A la recherche de la Vérité
Deux élèves d’une école se querellaient au sujet de politique. Etant chacun d’opinions différentes, ils soutenaient détenir la vérité et s’opposaient au point de briser leur amitié. Tandis que les voix montaient, un jeune professeur de mathématiques les surprit et intervint afin de les raisonner.
L’homme comprit que le point de rupture entre les deux camarades était proche, il leur demanda d’expliquer les motivations de leur dispute.
Les deux amis acceptèrent et étalèrent les raisons pour lesquelles chacun pensait détenir la bonne vision politique. Quand ils eurent fini, le maître esquissa un sourire énigmatique et invita les deux lycéens à le suivre jusqu’à sa salle de classe.
Il leur demanda de s’asseoir et de l’écouter attentivement le temps de la pause. Les étudiants s’exécutèrent. Il dessina ce que l’on devinait être une salle, en perspective, sur le tableau noir. Il se tourna vers ses disciples et commença son énoncé :
- Imaginez une situation simple : Trois hommes vivent depuis toujours dans l’obscurité d’une salle qu’ils ne connaissent pas. Ils possèdent chacun une lampe torche qui leur permet d’éclairer un pan de la pièce. Une voix étrangère leur demande alors « De quelle couleur sont les murs de la pièce ? »
Les deux élèves se regardèrent stupéfaits, cherchant le rapport entre le cas exposé et le leur.
- Le premier leva sa lampe, éclairant le mur se dressant devant lui puis affirma avec aplomb : « Les murs de la salle sont rouges ». Le second fit de même et contredit le premier : « Les murs ne sont pas rouges, ils sont jaunes ». Enfin, le dernier illumina aussi le pan juste en face de lui et prononça de manière péremptoire : « Vous avez tous tort, ils sont bleus. »
Le professeur demanda aux étudiants de dire lequel parmi ces trois hommes avait raison. Ils restèrent sans réponses. L’un d’eux soupira, affirmant que cet exemple était un peu simpliste mais ne résolvait en vérité aucun problème concret. L’enseignant lui donna raison et expliqua que selon certains partisans de la théorie du relativisme, il n’existait aucune vérité absolue. Or cette pensée était autocontradictoire, car affirmer qu’il n’y avait pas de vérité absolue revînt à nier la véracité même de cette phrase. Par conséquent, Il devait exister une forme de vérité suprême, bien que l’on puisse considérer que, de prime abord, chaque vérité ou opinion, puisse avoir la même valeur intrinsèque.
- Imaginez maintenant que deux personnes sur trois éclairent le même pan de mur. Que va-t-il se passer ? C’est très simple : Deux vont affirmer que les murs de la pièce sont rouges tandis que le troisième dira qu’ils sont bleus. Quel est le danger de ce type de situation ?
Les élèves n’entrevoyaient pas de réponse. Le professeur affirma que le risque demeurait que la majorité, sentant la puissance et le rapport de force pencher en sa faveur, impose son opinion à la minorité et finisse par la persécuter afin que cette dernière adopte la première affirmation. C’est le schéma le plus fréquent que l’on rencontre dans notre société. Une majorité, se sentant légitimée par son nombre, va définir son opinion ou son avis comme la norme devant être respectée par tous.
- Enfin, imaginez maintenant que les trois personnes éclairent le même pan de mur. Quel serait le résultat d’une telle approche ?
Les deux élèves affirmèrent que ce serait merveilleux. Tout le monde serait alors en accord. Le prof lâcha un rire forcé, avant de reprendre.
- Vous trouvez que ce serait une bonne solution ? Pourtant, nous savons tous que la pièce n’est pas unicolore. Même si leur opinion fait l’unanimité, peut-on pour autant la définir comme étant une vérité absolue ? Non, ce serait faux. Ce n’est pas parce qu’un ensemble entier d’individus proclame une idée comme étant vraie qu’elle l’est de fait. Rousseau faisait la distinction dans son « contrat social » entre la volonté générale et la volonté de tous. Qu’est-ce que cela veut dire ? La volonté de tous signifie que tous les hommes se prononcent en faveur d’une chose. Tandis que la volonté générale est la chose vers laquelle chacun souhaite en réalité se diriger. Voyez la nuance, elle s’applique dans mon exemple : Si aujourd’hui les trois hommes sont en accord, que se passera-t-il si demain un quatrième entre dans la pièce et éclaire un autre pan de mur ? Sauront-ils remettre en question leur jugement qu’ils considéraient comme absolu, ou appliqueront-ils la doctrine de la majorité ? De nombreux exemples, à travers le passé, ont montré que les dogmes ne s’effacent pas immédiatement face à de nouvelles découvertes. Prenez l’exemple de ce pauvre Galilée… Il osa remettre en cause la vérité absolue affirmant que la terre était plate et la société le prit pour un fou…
Le professeur continua son raisonnement tandis que les élèves restaient attentifs.
- Ceci pointe une évidence : quelles que soient les démonstrations scientifiques et raisonnées, aucunes d’entre elles ne mènent à une vérité absolue. Pourtant, nous l’avons vu, nous ne pouvons pas cautionner une absence de cette même vérité, qui serait une autocontradiction. De ce fait, où se situe la Vérité ? On peut en venir à cette conclusion : une vérité, pour qu’elle soit absolue dans le monde physique, ne peut être applicable que dans un périmètre restreint, où la notion de temps et d’espace jouent un rôle fondamental. Prenons l’exemple d’une vérité que l’on considère aujourd’hui comme absolue : « La Terre est une sphère majoritairement bleue et aplanie ». Vous remarquerez ; dès lors que vous dites cette vérité, elle n’est applicable qu’à notre époque. Car nous savons que dans le passé, la Terre fût une boule de feu, puis une planète sèche, puis un globe de glace et ainsi de suite. De la même manière, cette vérité est contrainte par des délimitations d’espace. Car si l’on fait aujourd’hui un arrêt sur image de notre planète, on peut considérer l’affirmation comme vraie. Cependant, si l’on s’éloigne de plus en plus jusqu’à l’extrémité de notre système solaire, la Terre ne va plus ressembler à une boule bleue, mais à un point blanc à la limite de ce qui est perceptible. La conclusion est que pour qu’une affirmation puisse être démontrée et considérée comme absolue, elle doit être délimitée dans le temps et l’espace.
