A qui va profiter la chute des islamistes en Egypte ?
Il y a un an le général Hosni Moubarak, président de l’Etat égyptien durant trente ans est contraint, sous la pression populaire, de démissionner. Le pays entier, en liesse, chante et pavoise. Les premières lueurs de la démocratie et de la liberté jaillissent enfin sur cette Egypte des pyramides et du Sphinx.
Un an après la place Tahrir refait le plein et le peuple égyptien est encore une fois en ébullition. Que s’est-il passé ? Quelles sont en réalité les causes de cette palinodie, de ce retournement de situation ? Comment expliquer et surtout comprendre la destitution par l’armée d’un président démocratiquement élu par la majorité des Egyptiens ?
Pour les adversaires du président Morsi ce dernier s’est avéré incompétent et incapable d’affronter avec efficacité les problèmes économiques et sociaux que connaît actuellement le pays. Les opposants évoquent entre autre la défaillance du système de distribution d’énergie, l’augmentation du coût de l’essence, de l’eau et de l’électricité. Ils déplorent l’effondrement du tourisme qui est parmi les principales ressources du pays. De plus le nouveau régime islamique est venu dit-on avec des idées et idéaux rétrogrades qui remettent le pays plusieurs décades en arrière.
Certes l’Egypte a toujours possédé une grande avance culturelle sur le reste du monde arabe dont elle a été longtemps le fleuron et le porte drapeau. En est témoin les grandes œuvres littéraires de ses auteurs (romans, poésie, théâtre), et de ses compositeurs de musique arabe et interprètes, l’industrie cinématographique l’une des plus productives du monde, l’émancipation de la femme égyptienne, du moins avant l’avancée de la vague islamiste. Quand on visite aujourd’hui le Caire on est, en effet, surpris par rapport aux années cinquante et soixante, par le nombre des femmes voilées qui représentent la quasi-totalité de la population féminine. Et c’est justement ce retour en arrière que refuse une certaine jeunesse moderniste pour qui religion et civilisation ne suivent pas toujours le même trajet.
Les discours dans les confréries musulmanes ne portent presque jamais sur les méthodes modernes de développement de l’économie. Les causeries dans les cellules des organisations religieuses se limitent d’une part aux critiques des dirigeants qui accaparent le pouvoir et monopolisent toutes les richesses du pays et d’autre part aux récompenses qu’auront les bons croyants dans l’au-delà, s’ils respectent minutieusement les prescriptions du Coran. C’est pour cela que les Islamistes sont gonflés à bloc contre les gouvernants « vendus », selon eux, à l’Occident et contre toutes les personnes nanties, privilégiées dans le monde ici bas. Cette catégorie de personnes représente actuellement presque la moitié des habitants dans le monde arabe en général et en Egypte en premier lieu. Une bonne autre moitié reste acquise à l’idée d’une société laïque moderne.
Un scrutin juste et équitable doit donc normalement dégager, tour à tour, une légère majorité soit pour les Islamistes soit pour les modernistes, dans le cadre d’une alternance démocratique. C’est le cas, espérons le, en Tunisie, au Maroc et peut être demain en Algérie. Dans le pays du Nil c’était possible sans l’intervention de l’armée ! Les militaires égyptiens constituent un corps de plus 500.000 hommes. Depuis juillet 1952, date de la chute de la royauté, Nasser, Sadate et Moubarak se sont succédé à la tête de l’Etat. Tous les pouvoirs étaient concentrés entre les mains des militaires et de leurs alliés civils, et ce, durant 60 ans.
Les événements de 2011 ont imposé le départ et la condamnation du général Moubarak, un coup dur pour cette armée et son état major qui ont subi le coup mais sans fléchir. Mais il n’était pas question de déposer les armes et d’accepter la défaite. Une bataille est perdue mais pas la guerre ! Selon une analyse de Marwan Chahine (Libération, Le Caire) « Militaires et Islamistes ont réussi à cohabiter durant un an. Mais la trêve est finie. Il écrit notamment que :
« Il serait présomptueux d’affirmer que l’escalade entre l’armée égyptienne et les Frères musulmans était prévisible. Le char et le sabre n’en sont pas à leur premier duel. Si l’actuel face à face paraît particulièrement inquiétant, cela fait plus de soixante ans que militaires et islamistes, les seules forces structurées du pays se livrent une guerre ouverte. »
Les militaires ont préparé leur coup de force avec beaucoup de soin. Ils ont su dresser contre le président Morsi une justice qui leur était déjà acquise par le passé. Ainsi un certain nombre de décisions de la présidence ont été annulées et l’ancien procureur général limogé par décret par le nouveau régime a été rétabli dans ses fonctions. Un sabotage de l’action gouvernementale destiné à ternir l’image du nouveau président que l’armée voulait faire passer pour un homme hésitant et incapable de tenir les rênes du pouvoir.
Pendant ce temps des contacts sont pris avec tous les hommes et les organisations hostiles aux Islamistes : Mohamed El Baradai porte parole du parti Ad Doustour se met au devant de la scène, le Front du 30 juin qui rassemble les mouvements hostiles aux Islamistes multiplie les déclarations pour la chute de Morsi, la coalition Tamaroud fondée par Mahmoud Badr appelle le peuple égyptien à soutenir son action, la jeunesse laïque brandit des pancartes révolutionnaires sur la place tahrir.
Tout ce monde là est organisé, guidé, équipé et orchestré par des milices militaires en civil. Même de l’eau fraîche est servie aux manifestants pour les désaltérer. On a parlé de quatorze millions de personnes dans les rues, un chiffre ridiculement exagéré ! Pour beaucoup d’observateurs la plupart des images montrées sur les écrans sont truquées ou proviennent de montages cinématographiques. Bref l’armée avait mobilisé tous ses moyens et ses techniques pour une chute de Morsi, irrémédiablement décidée et savamment préparée à l’avance.
Dès l’annonce de la nouvelle par la télévision, une parade de l’aviation militaire qui attendait la diffusion du communiqué, a sillonné le ciel du Caire pour fêter l’événement. Et pendant que les anti-Morsi donnaient libre cours à leur joie sur la voie publique, la police spéciale commençait déjà son opération de ramassage des principaux dirigeants et cadres islamistes proches et fidèles collaborateurs du président déchu, lequel avait déjà était transféré dans les locaux militaires. Les chaînes de télévision favorables aux islamistes se sont vues, à leur tour, interrompre leurs émissions. Des mesures sont enfin prises aux aéroports pour empêcher certains dirigeants de quitter le pays.
Non, il ne s’agit pas d’un coup d’Etat militaire selon les responsables de l’armée mais de simples mesures prises pour des questions de sécurité et par respect de la volonté populaire. Un grand nombre de gouvernements étrangers et de personnalités politiques de par le monde ainsi que l’organisation des Etats africains ont dénoncé ces agissements anti-démocratiques de l’armée égyptienne, une institution qui règne sur l’Egypte depuis 60 ans et qui ne désire à aucun prix, perdre ses privilèges ni partager ses pouvoirs.
A qui va profiter maintenant la chute des Islamistes ? Aux laïcs modernistes ? Certainement pas. L’armée qui les craint beaucoup plus que les Islamistes, va tout simplement perpétuer sa main mise sur le pays. Mais est-ce que les 84 millions d’Egyptiens accepteront encore une fois et infiniment, la tutelle des généraux de l’armée. Seul l’avenir nous le dira.
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