A la NASA la fin d’un monde est annoncée
C'est du sérieux ! Une étude du Goddard Space Flight Center – un important centre de recherche de la NASA – met en garde contre un effondrement de notre civilisation... dans quelques dizaines d'années. ( lien ).
Que nous prédit cette étude ? une météorite géante s'écraserait sur la Terre, anéantissant la vie humaine, comme au temps des dinosaures ( lien ) ? Non. Une catastrophe nucléaire ? Non ; cet effondrement de notre civilisation serait lié à la surexploitation des ressources et à l’inégale distribution des richesses.
Pour parvenir à leurs résultats, des sociologues se sont basés sur un modèle mathématique Handy (Human And Nature DYnamical). L’étude dirigée par le mathématicien Safa Motesharri de la National Science Foundation (États-Unis) a permis de déterminer plusieurs facteurs qui, en étant reliés, conduiront à un effondrement. « La rareté des ressources provoquée par la pression exercée sur l’écologie et la stratification économique entre riches et pauvres a toujours joué un rôle central dans le processus d’effondrement. Du moins, au cours des cinq mille dernières années » indiquent les chercheurs. Les riches seraient inscrits dans une surconsommation des ressources tandis que les plus pauvres seraient condamnés à survivre. Quant au développement des nouvelles technologies, elles « augmentent l’efficacité des ressources, mais aussi la surconsommation ». Concrètement, l'étude fait le constat que l'augmentation de la productivité dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrie lors deux derniers siècles a provoqué une hausse substantielle des ressources, sans que celles-ci ne soient pour autant équitablement réparties. La division sociale entre riches et pauvres conduit à la surconsommation des premiers, tandis que les seconds sont condamnés à se battre pour survivre, à lutter pour manger à leur faim.
La NASA se rangerait-elle du côté des décroissants et des anti-capitalistes ? On a du mal à y croire.
CROISSANCE DES INEGALITES....
Au fil de nombreux articles j'ai montré combien la concentration de la richesse avait atteint ces dernières années des niveaux qui dépassent l'entendement.
Au niveau mondial, la richesse globale se partage en deux parts égales, une, pour 1% de la population , les plus riches, et l'autre moitié, pour les 99% restants. On peut aussi affirmer que les 85 personnes les plus riches dans le monde possède la même fortune que la moitié de la population la plus pauvre de la planète soit 3,6 milliards d'êtres humain ( Voir l'article : 3,6 milliards de petits fauchés... ).
En Grande-Bretagne, l'ONG Oxfam indique que cinq familles possèdent plus que les 12 millions de personnes les plus pauvres dans ce pays.( lien) Et, cet écart continue de se creuser. Ces deux dernières décennies, les 0,1 % les plus riches ont vu leurs revenus croître presque quatre fois plus vite que 90 % de la population la moins aisée. Par ailleurs, Oxfam révèle que pour la première fois, parmi les ménages « pauvres », ceux vivant grâce à un revenu du travail sont plus nombreux que ceux n'ayant aucun emploi. « La Grande Bretagne est en train de devenir une nation profondément divisée, avec une riche élite qui voit ses revenus s'envoler tandis que des millions de familles luttent pour joindre les deux bouts » a commenté un porte-parole de l'organisation.
En France, si une étude du Trésor révèle que « La redistribution opérée par le système socio-fiscal est importante : elle réduit de 40 % les écarts de niveau de vie entre les 10 % des ménages les plus modestes et les 10 % les plus aisés. » ( article Les Echos 20/03/2014) - D'après l'étude, ce sont principalement les prestations sociales qui réduisent les inégalités, à hauteur de 60 % - cet "amortisseur social" ne suffit pas à empêcher la dérive de ces inégalités de revenus et de patrimoine. Selon l'Observatoire des Inégalités le niveau de vie moyen annuel ( après impôts et prestations sociales ) des 10 % les plus riches a augmenté de 1 795 euros, soit + 3,2 % entre 2008 et 2011, alors que celui des 10 % les plus pauvres a perdu 360 euros, soit une baisse de 4,3 % de leur niveau de vie sur cette période. La crise frappe bien davantage les ménages les plus modestes. Si on observe le cas des ultra-riches cette dérive ne fait que s'amplifier : Les 0,01 % les plus riches ont gagné 180 000 euros de revenus annuels supplémentaires entre 2004 et 2010. Un gain équivalent à treize années de Smic...( lien ).
