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Accueil du site > Tribune Libre > Abrogation des programmes 2008 pour l’enseignement primaire : (...)

Abrogation des programmes 2008 pour l’enseignement primaire : Autopsie d’un cadavre

Les calamiteux programmes 2008 ne sont plus. En l’attente des nouveaux, une consultation nationale est lancée. Je passerai sur le caractère factice et trompeur, maintes fois dénoncé, de ce type de consultation de pure forme. Faut-il pour autant renoncer à exercer son esprit critique et garder le nez sur le guidon comme nous le suggèrent certains syndicats [1] ? Ne soyons donc point dupe de ce type d’exercice en termes d’influence sur des décisions qui sont prises tout en haut. Mais les acteurs de terrain doivent-ils laisser le champ libre aux décideurs politiques et à leurs experts nominés, alors même que les nouveaux programmes et leur « esprit » peuvent durablement impacter nos pratiques futures ? A ce titre, ne convient-il pas de s’interroger sur l’impact réel de l’application -et la non-application - des programmes 2008 ? Un bilan s’impose donc pour les professionnels que nous sommes, malgré le déni de ce professionnalisme durant les cinq ans du ministère Darcos et Châtel.

 Comme d’habitude le formulaire de consultation fourni par les académies est au raz des pâquerettes. Il confirme les constats faits par de nombreux observateurs du monde éducatif[2] : les enseignants sont en voie de prolétarisation, c’est-à dire vues comme de simples exécutants, cadrés par des protocoles de plus en plus serrés et un évaluationnisme proliférant. Les enseignants sont-ils donc incapables d’avoir une pensée globale alors même que leur liberté pédagogique n’a jamais été formellement remise en cause ? A dire vrai, ils sont fatigués et il n’est point trop besoin d’insister ici sur les raisons de ce malaise. Il est un paradoxe qu’il faut souligner : aussi mauvais qu’étaient les programmes 2008, les professeurs des écoles ont toujours eu besoin d’un cadre institutionnel et programmatif stable. Ceci est bien entendu rendu impossible par l’alternance politique (les ministres de l’éducation nationale sont les vrais « précaires » du système éducatif) mais aussi et surtout par le manque de visibilité sur l’avenir proche. N’insistons pas trop ici sur les mutations sociétales qui tiraillent la communauté éducative et rendent caduques les sempiternelles querelles hexagonales[3]. Constatons plus prosaïquement que l’empilement des réformes à un rythme effréné, permettant à peine l’adaptation, provoque une profonde lassitude voire une défiance automatique et non réfléchie vis-à vis de toute annonce de réforme, aussi fondée soit-elle. Les enseignants sont ainsi devenus des résistants malgré eux alors même que la plupart d’entre eux reconnaissent la nécessité de profondes réformes. Il est trop commode de les taxer de conservatisme (ce que beaucoup sont tout de même !) alors même que les conditions de l’exercice du métier réclame une stabilité que l’institution est incapable d’offrir. Qu’adviendra t-il à la « refondation » de l’école proposée par Vincent Peillon une fois que le processus des amendements, des adaptations de terrain l’auront vidé de sa substance ?

 Revenons aux anciens programmes. L’analyse que je propose ici est fondée sur les constatations de terrain mais aussi sur une réflexion plus globale autour du métier d’instituteur/professeur des écoles et des principaux enjeux qui s’en dégagent. C’est donc une approche « connectée » qui essaye de faire le lien entre le local (l’école telle quelle est aujourd’hui) et le global (la société en mutation et ses effets délétères). Les principales critiques des programmes 2008 que nous pouvons émettre ont déjà été bien relayées dès leur médiatisation. Poussons-les plus avant.

 Les programmes étaient anonymes, à l’inverse de ceux de 2002. Quid des concepteurs ? Nous en étions réduits à des spéculations relayées par certains médias[4]. Ils restent le reflet des débats médiatiques passéistes et stériles en vogue dans les années 2000, bien qu’ils aient été amendés et adoucis par le tollé provoqué dans la communauté éducative.

