50 ans après, recréons le « rêve européen »
Signé le 25 mars 1957 par six Etats membres (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas), le traité de Rome a jeté les bases de la Communauté économique européenne (CEE) qui allait constituer, après la CECA, une des premières étapes du plus beau projet politique que le XXe siècle ait porté, celui qui a instauré une paix durable après des guerres fratricides.

Aujourd’hui, l’organisation qui est devenue l’« Union européenne », s’essouffle. Les responsables de ce ralentissement sont nombreux et le gouvernement français en est un.
La campagne électorale ne parle guère de l’Union alors même que notre avenir passe par elle. Voulons-nous en faire un simple marché commun ? Voulons-nous en faire une puissance ? Voulons-nous une Europe sociale ? Voulons-nous une Europe des citoyens ? Une Europe réellement démocratique ? Voici de nombreuses questions que la campagne devrait traiter.
Mais pour cela, il faut également faire le bilan de la politique européenne menée par le gouvernement français dont le candidat UMP a été le numéro deux.
Depuis 2002, nous connaissons en France un véritable repli nationaliste et un abandon certain des politiques européennes pour privilégier un partenariat atlantiste. C’est tout du moins la politique adoptée par Nicolas Sarkozy.
Rompre avec l’Union européenne et son intégration renforcée ? Dans une certaine mesure, il est apparu assez proche de cette idée lors de sa visite officielle à Washington.
Cette rencontre avec le président américain, à l’occasion des « commémorations » du 11 septembre 2001, donna l’opportunité à Nicolas Sarkozy de réaffirmer implicitement que s’il était élu en 2007, il mettrait un terme à la spécificité française à l’égard des Etats-Unis, au profit d’une vision plus atlantiste.
Également, à l’occasion de sa visite aux institutions européennes, le ministre français avait indirectement souligné que seul le « durcissement des conditions permettant d’obtenir un visa ou le droit au regroupement familial » méritait une concertation entre partenaires.
En effet, il n’a nullement proposé une approche européenne en amont, afin de gérer ensemble l’attraction qu’exerce sur les citoyens extracommunautaires la prospérité européenne, et ses conséquences humanitaires dramatiques.
C’est pourtant sur ce dernier point que l’interrogeait le président de la Commission européenne, José-Manuel Barroso.
Ainsi, en l’espèce, Nicolas Sarkozy semblait considérer l’Union comme un outil de répression plus soutenu à l’encontre de ceux souhaitant pénétrer sur le territoire français, et non comme une entité indépendante coopérant avec les pays en développement pour une gestion durable des flux migratoires.
En réalité, depuis les résultats très décevants de Nicolas Sarkozy comme tête de liste RPR-DL aux élections européennes de 1999, on constate qu’il intervient peu sur le sujet de l’Union européenne.
Alexis Dalem, chercheur à Sciences-Po Paris, avait déjà résumé son bilan (sur « Telos ») en tant que ministre des Finances et de l’Intérieur ainsi : « Instrumentalisation des questions européennes au profit de l’affichage médiatique, faiblesse de l’engagement européen, accord avec la vision britannique d’une Europe réduite à un grand marché voué au libéralisme économique. »
Soyons plus précis : après l’échec en France du référendum sur le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, le ministre de l’Intérieur proposa qu’un directoire formé des six plus grands pays prenne la direction des Affaires européennes.
Pour de nombreux diplomates européens, cette proposition sous-entendait que les grands pays ont des intérêts forcément convergents (ce qui n’est pas si clair, le Royaume-Uni refusa d’adopter l’euro), et négligeait le rôle d’intermédiaires que jouent régulièrement les « petits pays ». Cela traduit clairement la méconnaissance grave de l’histoire de la construction européenne par M. Sarkozy.
Lors de son bref passage au ministère de l’Economie et des Finances, en 2004, on se souvient de ses déclarations en faveur de la suppression des fonds structurels destinés aux Etats membres dont la taxation est inférieure à la moyenne européenne. Présentée sans consultation préalable, cette proposition avait suscité une vague d’indignation dans les dix nouveaux Etats membres, et contribué à dégrader encore l’image de la France en Europe (M. Sarkozy est un spécialiste de l’incident diplomatique collatéral : souvenons-nous de la critique des sumos faite en Chine).
