À mes compatriotes qui envisagent de voter FN…
Chères, chers compatriotes,
Je ne vous ferai pas la morale. Je ne vous dirai pas comment voter. Tout ce que je veux, c’est vous faire part de mes doutes…
Pourquoi cet article ?
J’aurais pu aussi bien écrire sur le PS ou sur LR (ex-UMP, ex-RPR), qui ont tant de fois montré leur pouvoir de nuisance. Seulement, à la différence de ces deux formations, le FN a actuellement le vent en poupe. Il pourrait bien se faire que les soi-disant « socialistes » et « républicains » ne reviennent plus jamais au pouvoir en France. Il se pourrait aussi que le FN prenne les commandes de l’État dès cette année. Cela vaut donc la peine de réfléchir à ses projets. Mais auparavant, j’aimerais rappeler les principales raisons de son succès.
Pourquoi êtes-vous séduit(e)s par le FN ?
Il y a sans doute beaucoup de raisons à cela. D’ailleurs, il est très probable que vous n’avez pas tous les mêmes, puisqu’on vous trouve dans toutes les catégories sociales. Selon que vous êtes ouvriers ou patrons, par exemple, vous n’avez pas les mêmes intérêts. Malgré tout, il se peut que vous ayez des points communs :
– Vous en avez assez des deux partis qui ont dominé la France depuis des décennies. Les « socialistes » et les « républicains » ont maintes fois prouvé leur incompétence ou leur volonté de sacrifier l’intérêt général à leur appétit de richesse et de pouvoir. Chômage de masse, accroissement des inégalités, de la misère et de la précarité, corruption généralisée, fraudes et évasions fiscales massives, tout cela est en grande partie le fruit des politiques qui ont été menées par le PS et ses concurrents du RPR, de l’UMP et de LR.
– Vous avez le sentiment d’être méprisés par une oligarchie politique, économique et médiatique, qui ne roule que pour elle et se fout complètement de l’avenir de notre pays. Face à ce mépris, vous voulez affirmer votre fierté d’être français.
– Vous en avez assez de cette mondialisation qui rend notre pays dépendant du bon vouloir de la finance internationale et des investisseurs étrangers.
– Vous en avez assez des institutions européennes, qui ont privé la France d’une grande partie de sa souveraineté et lui imposent des politiques contraires à ses intérêts.
– Vous êtes inquiets du déclin de la France dans plusieurs domaines, et notamment dans l’industrie.
Les quatre raisons que je viens de citer suffisent-elles à expliquer vos intentions de vote ? Non, car les électeurs de Mélenchon, voire d’Arthaud ou de Poutou, partagent dans une large mesure ce diagnostic et cette colère. Ce qui vous distingue, probablement, c’est votre xénophobie. J’emploie ce terme au sens le plus large du terme : vous ressentez comme une menace, non seulement les étrangers proprement dits, mais les Français issus des immigrations extra-européennes. Vous avez une méfiance toute particulière pour les musulmans ou les personnes d’ascendance africaine (Maghreb inclus). Pour vous, ces gens sont nuisibles ou dangereux à plus d’un titre :
– Ils constitueraient des concurrents aux (vrais) Français sur le marché du travail.
– Ils seraient en grande partie responsables des problèmes de délinquance et d’insécurité dans certaines villes et certains quartiers.
– Ils recevraient beaucoup de prestations sociales, pesant ainsi lourdement sur le budget de l’État et des collectivités publiques.
– Une bonne partie d’entre eux chercherait à coloniser culturellement le territoire français (port du voile islamique, viande hallal, etc.).
– Certains d’entre eux seraient de potentiels terroristes.
En somme, vous ressentez un double besoin de protection :
– protection contre une mondialisation néolibérale qui détruit les services publics, s’attaque aux droits des salariés et à la souveraineté du peuple français ;
– protection contre les étrangers, mais aussi contre ces « Français de papier », qui ont certes la nationalité française mais refusent d’après vous de s’intégrer dans la société qui a eu la générosité de les accueillir.
Et c’est pourquoi le Front National vous convient si bien. Voilà un parti qui a su prendre le meilleur de la droite et le meilleur de la gauche, un parti à la fois social et national, sans être pour autant national-socialiste (malgré ses origines sulfureuses). Quant à sa dirigeante, Marine Le Pen, c’est un peu Mélenchon sans l’indulgence coupable que ce dernier semble avoir vis-à-vis des étrangers et des musulmans. Alors, pourquoi hésiter à voter pour elle ?
Pourquoi ? Eh bien pour de multiples raisons, qu’il serait trop long d’énumérer ici… Je me contenterai de poser deux questions :
– Peut-on prendre au sérieux le discours social du FN ?
– En divisant les Français, le FN ne fait-il pas le jeu de l’oligarchie ?