 Les programmes 2008 sont déclinés annuellement, ce qui remet profondément en cause la logique des cycles, bien que ces derniers, pour ne pas froisser les sensibilités, n’aient pas été abrogés. La perversité des programmes 2008 est là : on vide de sa substance les cycles tout en les maintenant. Rappelons qu’à l’origine de cette réforme majeure de 1989 (il y en a eu combien ?), la nécessaire (mais difficile) prise en compte de l’hétérogénéité des classes et de la progressivité des apprentissages mettaient au cœur du système, non pas l’ « égo » de l’élève comme certains ont tenté de le suggérer, mais la « personne » de l’enfant avec ses besoins particuliers dans une perspective d’apprentissage sur un cycle long. Bref, on devait tenir compte de l’élève réel avec ses difficultés et non plus l’élève standardisé avec son présumée niveau de début d’année. Il s’agissait non plus de simplement « faire le programme » comme malheureusement beaucoup de parents et d’enseignants continuent à le croire, mais de faire « acquérir les compétences et les savoirs de cycle », ce qui est nettement plus ambitieux. Nous connaissons les effets pervers de cette réforme : l’évaluationnisme, sans aller plus avant dans l’analyse[5]. Les programmes 2008 ont eu pour conséquence néfaste de fusionner le pire des deux systèmes : la segmentation des savoirs d’antan sous leur forme disciplinaire et programmatique (annualisation) et dans le même temps, l’ingénierie évaluative s’est considérablement développée sous la forme par exemple de tests nationaux, non pas dans une perspective diagnostique utile aux enseignants, mais de pilotage institutionnel et de gestion des populations. Pour le dire brutalement, depuis 2008, les enseignants sont sommés de « faire » le programme sur un temps court (un an), de remplir des grilles de services et de faire « du chiffre » en produisant toute sorte de retours évaluatifs protocolarisés. Si on ajoute la suppression de la formation professionnelle, forme ultime de mépris, nous pouvons largement apprécier le processus de prolétarisation en cours évoqué plus haut, alors même que le niveau d’admissibilité au concours a été relevé au niveau master[6].  

 Les programmes ont de plus considérablement amplifié le volume de ces savoirs par rapport à 2002 alors même qu’ils prétendaient revenir aux « fondamentaux ». Pire encore, ces savoirs ont gagné en complexité. Quelques exemples en maths en CM2 : multiplication de nombres décimaux, division décimale, étude du cylindre et du prisme en géométrie, longueur du cercle, aire du triangle, volume du pavé droit. Ce retour en force des techniques opératoires est encore plus prégnant au cycle 2 avec la soustraction et la division dès le CE1, alors même que le sens des opérations est loin d’être construit pour une bonne partie des élèves. D’autre part, la généralisation du calcul instrumenté dans nos sociétés a affaibli l’usage social de ces techniques, même si nous devons sans doute continuer à les enseigner. Par voie de conséquence, le calcul mental et le calcul réfléchi (ne passant pas forcément par des procédures expertes) devient une priorité à l’école. De même, la résolution de problèmes, parent pauvre des programmes 2008, est régulièrement pointé par les enquêtes PISA comme un des points faibles de nos écoliers. 

 En français, nous frisons le ridicule avec au CM2 le futur antérieur, le plus-que-parfait, le passé antérieur, le conditionnel présent, le subjonctif présent alors même que les règles de base de la conjugaison sont rarement maitrisées[7] et que le niveau de langage des élèves ne permet pas d’aborder sérieusement ces formes complexes[8]. D’autre part, les programmes 2008 en français ont particulièrement chargé la barque au CE2 alors que traditionnellement la structuration des savoirs intervenait plutôt au CM1. Dans les programmes 2008, les notions complexes et assez abstraites interviennent trop vite dans le cursus (dès le CE1).