En tant que ministre de l’Intérieur, il est en partie responsable du suivi de la coopération dans le domaine de la sécurité et de la justice. Il ne fait aujourd’hui aucun doute qu’une lutte efficace contre les réseaux terroristes et le crime organisé (mondialisés) passe par une meilleure coopération européenne. Ainsi a été créé, par exemple, le mandat d’arrêt européen en juin 2002. Or, la loi sur le terrorisme, que Nicolas Sarkozy présenta en octobre 2005, apporte une réponse presque exclusivement nationale. Elle ne se préoccupe que marginalement du bon fonctionnement des dispositifs de coopération européenne, notamment du mandat d’arrêt européen. Finalement, la position européenne de M. Sarkozy est uniquement néolibérale.
Loin de promouvoir « l’Europe sociale », il défend un grand marché unique et la fin, via l’Europe, du modèle social français. C’est notamment ce qui explique (à côté d’une volonté de satisfaire l’opinion publique) son faible engagement en faveur du traité constitutionnel qui était souvent défendu comme permettant une diffusion plus large de la conception française au sein de l’Union (notamment avec une première reconnaissance des services publics), et non comme un moyen de libéraliser le système national, ce que soutenait le ministre candidat.
Mais la mauvaise volonté française quant à la construction européenne n’est pas uniquement perceptible dans les déclarations électorales de M. Sarkozy.
On se souviendra ainsi que l’exécutif français souhaitait que le budget de l’Union baisse de 1,14 % à 1 % du PNB de l’Union. En d’autres termes, il souhaitait, contre l’avis de la Commission, que la contribution de l’Etat baisse, alors même que l’Union doit faire face à des besoins économiques plus importants que dans le passé.
Il y a plus grave dans l’attitude française. Alors que la campagne référendaire nous a appris l’incroyable écart existant entre les Européens et leurs institutions, mais également la méfiance que celles-ci leur inspiraient, il serait plus que temps de mettre en avant les multiples bienfaits de la construction communautaire et de ses politiques pour le continent et ses populations.
Pourtant, continuant une longue tradition française, les gouvernements UMP se sont à nouveau largement défaussés sur la Commission européenne et sur l’ « horrible machine technocratique européenne ».
C’est pourquoi, afin que nos concitoyens soient parfaitement au courant de la véritable attitude française sur la question européenne, il est honnête de faire remarquer (et le président de la Commission ne s’en est pas privé) que la France et les principaux pays contributeurs au budget européen s’étaient opposés, par souci d’économie, à la proposition de la Commission européenne de créer un fonds pour aider les régions victimes de « chocs imprévus ». Ce fonds aurait vocation à intervenir, par exemple, pour limiter l’impact de plans sociaux.
Pour répondre à la panne de l’Europe, mieux vaut s’intéresser à de grands projets européens. C’est en avançant en matière de croissance, d’emploi, de recherche, mais aussi d’environnement, d’indépendance énergétique, qu’on redonnera confiance aux peuples. Or, en la matière, la politique de la majorité est bien au repli sur soi.
On l’a encore constaté avec l’éventuelle fusion entre GDF et Suez. On comprend aisément que le gouvernement français ait voulu envoyer un message « protectionniste » à son opinion publique, tout en entamant en réalité la privatisation de son entreprise publique (pourtant interdite par une loi de 2004).
Au lieu de convaincre et d’expliquer les raisons de construire une Europe de l’énergie, la majorité caressa l’opinion du non au référendum de 2005 : après le plombier polonais menaçant notre système social, nous avons eu droit à l’électricien italien (Enel) qui mettait en péril notre indépendance énergétique, alors même que nos entreprises énergétiques rachètent de nombreuses sociétés à l’étranger. Comme tant d’autres vérités, le gouvernement se garde bien de le rappeler.
Toute la politique de ces cinq dernières années a été d’accuser l’Union de tous les maux et de se décharger sur elle.
Malgré ces attitudes de dénigrement, les Français ne sont pas opposés à l’Europe, ils sont au contraire très exigeants à cet égard. Il faut répondre à cette attente, qu’exprime aussi la victoire du non au référendum sur le Traité constitutionnel européen.