En revanche si les grands gagnants ne sont pas si nombreux, le nombre de pauvres ne cesse d'augmenter. En France ce sont plus de 5 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ( 50 % du salaire médian soit moins de 850 € par mois ). De 2002 à 2011, ce nombre a augmenté de 1,1 million (+ 30 %)( Observatoire des inégalités ) ; ils survivent tant bien que mal et peuvent mourir dans l'indifférence générale.( Voir l'excellent article "453" de Nabum dans AV )
Aux Etats-unis, malgré les injections massives de liquidité, le pays s'enlise dans une dépression longue. Sous l'action des difficultés économiques ( chômage, déclassement, temps partiel subi ), l'armée des pauvres augmente inexorablement avec de nouveaux bataillons issus de la classe moyenne, ( voir l'article de Onubre Einz " La pauveté aux USA" - Le blog Les crises ).
Peu à peu le fossé entre le petit nombre des gagnants et le grande masse de perdants se creuse inexorablement. Cette faille béante qui traverse la société fera inéluctablement se dresser les uns contre les autres ces êtres autrefois unis par l'espoir d'un progrès partagé et aujourd'hui à jamais opposés.
"La concentration massive des ressources économiques dans les mains de toujours moins de personnes constitue une réelle menace pour les systèmes économiques et sociaux inclusifs. Au lieu d'avancer ensemble, nous voyons les inégalités se creuser en matière de pouvoir économique et politique, ce qui exacerbe inévitablement les tensions sociales et accroît le risque d'éclatement de la société." souligne un rapport de l'Oxfam.
...ET STAGNATION DE L'ECONOMIE
Les libéraux, pour justifier les inégalités rappellent que les très riches ( les 1 %) serviraient les intérêts de la société de quatre façons :
- L'investissement des riches finance l'innovation et celle-ci profite à tous,
- la réussite des riches est exemplaire et incite les jeunes de talent à prendre des risques,
- ils font du mécénat et participent au développement de l'art et de la culture,
- ils consacrent une partie de leur fortune à la philanthropie et participent à la lutte contre la misère.
( Voir le dossier de la revue Books et l'article " A quoi servent les riches " ).
Cette théorie fumeuse du ruissellement a de tout temps tenté de justifier le scandaleux état de fait de l'accaparement des richesses par une minorité de plus en plus réduite. L'inégalité a un coût humain, social et politique particulièrement élevé. Elle obère la réussite scolaire et les chances de réussite professionnelle de millions de personnes, elle expose l'individu à des risques multiples sur sa santé, sa sécurité et met en danger son intégrité physique et morale. Comme le souligne J.Stiglitz dans " Le prix de l'inégalité" (1) , "elle est la cause et la conséquence de la faillite du système politique et elle alimente dans notre système économique, une instabilité et inefficacité qui l'aggravent à leur tour. C'est ce cercle vicieux qui nous plonge dans l'abîme."
La dérive dans l'accroissement des inégalités, qui a débuté dans les années 1980, avec le triomphe de l'ultralibéralisme, a atteint les limites de l'instabilité du système. Le travail de Thomas Piketti et de son équipe, rassemblé dans le livre "Le capital au XXIème siècle"(2) révèle d'une part que les inégalités de revenu n'ont cessé de croître dans tous les pays depuis les années 70 - elles atteignent aujourd'hui le même niveau qu"à la fin du XIXème siècle - et, d'autre part que le rapport patrimoine privé sur les revenus a atteint aussi les niveaux d'avant la première guerre mondiale ( pages 53-54 ). Les formidables progrès techniques de l'ensemble du XXème siècle n'ont pas permis, contrairement aux promesses des tenants du libéralisme, un partage plus équitable des richesses garant de la pérennité du système.
