Violence des jeunes : vrai ou faux problème ?
Sociologue et historien, directeur de recherches au CNRS, auteur, notamment, de nombreux ouvrages de référence sur la délinquance, il co-signe avec Véronique Le Goaziou La violence des jeunes en question (Champs social éditions), une étude basée sur des données statistiques, historiques et judiciaires qui démonte la plupart des idées reçues sur le sujet.
Il replace également la délinquance des jeunes dans le contexte socio-politique actuel alors que les rapports entre la population et la police (et la gendarmerie) se dégradent et que se réduit notre seuil de tolérance face aux petits litiges quotidiens.
Il y a plus de délinquants car il y a plus d’infractions nouvelles. Ce qui n’était pas considéré comme un infraction en est devenue une. Cela vaut pour toute la société et pas seulement pour les jeunes. On finira bientôt par admettre que des policiers gardent à vue des enfants pour un vol de goûter.
« Nos sociétés sont rendues amnésiques par des médias en quête de nouveauté et de sensation qui se complaisent souvent dans le traitement de faits-divers », écrit Laurent Mucchielli. Des médias qui brodent sans cesse sur de vagues concepts - violence gratuite, zones de non-droits, ultra violence - qui ne recouvrent rien de concrets dans les faits.
Laurent Mucchielli ne nie pas qu’il existe une violence des jeunes, il analyse les discours qui la mettent en exergue pour mieux nous faire peur avec la figure récurrente de l’ennemi intérieur...
Laurent Mucchielli : C’est une tendance lourde qui pèse en particulier sur le fameux sentiment d’insécurité, évidemment aussi sur l’utilisation politicienne du thème de la sécurité qui est importante pour comprendre l’impact malheureux du traitement médiatique. Les premières personnes concernées par l’insécurité sont les personnes âgées.
Il est bien clair que le sentiment d’insécurité ce n’est pas la traduction directe du risque objectif d’être victime de quelque chose. C’est une naïveté entretenue par les politiques. Vous avez vu cette semaine les annonces du ministère de l’intérieur à propos du plan de protection des personnes âgées. C’est intéressé politiquement.
En réalité les jeunes sont plus victimes de bagarres, de rackets, etc. On vit dans une société vieillissante, donc c’est un enjeu électoral pour les politiques. Ce gens plus âgés se sentent plus vulnérables, c’est le mot-clé. Leur sentiment d’insécurité est en fait un sentiment de vulnérabilité. Il ne leur arrive pas grand chose, mais au cas où ça arriverait... ça fait très peur à l’avance.
LM : Le tournant se situe à la charnière des années 80 et 90. C’est le moment où très clairement se fixe de manière jusqu’à nos jours définitives – j’espère qu’il y aura un après – cette image du jeune des cités, issu de l’émigration, comme l’élément dangereux. C’est le visage donné à la peur. Qu’on l’appelle « rebeu », « racaille », « sauvageon », etc., c’est l’incarnation du danger.
Trois points de repères chronologiques qui s’imbriquent très bien ensemble montrent bien ça : En 1989 il y a la première affaire du voile islamique en France. En 1990, il y a ce qu’on appelle pour la première fois les émeutes, à Vaulx-en-Velin. Dans le discours politique et médiatique il y a tout ce qui arrive derrière ce mot, « émeutes », qui représente une peur très importante, celle d’entrer dans une société à l’américaine. Derrière ce mot émeute il y a les mots « ghetto », « drogue », « arme »...
Toute cette peur arrive et se met en place et jusqu’à ce jour ça n’a pas cessé. Et puis, pour parachever le tout, en 1990-91, il y a la première guerre du Golfe avec à l’époque ces discours et ces pseudos rapports des RG qui annonçaient des risques de soulèvement dans les quartiers parce que les Arabes de France seraient solidaires de Saddam Hussein, ce qui était une bêtise (tout ça parce qu’il y a eu un tag qui proclamait Vive Saddam Comme d’ailleurs en 2001 on verra un tag « Vive Oussama »).