 Nous pourrions multiplier les exemples. La conséquence de la lourdeur et de la complexité des programmes - et des procédures de cadrage des enseignants qui vont avec - est le développement d’attitudes de faire-semblant chez les élèves et, plus grave, chez les enseignants. Tout le monde « court » après le temps, s’épuise en de vaines procédures et de nombreuses études montrent que les niveaux de stress en milieu scolaire sont en France parmi les plus élevés. En conséquence, les impasses dans le programme sont nombreuses et parfois arbitraires ; les priorités étant mal assumées dans les programmes. En clair, le programme n’est pas « fait » et il y a lieu de craindre, en tant que parent, que ce dernier soit effectivement bouclé en fin d’année, ce qui garantirait un survol très superficiel des notions. Le temps institutionnel n’est pas celui de l’enfant ni celui du professeur. Sous la contrainte - voire même hélas la double-contrainte[9] -, nous constatons alors plusieurs types de comportements chez les enseignants qui peuvent se chevaucher : le profil héroïque (celui qui fait tout, du mieux qu’il peut, au risque du burn-out), le lâcher-prise, la docilité aveugle, la résistance larvée aux injonctions d’en haut (on donne des gages à l’institution mais on prend ses distances. La classe reste une boite noire opaque pour les gens extérieurs). La résilience chez l’enseignant passe-t-elle nécessairement aujourd’hui par la résistance à l’institution et le faire semblant ? S’étonnera t-on alors de l’impossibilité de réformer en profondeur l’institution ?

 Cette complexité programmatique, ingérable pour les enseignants, est accentué par le bicéphalisme des programmes : d’un coté les programmes nationaux et de l’autre les compétences du socle commun harmonisées au niveau européen. Double emploi ? Ce serait trop simple, l’annualisation des programmes rendant vaine le rapprochement cohérent des items[10]. Le mille-feuille est devenue indigeste et a perdu de son opérationnalité.

 Il est clair que dans la logique de la méritocratie républicaine, descendante (de l’université vers l’école maternelle), l’école s’est toujours fait aspirer par le collège, pourtant un des maillons faibles du système. L’ADN des programmes 2008 réside dans l’effacement des pratiques pédagogiques innovantes (bonnes ou mauvaises) et dans une reconfiguration nostalgique des savoirs d’antan induisant des pratiques de « simple transmission » de maître à élève sans jamais prendre en compte, ne serait-ce qu’en les critiquant, les acquis des sciences de l’éducation.

 Enfin l’accent des programmes 2008 était donné sur la disciplinarité des apprentissages, aux dépens de la transversalité. A ce titre, ils sont infiniment plus pauvres et moins ambitieux que ceux de 2002, qui prenaient tout de même en compte ce qui est en France au fondement des inégalités scolaires : l’accès à la culture[11]. En 2008, sous l’impulsion de gens comme Bentolila (dont les travaux ne sont pas à rejeter) et des lobbies passéistes[12], nous revenons à l « étude de la langue » et au découpage disciplinaire. Les projets transversaux et culturels, qui donnaient du sens aux apprentissages, passent alors à la trappe du fait de la lourdeur des programmes et de la compression des personnels. L’empilement des notions en français se fait au détriment de ce qui devrait être la priorité à l’école élémentaire : le côtoiement d’œuvres littéraires adaptées aux enfants et la pratique régulière de la production d’écrit dans une optique pluridisciplinaire. Cette dernière pratique est de loin la plus délaissée dans les classes. Dans les textes nous trouvons 5 lignes dans les programmes 2008 contre 120 pour la grammaire, conjugaison, vocabulaire et orthographe. Hélas, ici le message est bien passé : il est tellement plus facile pour un enseignant débordé d’exhorter les élèves à prendre un manuel pour des exercices d’entrainement (au demeurant nécessaires) plutôt que de monter des projets d’écriture ambitieux qui crée la nécessité des normes et des règles de rédaction[13]. D’autre part, les items sont souvent redondants notamment en grammaire, conjugaison et orthographe. Par exemple, les accords en genre et en nombre dans le groupe nominal se déclinent en huit items différents au cycle 3. Pourquoi distinguer orthographe grammaticale et grammaire ?

