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Accueil du site > Culture & Loisirs > Sports > Roland-Garros : la malédiction de l’attaquant

Roland-Garros : la malédiction de l’attaquant

C’est devenu un lieu commun de le rappeler : depuis le quasi-hold-up de Yannick Noah en 1983, non seulement aucun Français, mais surtout aucun attaquant pur jus n’a réussi à s’imposer à Roland-Garros. Le terme de quasi-hold-up pourra choquer, tant cette victoire est devenue mythique en France, mais il reflète bien que le vainqueur fut cette année celui que personne n’attendait, non seulement par son inconstance (pas d’autre exploit majeur dans sa carrière, surtout pas à Wimbledon, pourtant censé correspondre davantage à son style de jeu), mais aussi par l’attaque à outrance pratiquée alors, servie il est vrai par un incroyable culot et une volonté de gagner exemplaire.

Mais le fait que, cette année-là, Noah attaqua sans relâche durant toute la quinzaine, s’emparant athlétiquement du filet dès que l’occasion s’en présentait, n’empêche pas de se poser la question sur ce qu’est réellement un attaquant. Les puristes tennistiques considèrent d’emblée que l’attaquant, c’est celui qui monte à la volée. Depuis l’avènement du « tennis-pourcentage », avec Björn Borg chez les hommes et Chris Evert chez les femmes, le jeu de volée n’a cessé de reculer, excepté sur les courts en gazon. Ces derniers sont eux-mêmes en perte de vitesse, à la fois par la difficulté de leur entretien, et notamment leur dégradation au cours d’un tournoi (un terrain pelé aux rebonds inconstants, en fin de quinzaine, n’a plus grand-chose en commun avec la belle pelouse du début) et le raccourcissement excessif des échanges. Ainsi, parmi les tournois dits « du grand chelem », seuls les internationaux de Grande-Bretagne se cramponnent à la tradition, ceux d’Australie (une nation de grands volleyeurs, pourtant) ayant depuis deux décennies (1988) préféré tourner la page au profit d’un quick similaire à celui de l’US Open.

Mais le jeu d’attaque, ce n’est pas seulement la volée. Comme on le disait déjà à l’époque de Borg, qui assénait ses lifts implacables avec une régularité de robot, une technique novatrice à l’époque, il existe des attaquants de fond de terrain, qui ne se contentent pas de remettre la balle en jeu, mais recherchent le point gagnant ou la faute provoquée sans prendre le risque de se faire transpercer au filet. Mais en cas d’opposition de deux joueurs de fond de terrain, lequel peut se prévaloir d’un jeu d’attaque par rapport à l’autre ? Il est toujours plus noble d’être considéré comme un attaquant, censé allier panache et technique, que comme un défenseur, dont l’opiniâtreté et la volonté sont assimilées à celle d’un charognard attendant la mort de sa proie. D’ailleurs, il y a quelques décennies, les « renvoyeurs de fond de terrain » étaient appelés des « crocodiles » (En fait, à l’origine, les joueurs de terre battue étaient ainsi désignés en référence à leurs chemises Lacoste, mais dans l’imaginaire des gens, l’étreinte inlassable de la mâchoire de l’animal à sang froid tendait à se substituer au chic de la marque légendaire).

Plus qu’un style de jeu, l’attaque, c’est donc avant tout la prise de risque. Et donc, du fond de court, la prise de risque, c’est la recherche du changement de rythme, du placement ou de la surprise, en exécutant un coup inattendu tel qu’une volée à contretemps ou une amortie (le risque étant alors qu’en général, pour que le coup ne puisse être anticipé, sa préparation n’est pas académique). D’une façon ou d’une autre, l’attaquant cherche à abréger l’échange, tandis que le défenseur recherche l’épuisement tant qu’il est surclassé en vitesse. Selon la surface ou, tout simplement, son adversaire, le style d’un joueur s’orientera vers une tactique ou l’autre. Dans la finale à laquelle nous avons assisté dimanche dernier, les rôles étaient clairement définis pendant au moins les deux premiers sets, à la suite desquels l’attaquant s’est petit à petit étiolé, laissant même son adversaire prendre en charge l’échange.