J’aurais également voulu poser une troisième question : le FN s’attaque-t-il aux causes réelles de la délinquance ? Mais ce point fera l’objet d’un prochain article.
Peut-on prendre au sérieux le discours social du FN ?
On peut être séduit par quelques uns des 144 engagements du Front National :
Par exemple, ce programme prévoit de « fixer l’âge légal de la retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisations pour percevoir une retraite pleine » (engagement 52) et de retirer la loi Travail – dite loi El Khomri (Engagement 53). Il s’agirait également, pour le FN, de « rendre la fiscalité plus juste » : « Assurer une juste contribution fiscale, en refusant toute hausse de la TVA et de la CSG et en maintenant l’ISF. Baisser de 10 % l’impôt sur le revenu sur les trois premières tranches. »
Il ne faudrait pourtant pas se faire trop d’illusions sur cette fibre sociale du FN. Il existe une aile très à droite dans le parti de Marine Le Pen, dont l’une des représentantes les plus influentes est sans doute la propre nièce de la présidente, Marion Maréchal-Le Pen. Dans une interview accordée le 24 février dernier au site Boulevard Voltaire, la jeune députée qualifie Hamon, comme Mélenchon, d’ « extrémiste de gauche », ce qui en dit long sur son propre positionnement politique. Or, cette même interview nous apprend une chose encore plus intéressante : Marine Le Pen est fondamentalement sur la même longueur d’onde que sa nièce sur les questions sociales et économiques.
Lisons plutôt le début de l’interview.
« Question de Gabrielle Cluzel ou Charlotte d’Ornellas : On a le sentiment ces derniers jours que Marine Le Pen se « droitise ». On l’a vu lors de L’émission politique, où elle a parlé de l’école libre par exemple. Est-ce une petite victoire de la ligne Marion Maréchal ?
Réponse de Marion Maréchal-Le Pen : Je ne crois pas qu’il faille l’analyser ainsi. Cela a été surtout une possibilité pour Marine Le Pen de clarifier ses positions. C’est une émission de deux heures et demie, on a pu aller au fond des choses et éviter les caricatures – il y en a beaucoup, souvent construites par nos adversaires de droite. Caricature sur l’augmentation du SMIC qui n’a jamais été dans le programme du Front National, caricature sur la mélenchonisation du programme économique qui est complètement absurde lorsqu’on s’y penche attentivement. »
Que les choses soient claires, donc : il n’y aura pas d’augmentation du SMIC, et le programme économique du Front National n’a rien à voir avec celui de Mélenchon, qui ne fait pourtant que renouer avec une bonne vieille tradition sociale-démocrate. Et pour que les choses soient encore plus claire, Marion Maréchal-Le Pen rassure les plus riches de ses concitoyens :
« La transmission du patrimoine, par exemple, est largement facilitée et encouragée : Marine Le Pen a bien conscience que la petite nation qu’est la famille est la condition de la grande nation qu’est la France, et que si nous ne soutenons pas cette cellule familiale nous brisons avec elle l’enracinement, la transmission parce qu’évidemment l’État ne peut pas combler à lui seul l’intégralité des solidarités sociales ! »
Question : Vous allez aussi réformer les droits de succession ?
Réponse de Marion Maréchale-Le Pen : Oui absolument, nous allons faciliter la transmission du patrimoine en mettant en place une fiscalité moins forte qu’elle ne l’est aujourd’hui et sur une durée plus faible : aujourd’hui, on peut transmettre sans taxation 100.000 euros à chacun de ses enfants tous les 15 ans, nous allons ramener ça à 5 ans. C’est un effort très important, qui nous paraît indispensable pour faciliter la vie des familles. »
Marion Maréchale-Le Pen, visiblement, ne connaît pas les conditions de vie de la grande majorité des familles françaises. Qui, aujourd’hui, peut se permettre de transmettre 100 000 euros à chacun de ses enfants, et ce tous les cinq ans ? Ces propos révèlent une chose très importante, à mon avis : le FN n’est pas prêt à une véritable redistribution des richesses dans notre pays. Et pourtant, sans une telle redistribution, comment pourra-t-il financer ce qu’il promet dans son programme, à savoir des mesures de protection sociale et des services publics de qualité ? Relisons encore une fois Marion Maréchale Le Pen : « parce qu’évidemment l’État ne peut pas combler à lui seul l’intégralité des solidarités sociales ! » Propos typique d’une libérale-conservatrice, qui veut bien d’une solidarité sociale, à condition qu’on n’égratigne pas trop la fortune des familles, y compris les plus riches d’entre elles.