 A ce stade, il est essentiel de comprendre la spécificité et l’atout majeur du professeur des écoles par rapport à celui des collèges et lycée. Seul maître à bord, il dispose de son temps d’enseignement comme il l’entend dans le cadre horaire et disciplinaire qui lui est imparti. Son bonheur et son privilège tient à ceci : la possibilité au moins théorique de construire un cadre éducatif cohérent propice aux apprentissages, incluant un emploi du temps où la pluridisciplinarité et la transversalité des savoirs peuvent se déployer par l’entremise de projets fédérateurs[14]. Bref il a la possibilité (hélas trop négligé) de créer du lien entre des savoirs de différentes natures. Par exemple, une activité de course longue peut avoir des prolongements en sciences, en topographie (géométrie et géographie), Français, mathématiques ect… Il est révélateur qu’un projet aussi riche que celui de créer un court-métrage d’animation en pâte à modeler par exemple, ne peut trouver sa justification institutionnelle que dans les compétences du socle commun, fourre-tout finalement bien commode. Le bicéphalisme de notre système a aussi ses avantages. Créer des ponts entre les grands domaines disciplinaires permet de fonder une culture véritablement humaniste et de raviver une flamme qui est aujourd’hui en voie d’extinction dans certains milieux et quartiers : la curiosité et le simple courage d’aller « vers » le monde. Le professeur est plus qu’une machine à « transmettre » (version 2008), il est un passeur, un médiateur vers des horizons plus vastes que l’univers parfois incroyablement étriquée dans lesquels certains élèves barbotent, la conscience complètement anesthésiée par le marketing financiarisé, les technologies de la distraction et les problèmes sociaux et familiaux. C’est précisément cette capacité à créer des liens qui est mise à mal dans les programmes 2008 conçu comme une juxtaposition de savoirs, les uns fondamentaux, les autres anecdotiques. 

 Il convient alors de s’interroger sur cet « anecdotique ». En 2008, nous assistons à une patrimonialisation des objets d’enseignements. Là aussi, les débats franco-français autour de l’insécurité identitaire rejaillissent sous la forme d’une renationalisation des contenus. A ce titre, les programmes 2008 en histoire et en géographie sont à pleurer par leur indigence et paradoxalement leur lourdeur.

 En histoire, le grand roman national est de retour, nonobstant les ruptures de digue mémorielles autour de l’esclavage et de la colonisation. Exit les Celtes, bienvenue aux Gaulois ! Exit la déclaration universelle des droits de l’homme, honneur à Jeanne D’arc, Saint Louis et Vercingétorix. Nous échappons à 1515 mais c’est de justesse ! Ce bréviaire très troisième république n’est qu’un empilement de dates et de personnages censés avoir fait la grandeur de la France. Il est sans doute difficile d’enseigner l’histoire avec toute son exigence critique à des enfants de dix ans. Certes, le cadre horaire ne nous permet pas de construire de façon sérieuse les concepts propres à chaque époque (religiosité, féodalisme, bourgeoisie, monarchie, Lumières, républicanisme, colonialisme ect…). Mais la nécessaire mise en récit apte à rendre curieux les élèves n’exclue pas qu’on s’intéresse au cadre de vie de nos ancêtres à chaque époque à travers une riche iconographie. De cela, il n’est pas question… au risque de laisser croire que nos ancêtres au moyen-âge portaient des armures et vivaient dans un château fort. Renoncer au roman national n’est pas renoncer à la mise en récit d’une histoire nationale, pour peu que l’on montre l’ampleur des échanges avec l’extranational, fussent-ils sur le mode de la guerre et de la domination. Avoir un regard positif sur l’histoire n’implique pas de renoncer à évoquer les pages dites « sombres ». L’histoire est un long processus d’hybridation dont les effets n’ont pas à être qualifiés moralement. Les élèves sont aptes à porter un jugement moral sur la shoah ou l’esclavage sans que nous enfoncions le clou. Or on sent bien que le roman national version 2008 s’emploie à réifier une France mythique qui n’existait que dans le Lavisse des années trente. Est-ce cela construire des valeurs communes ?