Il est impératif pour l’attaquant d’abréger la rencontre, non seulement lorsque l’endurance de son adversaire est intrinsèquement supérieure, comme c’était le cas avec Nadal, mais aussi et surtout parce que l’attaquant dispose d’un nombre limité de munitions. Toute importante prise de risque nécessite un ponctuel mais considérable surplus d’innovation, d’influx nerveux et d’adrénaline, pendant que son adversaire reste concentré sur un but unique : l’attente. Le jeu de volée, en particulier, qui nécessite des changements de rythme très violents, devient difficilement tenable en fin de match marathon : la vitesse moyenne des deux joueurs baisse nettement par rapport au début de la partie, mais la vitesse de pointe passe en dessous d’une limite à partir de laquelle les chances de succès de l’attaquant tombent nettement en dessous du seuil de rentabilité. A cause de cet effet de seuil, la « filière courte » devient inopérante, tandis que, même ralentie, la « filière longue » fonctionne encore.

Les exemples de cet effritement sont légion au cours des finales de Roland-Garros. La plus représentative en est peut-être la première victoire de Mats Wilander, en 1982. Durant un peu moins de deux sets, Vilas, conquérant mais gaspillant toute son énergie, lamina son adversaire en attaque de fond de terrain. La perte malgré tout du deuxième set l’obligea à accepter un jeu d’usure, dans lequel son jeune adversaire s’avéra le plus endurant. L’année suivante, Noah surprenait tout son monde en pratiquant le service-volée durant toute la quinzaine, prenant bien soin de gagner autant que possible tous ses matches en trois manches, et notamment la finale, qui ne se conclut que difficilement au 3e set, dont la perte eût pu embarquer Noah dans un marathon dont il ne se serait pas remis. Une leçon que ne médita pas suffisamment McEnroe l’année suivante, qui, face à Lendl, laissa échapper le 3e set de peu mais n’eut plus jamais par la suite les ressources nécessaires pour imposer le tennis flamboyant qu’il pratiquait alors, à son apogée. Plus tard encore, ce fut Edberg qui plia face à Chang dans les mêmes circonstances, sans parler de la défaite en finale de Leconte face à Wilander.

A partir de ces deux derniers joueurs, il n’y eut plus de réel volleyeur en finale à Roland-Garros. Le rôle de l’attaquant étant toujours tenu par le plus fougueux des deux. Ainsi d’une finale Agassi-Courier, tous deux d’excellents cogneurs, mais remportée par le second, pourtant moins talentueux mais plus solide à ce moment. Constat inverse lorsque le même Courier s’usa les dents sur Bruguera, qui faisait retrouver à l’Espagne son statut d’experte ès-crocodiles, perdue depuis la lointaine époque d’Orantès et Higueras. Même dans les confrontations hispano-hispaniques, telles qu’avec le surprenant Berrasateguy face au même Bruguera, la terre battue de Roland-Garros a toujours préféré la patience à la fougue.

Bien sûr, les « défenseurs » d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec les crocodiles d’antan, et même les Hispaniques et autres Latino-Américains sont, tel Carlos Moya, vainqueur en 1998, tous de redoutables cogneurs de fond de court. Mais même si le distinguo entre attaquants et défenseurs s’est clairement rétréci, la balance penchera toujours en faveur de celui qui saura le mieux gérer son usure tout en prenant des risques aux moments opportuns. Roger Federer semble avoir bien pris la mesure des difficultés techniques particulières que lui pose le coup droit ultra-lifté de gaucher de Nadal, mais au vu de la similitude de ses trois défaites à Roland-Garros, il ne semble pas encore avoir appris à ne dépenser son influx qu’à bon escient (une seule balle de break remportée sur 17 dimanche dernier). Il lui faudra pourtant en passer par là pour remporter ce seul tournoi du grand chelem qui manque à son palmarès, mais qui reste à sa portée vu l’immense étendue de son talent. Qui sait, l’inspiration lui viendra peut-être de celui qui lui remettait le trophée du finaliste dimanche : Gustavo Kuerten, qui, malgré un physique bien éloigné de celui d’un bûcheron de fond de terrain, sut à trois reprises utiliser son toucher pour trouver le subtil dosage d’attente, de placement, de travail d’usure et d’accélérations que nécessite le tennis de terre battue.