Les étudiants approuvaient leur professeur, mais s’interrogeaient sur un point essentiel : Existe-t-il une forme de vérité absolue qui ne soit pas conditionnée par des délimitations spatiales et temporelles ?
- Je vais vous retourner une autre question, dit le professeur. Lorsque les personnes présentes dans la chambre noire perçoivent l’ordre de pointer leur faisceau de lumière contre le mur et d’annoncer la couleur, que font-elles ? Elles se mettent à la recherche de la vérité, d’une réponse, n’est-ce pas ? Eh bien, je vous demanderai une seule chose : Qu’est-ce cette voix qui semble provenir de l’extérieur de la pièce – c’est-à-dire, de manière imagée, d’un monde immatériel – et qui semble inciter chacun à se mettre en quête de la Vérité ?
Les jeunes adultes eurent comme une révélation. Ils n’avaient en effet jamais prêté attention à l’existence de cette voix ainsi qu’à son importance, son influence, dans le monde réel.
- Car il s’agit bien d’une quête, reprit le professeur. Que l’on soit cartésien ou mystique, nous cherchons tous cette Vérité. Or, comment se fait-il que l’homme possède cet instinct visant à rechercher cette vérité absolue ? Si nous mettons autant d’énergie à la trouver, c’est qu’elle doit exister ? Et si d’autres érudits ayant réfléchi avant nous sur ce sujet ont eux-aussi échoué dans leur quête, c’est bien que la vérité est située à un endroit où l’homme ne peut pas pointer de sa lampe. Inatteignable. Autrement dit, peut-être que la vérité absolue n’est pas démontrable dans notre monde physique, mais que l’on peut tout de même l’approcher de très près, en cherchant bien...
Les élèves semblaient perdus. Le professeur reprit alors avec empathie.
- Cette voix, qui vous pousse à mettre en lumière la Vérité, ne serait-ce pas ce que l’on appelle votre conscience ?
- Si, réagit l’un des élèves, mais la conscience est propre à chacun et ne peut pas s’inscrire dans un schéma rationnel permettant de trouver une vérité commune.
- Vous croyez ? répondit le professeur. Et si, au contraire, la conscience de chacun était la seule chose qui soit véritable ? Si la conscience, tout comme cette voix provenant de l’extérieure de la pièce, était notre seule garantie permettant de nous approcher de cette vérité absolue, comme un phare guidant les bateaux à bon port ? Nous tentons sans cesse, et en vain, de définir et redéfinir le monde. Et si finalement la clef était en nous ? Cette fameuse conscience que nous avons en chacun, qui est-elle ? D’où vient-elle ? N’est-elle pas finalement un acquis commun à l’ensemble des semblables désirant la Vérité ?
- Vous voulez dire que la conscience serait universelle ?
- Je dis simplement qu’il est intéressant de constater que c’est elle qui nous encourage à regarder dans la même direction et rechercher la même chose. Peut-être que nous en apprendrions plus sur la Vérité si nous faisions davantage attention aux suggestions de notre conscience et si nous attachions une importance à rester connecté au moment présent, pour mieux nous détacher des carcans imposés par les notions de temps et d’espace.
Les élèves semblaient comprendre les propos du professeur. L’enseignant en vient à sa conclusion.
- Vous savez, les hommes passent la majeure partie de leur vie à porter leur attention sur le monde matériel, car il est plus simple de concevoir une vérité à partir de ce que l’on voit, de ce que l’on mesure, que de ce que l’on conçoit ou ressent. Pourtant aucune notion n’est unique dans l’univers, tout va de pair. S’il existe une raison qui puisse déterminer l’existence d’une vérité absolue, pourquoi n’y aurait-il aucun autre élément irrationnel, impalpable, d’un autre monde, qui soit son complément et permettrait de trouver la Vérité ? De la même manière que les trois hommes dans la pièce tentent de définir la vérité qu’ils se font du monde, en ignorant ce qu’il y a au-delà du mur, nous le faisons en philosophant de manière rationnelle. Pourtant, nous n’aurons pleinement connaissance de la vérité absolue que le jour où nous quitterons la pièce noire, pour franchir le seuil de la porte et comprendre ce qui se cachait derrière. Observez comme l’allusion est troublante : franchir la porte ressemblerait étrangement à la mort, pour nous ; êtres vivants de notre monde. Et dire que toute notre vie se résume à cela, nous commettons la même erreur : chercher autour de soi quelque chose qui n’existe probablement qu’à l’intérieur de nous.
Les étudiants corroboraient ces propos. Néanmoins, il subsistait une interrogation, comment savoir qui avait raison et quelle opinion était préférable dans le monde physique ?
- Devoir lutter pour établir la vérité ici-bas est une chose noble. C’est même le devoir de chacun. Cependant personne ne doit le faire sans écouter sa conscience et suivre ce qu’elle nous dicte. Ce n’est qu’en se laissant guider par elle, que nous parvenons à établir le consensus. Le consensus des âmes est la seule source qui puisse se rapprocher d’une vérité commune. C’est elle qui doit guider les hommes, les peuples et les courants de pensées afin de discerner la vérité vraie.
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