Pap Ndiaye - Le Noir est-il politiquement correct ?
Voici deux extraits du livre "La condition noire". Vous pouvez réagir.
" La situation est plus complexe du côté du président de la République Nicolas Sarkozy : celui-ci a manifesté à plusieurs reprises son intérêt pour l’action positive. En outre, il a procédé à la nomination de plusieurs ministres issues des migrations postcoloniales : Fadela Amara, Rachida Dati et Rama Yade. Que le gouvernement ne soit plus monocolore est certainement un motif de satisfaction, mais si cela ne s’accompagne pas d’actions structurelles contre les discriminations, ces promotions risquent de participer d’une politique de tokenism, c’est-à-dire d’inclusion très limitée de minorités visibles dans les cercles de pouvoir afin de donner l’illusion de la diversité.
Aux États-Unis, le gouvernement de George W. Bush est le plus ouvert à la diversité de toute l’histoire du pays : il a notamment nommé Colin Powell et Condoleezza Rice à des postes éminents. Pour autant, sa politique est hostile à l’affirmative action et évidemment contraire aux intérêts d’une grande partie des Afro-Américains, qui ont massivement voté contre lui lors de l’élection présidentielle de 2004.
J’ai été frappé par l’ambivalence des Noirs interrogés à propos de la nomination de Rama Yade au poste de secrétaire d’État chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’homme. La plupart sont circonspects : à l’évidence, la mauvaise image de Nicolas Sarkozy auprès d’eux n’est pas rectifiée par la présence de la jeune femme d’origine sénégalaise au gouvernement.
En outre, la création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du
"Ce qu’un certain nombre de chercheurs proposent, dont je suis, c’est de ne pas considérer la question raciale indépendamment de la question sociale. Il s’agit donc de sortir d’une alternative dommageable : soit une question sociale qui met de côté la question raciale (et devient alors aveugle aux discriminations raciales), soit, ce qui est pire, une question raciale brandie contre la question sociale (et est ainsi indifférente aux inégalités socio-économiques tout en ouvrant la porte en grand au racisme différentialiste).
Il convient plutôt d’adopter une approche souple, attentive à la variété des situations sociales, mais qui ne perde pas de vue que la question raciale est une modalité de la question sociale, ce qui implique de considérer cette dernière dans une perspective bien plus ample que strictement classiste, pour prendre en compte tous les phénomènes d’inégalités sociales (la classe, mais aussi le genre et la « race »).
Une analyse des rapports de domination qui ne prend pas en considération les variables de classe, de « race » et de genre conduit à une lecture hémiplégique de la situation sociale des groupes considérés.
Parler des Noirs est donc référer à une catégorie imaginée, à des personnes dont l’apparence est d’être noires, et non point à des personnes dont l’essence serait d’être noires.
Martin Luther King formulait la chose en disant que les Noirs étaient « des Blancs avec une peau noire » (on pourrait aussi bien retourner la formule comme un gant) : par là, il reconnaissait bien le fait phénoménologique de l’apparence noire, sans l’essentialiser. Les Noirs sont noirs parce qu’on les range dans une catégorie raciale spécifique, bref, ils sont noirs parce qu’on les tient pour tels.
Cela n’implique nullement que cette catégorie raciale soit figée : on verra que, selon les moments et les lieux, elle n’inclut pas les mêmes personnes. Cela n’implique pas non plus que les personnes concernées se définissent nécessairement comme telles, comme nous le verrons également. S’il n’existe pas de « nature noire », il est possible d’observer une « condition noire », par laquelle on signale que des hommes et des femmes ont, nolens volens, en partage d’être considérés comme noirs à un moment donné et dans une société donnée...
De telle sorte qu’un Noir albinos peut être l’objet de la même stigmatisation raciale qu’un Noir à peau noire, en dépit de la blancheur de sa peau. Il sera bien reconnu comme « noir », tandis qu’un Blanc bronzé ne perdra pas son identité blanche pour autant. La racialisation des groupes ne souffre
© Calmann-Levy