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10 réactions à cet article    


  • maxim maxim 12 juin 2007 10:04

    je partage votre analyse .....

    maintenant face à un Nadal ,tireur infatiguable ,aidé par ses vingt ans et sa puissance physique ,son jeu de gaucher qui lui permet de faire des retours sous des angles qui déroutent ses adversaires tant ils semblent impossibles à réaliser .....

    le tennis a bien changé ,les Mac Enroe ,les Tchang ,les Noha,seraient déroutés par le jeu plus athlétique qui s’est installé depuis quelques années .....regardons la vitesse des premieres balles ,par comparaison à ce qu’elles etaient quelques années en arrière ......

    actuellement sur terre battue ,Nadal maitrise parfaitement sa suprematie ,et pour la finale ,je me demande si Federer qui semblait afficher une certaine décontraction avant le match ,ne cherchait pas à compenser le manque d’entrainement sur cette surface bien spécifique ( qui manque à nos joueurs Français )lui même Federer ,bien qu’il se soit plus entrainé sur terre battue ,avait avoué avoir des carences sur cette surface ........


    • Thucydide Thucydide 12 juin 2007 12:35

      Que le jeu soit plus rapide qu’avant, c’est indéniable, mais qu’il soit plus physique, je n’en suis pas convaincu. Les machines à taper dans la balle existent depuis des décennies. Déjà des gars comme Connors, Vilas et Borg, puis d’autres tels que Chang ou Muster, avaient une super-condition physique, et si le jeu allait moins vite, c’est d’une part parce que la technique n’était pas à maturité (la généralisation du lift a été initiée par Borg, qui était à l’origine un joueur de ping-pong, sport dans lequel cette technique était déjà avancée), d’autre part, parce que les matériaux n’avaient rien à voir avec ceux de nos jours. Essayez de jouer avec la Wilson métallique petit tamis de Connors des années 70, qui vibrait abominablement à la plus faible erreur de centrage, et vous comprendrez. La même évolution technique s’était produite une dizaine d’années plus tôt au ping-pong, où les picots furent remplacés par les mousses et caoutchoucs inversés (« backsides »), dont les capacités en vitesse et rotations étaient supérieures. (A noter que certains systèmes de jeu conservent lesdits picots pour des combinaisons aux possibilités presque illimitées.)


    • LE CHAT LE CHAT 12 juin 2007 10:10

      salut mon ami , tu nous fait aujourd’hui un article loin de tes sujets habituels ! le tennis , c’est pas ma tasse de lait smiley , je préfére le foot ,mais la similitude est que je préfère nettement le jeu d’attaque à l’anglaise que le jeu défensif qui nous donne des France -Suisse chiants à mourrir .alors , au tennis ,j’aime naturellement voir de la prise de risque

      bien à toi


      • Thucydide Thucydide 12 juin 2007 12:37

        Salut, jovial félin,

        Eh, désolé, moi, j’avoue que c’est le foot que je n’aime pas, même en infusion. Pas assez de points marqués, tout simplement. Le jour où les matches se termineront sur des scores significatifs (style 12-10), je changerai d’avis. Au tennis, il y a forcément un gagnant et un perdant, et beaucoup de points marqués. D’où ma passion pour ce sport, ainsi que le ping-pong, malheureusement beaucoup moins médiatisé, mais tout aussi captivant et encore plus technique, et où les petits ne sont pas désavantagés.