Ce qui est symptomatique, aussi, c’est cette idée qu’il est légitime pour une famille richissime de perpétuer indéfiniment sa fortune par le biais de l’héritage. Si nous vivons actuellement sous un régime oligarchique, et non démocratique, c’est bien parce qu’une petite minorité se transmet de génération en génération un capital culturel (les plus instruits ont les parents les plus instruits) mais aussi un capital financier. Au sujet des inégalités de patrimoine, on lira avec profit cet article de novembre 2016, sur le site de l’Observatoire des inégalités.
On y apprend entre autres ces informations : « Les 10 % les plus fortunés détiennent près de la moitié du patrimoine national en 2015 selon l’Insee. Les 50 % les moins fortunés ne disposent que de 8 % de l’ensemble. Le patrimoine brut (endettement non déduit) moyen du dixième le plus riche vaut 1,25 million d’euros, soit 630 fois celui des 10 % les moins fortunés (2 000 euros) et huit fois le patrimoine médian brut (158 000 euros). »
On l’aura compris, le Front National répugne à faire de la peine à une petite minorité de nos compatriotes : les plus fortunés des professions libérales, des cadres supérieurs et des agriculteurs. Quant aux autres (ouvriers, employés, petits patrons, petits paysans…), il ne faut pas qu’ils nourrissent trop d’espoir. Bref, le Front National ne semble pas être autant « anti-système » qu’il prétend l’être. Peut-être même est-il le dernier rempart de l’oligarchie contre ceux qui veulent réellement démocratiser la société…
Ce qui me conforte dans cette hypothèse, c’est que le parti de Marine Le Pen passe son temps à stigmatiser les étrangers, mais aussi les Français de culture musulmane, forcément suspects d’être de mauvais citoyens. Or, en coupant ainsi la France en deux, le FN ne favorise-t-il pas une petite caste dirigeante ?
En divisant les Français, le FN ne fait-il pas le jeu de l’oligarchie ?
Il suffit de lire le programme du FN pour s’en convaincre : il y a dans l’idéologie frontiste une véritable obsession anti-musulmane. Bien entendu, ce sont d’abord avant tout les salafistes ou les « islamistes » qui sont désignés comme des dangers. Mais en réalité, ce sont tous les musulmans qui sont stigmatisés. La suppression du droit du sol (prévu par l’engagement n°27) est une façon de dire : les enfants d’Algériens ou de Marocains, même s’ils sont nés et ont grandi en France, sont moins dignes que d’autres enfants de recevoir la nationalité française. De la même manière, la mention de la laïcité, si présente dans les discours de Marine Le Pen, n’est jamais utilisée pour critiquer certains privilèges de l’Église catholique : concordat en Alsace-Moselle, financement par l’État des écoles « libres », entretien d’un grand nombre d’églises par l'État (cf. le texte en annexe). D’ailleurs, Marion Maréchal-Le Pen le dit clairement dans l’interview citée plus haut.Elle y sait gré à sa tante d’avoir rectifié l’image caricaturale que les gens ont du FN :
« Caricature, aussi, concernant une prétendue laïcisation des espaces publics qui ferait fi des racines chrétiennes de la France alors que précisément nous souhaitons dans la constitution remettre en avant et protéger ce patrimoine chrétien de la France… Ces nombreuses outrances ont été battues en brèche lors de cette émission et c’est heureux. »
On comprend bien, d’après ces propos, que les catholiques n’auront pas à s’inquiéter de l’engagement 95 du FN : « Promouvoir la laïcité et lutter contre le communautarisme. Inscrire dans la Constitution le principe : « La République ne reconnaît aucune communauté. » Rétablir la laïcité partout, l’étendre à l’ensemble de l’espace public et l’inscrire dans le Code du travail. » Ce qui est visé ici, ce sont les signes d’appartenance à l’islam, et notamment le voile islamique. Les cloches pourront continuer à sonner le dimanche, et les catholiques traditionalistes, si chers à Marion Maréchal-Le Pen, pourront tranquillement continuer leurs processions et leurs pèlerinages dans nos bonnes villes françaises.
Cette stigmatisation des musulmans est pour le moins discutable d’un point de vue moral, mais elle est du pain bénit – si j’ose dire – pour les plus riches et les plus puissants d’entre nous. Tant que les salariés seront occupés à s’entredéchirer pour des questions raciales, ethniques ou religieuses, ils n’uniront pas leurs forces pour s’opposer à l’immense régression sociale voulue par l’oligarchie. Ils seront encore moins capables de conquérir de nouveaux droits.
