2012 : Le meilleur choix serait-il de ne pas en faire ?
Il semblerait que nous sommes à l’aube d’une année électorale importante : Les médias s’arment pour pouvoir nous bombarder d’exclusivités sur les derniers faits et gestes de tel ou tel candidat, les politiques se voient devant un des grands tournants de leur carrière, les intellectuels sentent que c’est le moment de faire progresser telle ou telle cause, chacun envisage l’évènement comme quelque chose d’important.

Mais les français, grands septiques, semblent douter. C’est vrai, la question nous habitent tous : « En 2012, qu’apportera mon vote ? » Et même si l’espoir existe le candidat qui pourrait tout changer soit élu, comment ne pas redouter que son mandat ne soit en fait qu’une occasion supplémentaire de se lamenter sur l’impossibilité de changer le triste déclin de la France ? Les militants de chaque parti redoublent d’enthousiasme et exhortent leurs compatriotes à s’engager pour faire progresser leur pays, à être responsables, à voter. Car être responsable politiquement, c’est voter. Voilà une des grandes idées conséquente à la mise en place de notre système politique. Cette idée est tellement présente, que certains proposent de taxer ceux qui n’iraient pas voter, comme si l’abstention n’exprimait rien d’autre que la lâcheté et l’irresponsabilité des citoyens face aux enjeux politiques. On nous dit également qu’après tout, ces citoyens qui ne votent pas n’ont aucune raison de se plaindre des politiques menées puisqu’ils se sont exclus du processus politique.
Vous vous en doutiez, j’ai quelque chose à redire à tout cela. A la réflexion, il existe de multiples raisons de considérer l’abstention comme un choix intelligent. Mais préalablement à une étude de l’abstention, il faudrait parler du vote. En quoi consiste-t-il ? Concrètement, c’est une délégation du pouvoir que le citoyen fait au politique parce qu’il est compétent dans le domaine des affaires publiques. Chaque citoyen vote pour le politique dont les idées lui correspondent. Dans ce cadre-là, l’abstention peut exprimer une multitude d’autres choses que de l’irresponsabilité : Le refus de déléguer son pouvoir politique, le refus de donner plus de légitimité à l’élection de tel politique (le taux de participation à un vote est toujours invoqué comme la preuve qu’un candidat a su mobiliser le peuple), le refus de reconnaitre une prétendue supériorité des politiques dans les affaires publiques, le refus de reconnaitre l’élection comme l’expression idéale de la démocratie, etc.
Depuis le temps que nous expérimentons la forme élective de la démocratie, on commence à douter de son efficacité. Même si certains peuvent voir dans ce genre de propos un utopisme dangereux (on en arriverait à dénier toute légitimité à la démocratie en général si aucune de ses expressions ne nous satisfait), des intellectuels mettant en avant d’autres formes de démocratie ont déjà prouvé que cette attaque n’était pas valable, comme le défenseur du tirage au sort, Etienne Chouard. L’élection ne possède-t-elle pas déjà en substance les causes de son échec ? C’est ce qu’avançaient Montesquieu et Rousseau en leur temps en considérant ce processus comme intrinsèquement aristocratique. Mais l’idée que nous avons besoin d’une classe supérieure, spécialisée et compétente, pour nous diriger est aujourd’hui quasiment admise par tous comme on a pu le constater lors de la ratification du traité simplifié de Lisbonne qui en est une des expressions les plus éclatantes. Evidemment