Par ses propositions, Ségolène Royal semble la plus à même d’y parvenir. Ayant reçu le soutien de Jacques Delors, l’un des plus grands artisans de l’UE, on ne peut que la créditer d’une vision juste sur les problématiques européennes.
Elle propose ainsi de construire une Europe plus protectrice et plus en phase avec les besoins de ses citoyens avec la mise en place rapide de politiques communes ambitieuses sur les enjeux majeurs (recherche, innovation, énergie, environnement).
Autre élément important de son programme, la préservation du développement de services publics de qualité par une directive-cadre européenne.
La présidente de la région Poitou-Charentes propose également de réaliser l’Europe sociale, en inscrivant dans les statuts de la Banque centrale européenne (BCE) l’objectif de croissance-emploi et en créant un gouvernement économique commun, qui veillera à tirer vers le haut le niveau de vie et la protection sociale dans tous les pays de l’Union grâce à un protocole social.
Les institutions européennes ne fonctionnent plus correctement à 27 et c’est pourquoi la candidate souhaite négocier un traité institutionnel soumis à référendum (comme le souhaite également M. Bayrou alors que M. Sarkozy « oublie » la population) pour que l’Europe fonctionne de manière plus démocratique et plus efficace.
Egalement, la candidate socialiste souhaite réviser notre politique d’aide au développement qui passerait à un véritable codéveloppement en favorisant les projets concrets associant directement les bénéficiaires.
L’Europe, appuyée sur une France forte, peut et doit porter sa voix dans le monde pour y défendre ses valeurs de paix et de progrès social.
Car l’Europe doit assurer un rôle de pacification et d’équilibrage entre les superpuissances, en intervenant là où cela est nécessaire pour maintenir la paix.
Il faut donc inscrire notre effort de défense dans une politique européenne de sécurité avec des coopérations en matière de recherche/innovation et d’équipements pour renforcer notre sécurité et rationaliser nos dépenses.
Il faudra aussi organiser avec nos partenaires européens une Conférence internationale de la paix et de la sécurité au Moyen-Orient, tant ce conflit, à nos portes, est d’importance
Ségolène Royal souhaite enfin défendre une politique de régularisation de la mondialisation, en faisant en sorte que l’OMC, le FMI et la Banque mondiale prennent en compte et défendent les normes sociales et environnementales. Elle affirme également vouloir défendre le principe d’une taxe sur les flux financiers (taxe de type Tobin).
Toutes ces propositions ne sont pour la plupart que celles de Mme Royal. Les autres candidats étant nettement moins ambitieux, souvent promouvant le repli sur soi, ou la mollesse et l’impasse.
Pourtant, aucun pays membre ne peut prétendre peser seul sur les affaires du monde. Il n’existe actuellement aucun pôle s’approchant, même de loin, de la puissance américaine et la crédibilité de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour les grandes affaires internationales semble malheureusement de plus en plus faible.
L’Union européenne doit donc faire face à « l’hyperpuissance » américaine comme à d’autres puissances comme la Chine, l’Inde, le Japon, le Brésil, et bien sûr la Russie.
Qui plus est, elle doit être capable de gérer à la fois les nouveaux enjeux mondiaux et ses propres crises internes (comme l’ultralibéralisme non régulé, les crises économiques, le terrorisme, l’émergence de nouvelles puissances, la crise économique, le déclin démographique alarmant, mais aussi et surtout le déclin démocratique et l’augmentation de la xénophobie et de la peur de « l’autre »).
Face à de tels défis, les gouvernants doivent d’abord combattre le désintérêt des citoyens européens face à la vie politique, démocratiser les institutions communautaires et réaliser des politiques communes accessibles, visibles, et au nom d’un seul peuple.
C’est ainsi que l’on permettrait la sauvegarde des valeurs européennes - qui sont bien réelles et qui le seront toujours plus -, leur pérennisation, ainsi que la création d’un vaste espace démocratique.
Au-delà, il nous faut permettre un nouvel équilibre mondial, plus juste, qui répondrait aux souhaits des pères fondateurs de l’Europe, c’est-à-dire, une Union politique prospère et pacifique, porteuse d’un nouveau modèle plus égalitaire et solidaire.
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