Une affiche-manifeste étonnante brandie par le Mondial de handball féminin 2007
Deux affiches avaient été retenues pour la promotion du Mondial de handball féminin qui vient de se dérouler en France du 2 au 16 décembre 2007. Sur l’une d’elles, toute rouge, dans l’image d’un ballon blanc dont les coutures esquissées formaient un vitrail, trois silhouettes féminines mimaient de façon stylisée une phase symbolique du jeu où une attaquante jaillit en extension au-dessus de la défense pour catapulter le ballon droit au but.

Mais des deux, c’était la seconde qui créait l’étonnement : d’une joueuse tournant le dos, on ne voyait de trois quarts que les deux pieds, le gauche en talon aiguille à la mode de la saison, le droit en tennis et socquette au logo d’un sponsor, les ombres portées accroissant leur relief. Programmes et billets reproduisaient la même image.
Deux paradoxes corsés
Pour capter l’attention, on ne saurait mieux cultiver les paradoxes. Le premier, on en conviendra, consiste à montrer des pieds pour promouvoir un jeu qui, comme son nom l’indique, se joue, en principe, avec les mains ! Le second ose exhiber non seulement une asymétrie extravagante d’équipement de chaussures dont tout être sain se garde en général pour s’éviter le ridicule, mais aussi une incompatibilité d’usage simultané qui entrave la marche la plus élémentaire. Inutile de songer à courir dans cet accoutrement et encore moins à bondir comme l’exige ce sport ! Les joueuses de handball, serait tenté de conclure le lecteur étourdi, sont drôlement équipées !
Des métonymies humoristiques
La particularité de la contradiction qu’affiche le paradoxe, est, cependant, on le sait, d’inviter le lecteur à les dépasser en trouvant une solution cachée. L’élucidation est, ici, assez simple. Il s’agit de souligner sans doute l’originalité féminine du handball par rapport à sa pratique masculine mais surtout de promouvoir en même temps par ce sport un type de femmes que des mythologies archaïques ont encore l’audace de condamner.
- La contradiction, sous peine de conclure naïvement à l’absurdité, est d’abord neutralisée évidemment par l’humour qui traite de manière légère un sujet des plus sérieux, le sport féminin : l’asymétrie grotesque des deux pieds relève du gros comique de farce et encore de celui propre aux clowns.
- Les métonymies choisies renvoient ensuite clairement à deux images de la femme. L’une fait du talon aiguille avec la bride qui enlace la cheville et remonte croisée sur la jambe, la partie d’un tout que représente la femme soucieuse de son élégance et de sa séduction : pour discret qu’il soit par l’insinuation de la métonymie, un leurre d’appel sexuel n’en est pas moins activé, rehaussé par la couleur rouge vif de l’escarpin. On sait que le rouge est la couleur de l’excitation sexuelle des muqueuses irriguées de sang, donc de l’amour et par extension de l’érotisme dans ses diverses variantes. Ici, ces chaussures rouges, comme l’effet à la cause, renvoie à un érotisme certain et même un tantinet exhibitionniste, voire fétichiste.
L’autre métonymie d’un pied en simple socquette dans une chaussure de tennis suffit à camper la joueuse de handball.
Une harmonisation par la charge culturelle des couleurs
La couleur bleue de la chaussure, comme celle du fond de l’affiche, est celle qui par antonomase désigne les équipes sportives françaises, appelées « les bleus ». La réunion, toutefois, de la tennis bleue, de la socquette blanche et de l’escarpin rouge compose à l’évidence l’assortiment des couleurs du drapeau national. Mais, contrairement à l’usage vulgaire qu’en font les autres sports dans les compétitions internationales, le réflexe patriotique ou nationaliste n’est pas seul visé ici. Les deux images de la femme qu’on croyait contradictoires et incompatibles, sont réconciliées dans l’unité et l’harmonie du drapeau tricolore français comme le recto et le verso de la femme française promue par le handball féminin.
L’image des femmes promues par le handball
Et loin d’être exclusives l’une de l’autre, la sportive et l’élégante séductrice, ces deux facettes deviennent complémentaires. Les deux pieds en sont l’ image symbolique : la femme française, voire la femme universelle, qui est promue par le Mondial de handball féminin, et dont, toujours par métonymie, on devine les jambes dévoilées, marche délibérément sur ces deux pieds, et du même pas léger, à en juger par une autre image, celle de leur profil identique : le talon relevé et la touche aérienne du sol de la seule pointe du pied. Le sens de l’image est transparent : la pratique de ce sport par les femmes conditionne leur grâce érotique et en retour leur grâce érotique irrigue l’esprit comme la technique de ce jeu au point de le différencier profondément de sa pratique masculine.
Un réflexe de voyeurisme est ainsi discrètement stimulé chez les spectateurs potentiels tentés de se libérer de l’inconfort provoqué en poussant la porte des gymnases où se livrent les matchs annoncés.
Il est probable, cependant, - mais c’est la loi du genre ! - que cette publicité promette plus que le spectacle promu ne puisse tenir. Le spectateur risque de ne pas forcément trouver ce dont on l’a fait rêver. Un coup d’œil sur les morphologies détaillées des joueuses sélectionnées, puisque les programmes en font état, montre que ce sport comme d’autres - du moins en compétition internationale - produit des gabarits où la masse musculaire semble parfois l’emporter sur la grâce. Même si, selon les équipes, les formats varient, l’écart souhaitable de dix unités entre le poids et les décimales de la taille n’est pas toujours la règle. On trouve des joueuses à 1m65 pour 64 kg, 1m70 pour 69 kg et même 1m89 pour 90 kg : c’est un profil plus râblé que le modèle exhibé, qu’annoncent ces proportions.
N’importe, si cette affiche surprend, c’est qu’on n’a pas l’habitude de voir une promotion aussi résolument politique d’un sport. Il faut reconnaître aux organisateurs de ce Mondial de handball féminin une conception mûrement réfléchie des enjeux de leur jeu. L’opposition entre les deux affiches le montre : le handball ne se limite pas à une glorification des jongleries qu’il offre en spectacle. C’est toute une vision des femmes françaises, et même universelles, qui est ici affirmée et souhaitée. Sportives et séductrices, elles ne s’encombrent d’aucun voile pour leur propre épanouissement et le plaisir de tous ceux et celles au regard desquels elles aiment s’offrir en tout bien tout honneur. Paul VILLACH
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