quelques politiques prennent le parti de dénoncer ce « vol du pouvoir au peuple » tels Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon, mais il est évident qu’ils ne peuvent en trouver la raison dans la forme actuelle de démocratie puisqu’ils sont eux-mêmes des élites destinées à détenir le pouvoir s’ils remportent l’élection. Arnaud Montebourg a peut-être été l’un des responsables politiques en vue des plus intègres par son appel à une VIème république, une république plus parlementaire où il serait donc amené à détenir moins de pouvoir. A la réflexion, le terme « intègre » n’est peut-être pas le plus approprié, le mot « conscient » me semble plus à propos. Parler d’intégrité supposerait en effet une corruption généralisée des élites, discours resservi par bien des esprits critiques à l’encontre des dérives du pouvoir. Doit-on vraiment croire que les politiques sont corrompus ? Vouloir sincèrement faire progresser le bien commun et ne pas y arriver me semble simplement inévitable sur la base d’un outil aussi mal conçu que le système électif. Avant l’époque moderne et sa conception de la démocratie, on a rarement vu un pouvoir désiré fondateur de quelque chose de positif. Il faut dire qu’on avait peu de raisons de convoiter le pouvoir puisque sa conception le rendait inaccessible à la majeure partie des hommes : En démocratie athénienne, le tirage au sort désignait arbitrairement un citoyen pour détenir le pouvoir, en monarchie, l’hérédité désignait de manière tout aussi arbitraire celui qui devait détenir le pouvoir. Etait-ce une récompense, quelque chose d’enviable ? Pour ceux qui ne le détenaient pas, peut-être. Mais il faut se souvenir de Titus qui vit ce pouvoir comme une malédiction qui l’empêchera pour toujours de trouver le bonheur personnel puisqu’il l’éloigne de la femme qu’il aime, Bérénice dans la pièce éponyme de Racine. Et cela correspondait bien à une réalité puisque Louis XIV a lui-même renoncé à l’amour en la personne de Marie Mancini pour épouser par devoir Marie Thérèse d’Autriche. En Angleterre, deux siècles plus tard, le duc de Windsor renonce au trône en faveur de son frère pour vivre avec la femme qu’il aime. Le pouvoir ne semble en rien être quelque chose d’enviable ou d’épanouissant, au contraire c’est une responsabilité telle qu’elle exige un sacrifice de l’individu qui le détient au profit du bien commun. En quoi le système électif change-t-il quelque chose ? Tout simplement en cela que, maintenant, il faut vouloir ce pouvoir pour l’avoir. Il faut être candidat à l’élection pour pouvoir être élu. Ce premier aspect, très pervers et dénoncé par le philosophe Alain dans ses Propos sur le pouvoir, suppose soit que le candidat est prêt à se sacrifier volontairement au nom du bien commun, soit qu’il ne considère plus le pouvoir comme cette malédiction funeste que dénonçaient tant de héros tragiques à qui il serait à jamais impossible d’être heureux, mais plutôt comme une récompense, comme une réussite, quelque chose de désirable. Ce qui fait tout simplement que le candidat, une fois élu, se comporte comme s’il avait été récompensé, comme si le soutien d’une partie du peuple français signifiait qu’il était libre d’exercer ce pouvoir comme bon lui semble et non plus écrasé par un pouvoir lourd de toutes les traditions qui l’accompagnent, un pouvoir qui est en fait un fardeau. Ce problème posé par le système électif mériterait à lui seul d’être développé de manière bien plus complète mais je souhaiterai en évoquer d’autres.
« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde. » Cette phrase de Gandhi est explicitement un appel à cesser d’attendre des autres qu’ils mettent en place ce que nous considérons comme nécessaire. Et le terme « autres » comprend en premier lieu les élites politiques, à plus forte raison de la part de Gandhi dont les idées anarchistes expliquent l’usage de la non-violence pour provoquer l’indépendance de l’Inde. Il est évident que d’une certaine manière en considérant que tel ou tel politique est capable de remédier aux travers de la société, nous évitons de réfléchir sur notre propre part de responsabilité. Cette surdité de la conscience, cette déresponsabilisation se répand d’autant plus que le débat politique se complexifie pour une raison évidente : Plus les enjeux sont difficiles à comprendre et à maitriser, plus il apparait légitime de les confier à des élites compétentes et préparées à la gestion des affaires publiques. Est-ce inévitable ? Doit-on admettre que la progression vers la maturité de notre république suppose que les problèmes politiques deviennent de plus en plus complexes ? Non, il y a plutôt lieu de la considérer comme totalement artificielle. Le débat politique est mené par des individus qui s’accordent à considérer comme nécessaire la délégation aux élites et qui donc - consciemment ou non - vont faire en sorte de rendre plus légitime leur présence au pouvoir. Cela s’illustre très bien par les critiques faites par les politiques à l’encontre du programme du Front National : On qualifie d’amateuriste son projet économique pour bien marquer la différence avec le professionnalisme des partis majoritaires. Ainsi le citoyen se retrouve face à un débat politique qu’il est de moins en moins capable de maitriser lorsqu’on lui explique dans un même temps qu’il en va de sa responsabilité de participer au pouvoir démocratique. Il s’ensuit que le citoyen ne peut guère plus que se réfugier dans un vote qui prend une dimension d’autant plus importante qu’il est le seul compromis envisageable. Cette forme d’expression politique n’est en rien idéale et condamne les citoyens à une résignation et une soumission aux élites prétendument compétentes toujours plus importantes. Le citoyen risque ainsi d’oublier de considérer des choses qui auraient pu lui paraitre évidentes sans tous ces réflexes que lui a donnés la confiance dans le gouvernement représentatif. Celui qui peste contre les grandes surfaces qui mettent en difficulté les producteurs agricoles n’attend qu’une chose : Que l’on légifère pour obliger les entreprises à acheter à un prix correct les produits agricoles. Il n’envisage pas d’aller faire ses courses au marché, là où les producteurs viennent vendre directement, plutôt que dans les grandes surfaces. Le citoyen qui s’énerve de voir des vêtements vendus peu cher parce qu’ils sont fabriqués à l’étranger dans des conditions douteuses aura une exigence : Que le politique mette en place une taxe sur les produits textiles importés. Il ne songera pas à prendre garde à n’acheter que des vêtements fabriqués en France. Heureusement, il existe beaucoup de gens pour échapper à cette généralité, qui font en sorte de se comporter de manière intègre et responsable, non pas en votant mais en agençant leur quotidien comme l’expression de leurs idées. A nous de faire l’effort de redevenir conscients en nous débarrassant des réflexes de délégation aux élites politiques.
Enfin, il me semble important de souligner un autre aspect néfaste du système électif et pas des moindres puisqu’il s’agit de la partition du peuple. Cette partition non seulement culturelle mais en plus vieille de seulement deux siècles dont l’existence n’est justifiée que par le caractère électif de notre démocratie semble concentrer toutes les passions et bien trop d’intelligences. Chaque débat politique majeur semble devoir se traduire par une nouvelle partition de la société. Ainsi la première partition s’est faite entre droite et gauche. Puis s’y est ajoutée la partition entre nationalistes et internationalistes, conservateurs et progressistes, capitalistes et protectionnistes, étatistes et libertaires, religieux et anticléricaux, etc. Ces partitions tirent directement la justification de leur existence dans le système électif puisque le principe étant d’emporter la majorité des votes, quand on s’oppose à une idée, à un projet, la seule alternative intelligente est de s’unir à tous ceux qui s’y opposent également quand bien même ça serait pour des raisons radicalement différentes dans le but de réunir au maximum. Ces oppositions binaires sont stériles et ont contribué à rendre le débat intellectuel de plus en plus pauvre au profit d’une technicisation du débat politique.
Pourrons-nous admettre que la démocratie représentative ne constitue pas un horizon indépassable ? Il y a peu de raisons d’y croire. Mais rien, vraiment rien ne nous empêche d’exprimer notre volonté de ne pas nous faire dépouiller de notre pouvoir d’améliorer la vie en société par des élites peu compétentes, c'est-à-dire de nous abstenir. Et cette abstention pourra tout à fait être active et féconde au lieu de n’être que l’habituelle expression d’un abandon et d’une résignation défaitiste. A nous de faire nos choix en conscience et de garder en mémoire ce bon mot de Coluche : « Si les élections pouvaient changer quoi que ce soit, il y a longtemps qu'elles auraient été supprimées. »
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