L'autre élément que montre cette étude est le retour à un régime de croissance faible historique où les patrimoines issus du passé prennent alors une importance considérable devant les revenus du travail humain. Ainsi la croissance fondée sur la seule augmentation de la productivité par les progrès techniques, malgré la diffusion des connaissances et l'augmentation des compétences qu'elle exige, n'a pas permis une inversion de la tendance de fond des méfaits du capitalisme dans la distribution des richesses. Malheureusement "Le marché comme la technologie ne connait ni limite ni morale". ( page 370 ). Seule la volonté politique, expression démocratique de la volonté populaire pourrait faire infléchir cette tendance à la concentration du capital, pour fonder un ordre social plus juste.
Le postulat libéral qui affirme que : " L’enrichissement d’une minorité stimulerait la croissance, favorisant ainsi la réduction du chômage et l’amélioration de la condition des pauvres" serait aussi remis en cause par les propres économistes libéraux ( Voir l'article du Monde Diplomatique de mars 2014 " l'affreux doute des libéraux " ). L' article révèle que depuis une décennie le système a atteint ses propres limites et on constate une baisse des profits, une stagnation voire une baisse de la productivité, la demande intérieure se contracte,malgré les politiques "accommodantes" des banquiers centraux, l'investissement productif stagne. Bien que disposant d’une importante trésorerie, les grandes entreprises n’investissent pas. Le 22 janvier 2014, le Financial Times signalait que les sociétés non financières américaines détenaient 2 800 milliards de dollars, dont près de 150 milliards dans les coffres de la seule société Apple. Les actifs immatériels représentaient en moyenne environ 5 % des actifs des sociétés américaines dans les années 1970 ; en 2010, cette proportion est passée à... 60 %. Ainsi au lieu de faire redémarrer la machine, les détenteurs de capitaux se crispent sur leur magot et ne font qu'accroitre les prélèvements sur la valeur ajoutée quitte à mettre à mal la croissance . Paul Jorion dans le Monde du 17/03/2014 "Dividendes : comptables mais pas coupables" révèle l'imagination débordante des comptables pour extorquer un peu plus de jus de l'outil de production, tant qu'il serait encore temps.
Comme le souligne Kostas Vergopoulos dans le Monde Diplomatique "La situation actuelle rappelle une autre période de l’histoire marquée par une concentration comparable des richesses : les années 1920, qui aboutirent au krach de 1929 et à la Grande Dépression. Pourquoi donc nier à nouveau la relation de cause à effet entre appauvrissement de la majorité de la population et ralentissement économique ? Les dépenses de quatre cents individus ne pourront jamais valoir celles de cent cinquante millions d’Américains : plus les revenus se concentrent au sommet et plus la dépense nationale se contracte, au profit de l’épargne et de la financiarisation, aux dépens de l’investissement et de l’emploi. Lorsque le patrimoine des plus riches croît non par le biais de la production, mais par une ponction toujours plus forte sur la valeur ajoutée, la croissance ralentit. Et le système ronge les conditions mêmes de sa reproduction."
De 1914 à 1945 , deux guerres mondiales avec, entre les deux, une grande dépression, se chargèrent d'anéantir à la fois le capital humain, les actifs financiers et les patrimoines privés et publiques. On peut malheureusement craindre qu'en 2014 on n'ait toujours pas trouvé de solution pour ne pas vivre à nouveau l'apocalypse.
" Il y a deux nouvelles. La bonne nouvelle est que notre vieil ennemi, le capitalisme, semble se trouver dans une crise gravissime. La mauvaise nouvelle est que pour le moment aucune forme d'émancipation sociale ne semble vraiment à portée de main et que rien ne garantit que la fin possible du capitalisme débouchera sur une société meilleure. C'est comme si on constatait que la prison où l'on est enfermé a pris feu et que la panique se diffusait parmi les gardiens, mais que les portes restaient verrouillées." Ce sont les premiers mots prononcés par Anselme Jappe à San Cristobal de las Casas ( Mexique ) lors du second séminaire international de réflexions et d'analyse : Planète Terre, mouvements anti-systémiques ( 30/12/2011-2/01/2012 pour le 18° anniversaire de l'insurrection zapatiste )( lien ). Ils expriment clairement dans quelle impasse nous nous trouvons.
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(1) Joseph E. Stiglitz " Le prix de l'inégalité" Editions Les Liens qui Libèrent
(2) Thomas Piketty " Le capital au XXIème siècle- Les livres du nouveau monde- Editions du Seuil
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