en plus présentes. Enfin n’oublions pas les 2,2 milliards d’euros payés par NBC pour les droits télé, radio et internet aux Etats-Unis, acquis jusqu’en 2012, ce qui lui a permis d’imposer à Pékin les finales de natation le matin de bonne heure.
Tout cela représente beaucoup d’argent et, malheureusement, pèse beaucoup plus lourd que la répression au Tibet. C’est l’état du monde de nos jours, et il sera très difficile de faire évoluer les choses. Par ailleurs, la Chine est de plus en plus présente en Afrique puisqu’elle est devenue le troisième partenaire commercial du continent. Dans ces conditions, il serait illusoire d’espérer une quelconque action de la part de nombreux pays africains, si la communauté internationale devait se mobiliser sur la tenue des jeux Olympiques.
En conclusion, au risque de paraître défaitiste, je pense que nous ne sommes pas prêts de revoir ce que nous avons vu en 1980 et 1984, la mondialisation de l’économie étant passée par là. Trop d’intérêts économiques sont en jeu pour envisager quoi que ce soit vis-à-vis de la Chine qui, ne l’oublions pas, a aujourd’hui le 4e PIB mondial, après l’Union européenne, les Etats-Unis et le Japon. Par ailleurs, disposant des plus importantes réserves mondiales avec près de 1 500 milliards de dollars, elle devient de plus en plus un investisseur majeur dans le monde, non seulement en Afrique, mais aussi ailleurs à commencer par les Etats-Unis.
Du coup, qui peut imaginer que l’on va empêcher la Chine de célébrer ses jeux Olympiques dans le faste, avec à la clé des résultats qui vont la placer au 2e rang des médailles ? Personne, d’autant qu’il faut savoir que ni les Etats-Unis ni l’Europe qui sont pourtant des partenaires importants n’arrivent à obtenir de la Chine qu’elle réévalue sérieusement sa monnaie, et qu’elle respecte les règles du commerce international. Mieux même, les Etats-Unis ont retiré ces derniers jours la Chine de leur liste noire des pires violateurs des droits de l’homme. Alors les jeux Olympiques... Et puis, comme si cela ne suffisait pas, il se trouvera toujours des gens pour dire qu’il faut penser aux athlètes qui se préparent pendant quatre ans pour ces compétitions, et à qui on n’a pas le droit d’infliger une sanction qu’ils ne méritent pas. Ah, quand on veut se donner bonne conscience !
Michel Escatafal
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