      • LE CHAT LE CHAT 12 juin 2007 14:36

        je te rassure , mon ami , je suis amateur de basket , et c’est vrai que je m’endors souvent devant le foot . Moi qui ai souvent rempli des feuilles de match à la table , y’a parfois de quoi choper la crampe de l’écrivain smiley


      • ExSam 12 juin 2007 20:40

        Roger Federer semble avoir bien pris la mesure des difficultés techniques particulières que lui pose le coup droit ultra-lifté de gaucher de Nadal, mais au vu de la similitude de ses trois défaites à Roland-Garros, il ne semble pas encore avoir appris à ne dépenser son influx qu’à bon escient

        Je ne crois pas qu’il n’y ait que ca. J’ai constaté que Federer avait bcp de mal à maîtriser le lift de Nadal, encore une fois. De plus, il a dominé le premier set et, au-delà de la perte d’influx, il a pris, semble-t-il un gros coup au moral pour la suite, après que Nadal ait engrangé, contre toute attente, ce même set, ce qui expliquerait le nombre de fautes directes inhabituel qu’il a commis.

        Enfin, pour reprendre les commentaires du forum France 2, on n’a pas vu, ou quasiment, de baisse de régime, de coup de pompe chez Nadal durant tout le match, alors que Federer en a eu un, je crois bien, fin du deuxième set. Faut-il y voir une aide illicite, comme l’affirment les forumeurs de France 2 ?..Je ne suis pas loin de le penser, à voir l’évolution physique de l’espagnol, comme sa musculature qui n’est pas franchement celle d’un tennisman.

        Si c’est vrai, comme certains l’affirment en déclarant que Nadal aurait été contrôlé positif au tournoi de Dubaï, la tache de Federer passait du très difficile à l’impossible...


        • BarryAllen 13 juin 2007 10:08

          C’est vrai qu’on peut douter que la condition physique de Nadal soit 100 % naturelle, mais comptez sur les commentateurs de France 2 pour continuer à s’extasier, avant de l’enterrer si un dopage était avéré, comme ils s’extasiaient sur les performances de Bjarne Riis, avant de nous remontrer les mêmes images et nous dire que son dopage était évident, maintenant qu’il l’a avoué.


        • BarryAllen 13 juin 2007 10:27

          Je souscris dans l’ensemble à votre analyse, mais je souligne qu’après avoir démontré l’avantage de la patience face à la fougue, vous terminez votre article en donnant vous même le contre-exemple. Car les trois victoires de Gustavo Kuerten sont les succès d’une certaine forme de fougue et d’offensive, certes pas à la volée mais tout de même. Il me semble aussi que vous avez du zapper l’accession en finale de Michael Stich, en 1996.

          Bon article tout de même


        • Thucydide Thucydide 13 juin 2007 22:40

          Euh, je ne trouve pas que Kuerten, ç’ait été la fougue. Il construisait du fond du terrain, bien sûr, mais sans débauche d’énergie (nettement moins que Nadal, d’ailleurs). Pour moi, c’est l’exemple. Il existe d’autres joueurs assez forts dans leur gestion de l’énergie, mais sans l’accélération de Kuerten. Tout dépend souvent de leur adversaire.

          Et il y en a qui arrivent à monter au filet même après un match de plusieurs heures, mais sans grosse accélération. Par exemple, Fabrice Santoro. Le voir jouer sur certains joueurs est un régal. Sans grandes qualités physiques et avec des accélérations assez minables, il est capable de faire mal jouer certains très bons joueurs. D’autres fois, ses « trucs » ne marchent pas, et il se fait exploser. Mais à 35 ans environ, il a des excuses.

          Merci pour l’appréciation globale, en tous les cas.


        • BarryAllen 14 juin 2007 10:36

          C’est-à-dire que Kuerten a quand même joué ses finales contre Bruguera, Norman et Corretja. Dans les trois cas, je pense qu’il était opposé à plus attentiste que lui. Son jeu s’appuyait notamment sur des prises de risque au service amenant des points directs ou nécessitant seulement une frappe supplémentaire, son jeu de fond de court visait à déborder plus rapidement l’adversaire plutôt qu’à remettre et user.

          Ou bien mes souvenirs sont-ils plus beaux que la réalité ? Peut-être dans une certaine mesure.

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