Tout se passe comme si le FN disait à ses électeurs : « On ne va peut-être pas améliorer vos conditions d’existence, mais on va faire en sorte que vous soyez moins maltraités que les étrangers et les Français issus de l’immigration extra-européenne. » Tel était, sans doute, le sens d’un slogan que le Front National attribuait faussement à Jaurès il y a quelques années :
"A celui qui n'a rien, la Patrie est son seul bien"
Diviser pour régner… Cette stratégie, aussi vieille sans doute que la politique, a été maintes fois mise en œuvre pour diviser la France. En 1993, sous le gouvernement Balladur la durée de cotisations pour les retraites des salariés du privé est passée de 37,5 à 40 ans. Les pensions, par ailleurs, ne seraient plus calculées sur la base des 10 meilleures dernières années, mais sur la base des 25 dernières meilleures années. En 2003, François Fillon, a décidé que cette régression concernerait aussi les fonctionnaires. Les mobilisations furent importantes, mais sans doute pas autant qu’en 1995, si bien que les fonctionnaires n’ont pas eu gain de cause. Une des raisons de leur échec, c’est que la « réforme » Fillon paraissait « équitable » à beaucoup de salariés du privé, qui étaient très remontés contre les privilèges des fonctionnaires. Ainsi, le gouvernement a attisé l’opposition entre public et privé pour faire passer des mesures foncièrement injustes, parce qu’elles revenaient à réduire les pensions des salariés au lieu de les financer par une meilleure répartition des richesses.
En divisant la société entre étrangers et nationaux, et entre Français « de souche » et Français musulmans, le FN n'est-il pas en train de préparer une nouvelle régression sociale ?
Par ailleurs, comment la France pourra-t-elle lutter efficacement contre la mondialisation et les institutions européennes si elle est divisée ? Cette question, je la dois à un économiste et démographe fort apprécié au Front National pour ses positions sur la mondialisation, l’Union européenne et la nécessaire sortie de la zone euro : Emmanuel Todd. Dans cette émission de France Culture, il disait ceci :
« Les gens du Front National, je n’arrive pas à les prendre au sérieux, parce que leur critique économique du système ne peut pas marcher concrètement. C’est-à-dire que le protectionnisme, qui est bien entendu le remède à la mondialisation, à la globalisation – un protectionnisme intelligent, mesuré, où on pense les choses ; ce sont des choses qui commencent à être amorcées aux États-Unis – ça suppose un principe de solidarité nationale et territoriale. […] Mais la condition pour que ça marche – et surtout pour la France, qui n’est pas une puissance gigantesque, parce que ce serait difficile de sortir de l’euro, ce serait difficile de faire du protectionnisme intelligent – c’est de s’assurer la participation de tous les Français, ou même de tous les gens qui sont sur le territoire et qui sont solidaires. Et le Front National nous parle de protectionnisme, mollement de sortie de l’euro, tout en nous disant que 10 % des Français ne sont pas de vrais Français ! Mais ça ne peut pas marcher ! Il faut choisir. Comment dire…la chose qui devrait précéder, la condition nécessaire d’une sortie de l’euro, d’une politique protectionniste intelligente, c’est une sorte de fête de la Fédération où les électeurs du Front National et les Français d’origine maghrébine se réconcilient et se disent tous : « On est des Français ! On va retrousser nos manches, et on va s’en sortir ensemble. » C’est pour ça que le Front National n’est au fond pas plus sérieux que les autres. »
Un peu plus tard, Emmanuel Todd ajoutait même : « Le Front National n’est pas patriote, pour les raisons que j’ai dites. Quand on est patriote, quand on aime son pays, on veut l’unité de sa population. Moi, je suis patriote. Moi, je veux que les électeurs du Front National et les musulmans français – ou les Français d’origine musulmane, puisque la plupart des musulmans ne sont pas pratiquants, soient dans l’alliance nationale. Voyez, c’est ça le patriotisme. Mais le Front National n’est pas plus patriote que les autres. »
Voilà, chères et chers compatriotes… Vous comprenez un peu mieux, je l’espère, pourquoi j’ai quelques doutes sur les intentions du Front National et sur sa capacité à faire de la France une société plus juste, plus prospère et plus démocratique.
Annexe
Le régime de séparation
En 1905, les associations cultuelles protestantes et israélites sont devenues propriétaires des biens jusque là détenues par les établissements publics du culte. La question des biens étrangers à l’exercice du culte a été réglée par la création d’associations conformes à la loi de 1901. En revanche, la loi n’a pas pu être appliquée pour l’Eglise catholique, celle-ci refusant la constitution d’associations cultuelles. Une loi a été adoptée en 1907 pour résoudre les problèmes de propriété des édifices catholiques. La loi du 2 janvier 1907 pose que tous les biens en question deviennent propriété publique mais sont mis à la disposition des fidèles et des ministres du culte. En conséquence, ces édifices font partie du domaine public et leur entretien est pris en charge par la collectivité publique, ce qui, au final, constitue un réel avantage financier pour la communauté catholique.
Source : ce site
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