Ce n’est absolument pas représentatif de la population de ces quartiers. Les enquêtes que nous réalisons par la suite montrent que la grande majorité des gens, la fameuse population issue de l’immigration, partage les opinions moyennes de la société française. Elle a juste une sensibilité particulière à ce qui se passe évidemment dans les pays du Moyen Orient et à la cause palestinienne.
OB : Vous mettez en cause certains médias. Vous les accusez d’être les complices des politiques. « Ne se sont-ils pas mués, écrivez-vous, en metteur en scène des scénarios politiques ».
Ce n’est pas un coup de gueule émotionnel de ma part. Cela ressort de l’observation du déroulement précis des choses. Comment expliquer qu’il y a des semaines où tout d’un coup la sécurité est numéro 1 sur l’agenda, tous les faits-divers qu’on peut ramasser sortent en tête dans les journaux télés ou radios, et puis qu’il y a d’autres semaines où l’on n’en parle plus du tout. Chacun peut le constater.
OB : Pourquoi les jeunes des classes populaires, souvent issus de l’émigration, sont visés par ces discours ?
LM : Il y a en France un phénomène de ghettoïsation. Pour des raisons qui ne sont absolument pas nouvelles et qui étaient déjà repérés dans des travaux datant du 19ème siècle. Dans les quartiers populaires il y a plus de problèmes de délinquance juvénile.
OB : La police n’est pas irréprochable dans ces quartiers...
LM : Bien entendu. On ne remet pas en cause la légitimité de la présence, des interventions et des contrôles policiers, mais à certains égards ces façons de faire renforcent les problèmes au lieu d’aider à les diminuer. Tout l’appareil répressif a en quelque sorte les yeux rivés sur ces quartiers. D’une certaine façon cela se comprend puisqu’il y a plus de problèmes qu’ailleurs.
OB : La frénésie sécuritaire qui tient actuellement lieu de politique n’est en réalité qu’une forme particulière de gestion de l’urgence, écrivez-vous dans votre ouvrage. Comment sortir de ce cercle vicieux ?
LM : Il faudrait redonner un peu de sérieux, un peu de profondeur, un peu de débat, et qu’on sorte de cette frénésie sécuritaire et de ce degré zéro de la réflexion – dès qu’un fait-divers se produit l’annonce d’une nouvelle loi tombe aussitôt...
OB : Est-ce que s’en prendre aux jeunes d’aujourd’hui c’est mettre au pas les adultes de demain ?
LM : A beaucoup d’égards il est frappant de constater que nos concitoyens sont dans l’ensemble très conformistes et soumis. Je ne porte pas de jugement de valeur, mais de fait c’est l’un des principes de la vie sociale : la plupart de nos comportements reposent sur le conformisme. On peut dire que beaucoup de choses se passent et provoquent une espèce d’apathie générale.
OB : Ces actions sont aussi de plus en plus criminalisées
LM : Il est certain que la tactique du pouvoir actuel est d’étouffer dans l’oeuf toutes les formes de mobilisation par un déploiement totalement disproportionné de moyens répressifs. Localement, pour la moindre manifestation ou déplacement d’un ministre qui vient faire telle séquence de communication, on mobilise la moitié des effectifs de gendarmes mobiles et de CRS sur 24 ou 48 heures.
OB : Cela favorise t-il la montée des radicalités ?
LM : Oui, fatalement. C’est comme pour les émeutes. Nous sommes dans un contexte où je ne serais pas étonné que des choses redémarrent. Entre la crise économique, le niveau de chômage dans les quartiers, l’absence de reprise au niveau de la désespérance des gens et l’absence de moyens de contestations, c’est la porte ouverte à la radicalisation. Il y aura d’autant de violence et de désespérance qu’il y a moins de relais politiques pour l’exprimer.
Crédit image : Le Petit parisien/"L’apache est la plaie de Paris"
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