 C’est encore pire en géographie. Le programme renonce à toute ambition et s’avère principalement descriptive. Florilège : la région et ses limites, la métropole régionale et son rôle, les grands types de paysages et la diversité des régions françaises, les principaux caractères du relief, l’hydrographie et le climat en France et en Europe, premières approches du découpage administratif (départements, régions). Exit donc la géographie humaine et ses effets de circulation. Or la France est dans le monde et le monde est dans la France. De cette idée force (qu’elle dérange ou pas c’est un fait) il n’est pas question ! Il s’agit de glorifier la construction européenne et les confettis et reliquats d’empire à travers la francophonie, dont le lien avec la colonisation et les migrations transfrontalières n’est jamais évoquée, quand bien même les cartes se superposent. Or nous touchons ici à l’histoire de la plupart des enfants d’aujourd’hui et cette géographie là reste très accessible au contraire de l’histoire. Les nécessaires repères (localisation des continents, océans, pays…) ne se stabilisent pas car souvent ils ne sont pas insérés dans un récit, quelque chose d’incarné. D’autre part, comment préparer le citoyen de demain aux enjeux transfrontaliers (écologie, économie…) si on ne lui offre comme cadre de référence que la nation ? Pire, on lui fait croire à travers l’étude des terroirs et des paysages que la France est encore rurale ! Des petites études de cas peuvent pourtant les amener à réfléchir sur la globalité de notre monde (le circuit planétaire d’une console de jeu ou d’un yaourt par exemple).

 Que de choses ont été dites à propos de l’instruction civique et morale version 2008. Le retour aux maximes et sa morale désuète, l’absence de formation à la citoyenneté et à l’esprit critique ; l’étude des institutions allant même jusqu’aux « règles d’acquisition de la nationalité » et « le sens du projet politique de la construction européenne » alors même que nos élites sont incapables d’y voir clair eux-mêmes. Le hiatus est inscrit dans les termes : il s’agit d’instruire et non plus d’éduquer. Mais de quelle morale parle-ton ? Pourtant l’initiation à la notion de droit (qu’est-ce que la loi ?) garde tout son intérêt à condition que cette initiation s’incarne dans un vécu à l’école à travers un cadre institutionnel qui fasse sens pour les élèves et ne se limite pas aux seuls interdits. De cela, et à rebours de 2002, il n’est plus question. Ce qui frappe d’entrée à la lecture des programmes est le caractère abstrait et prescriptif qui entend inculquer plutôt que fonder et instituer. Là aussi, l’aspect patrimonial déborde de partout. Les symboles de la république ne peuvent être abordés ex post sauf à vouloir faire du catéchisme républicain stérile ; le contexte historique doit être rappelé pour éviter les malentendus, ce qui complexifie la tache. On muséifie le français comme langue nationale à travers l’académie française en oubliant qu’il y a plus d’Africains parlant cette langue que de métropolitains. Il y a belle lurette que le français n’appartient plus aux seuls français. Posez la question à nos amis belges ou québécois ! Encore une fois les programmes expriment cette insécurité culturelle qui traverse la société française et la récente charte de la laïcité n’en est qu’un avatar de plus.

 Le B2i est complètement dépassée et il est surprenant qu’en 2008, alors que la révolution numérique bouleversait tous les aspects de la vie quotidienne, aucune avancée sérieuse n’ait été faite. Or nous touchons ici à l’essentiel : des changements culturels, sociaux et même anthropologiques sont en cours et dépassent très largement par leur intensité et leur rapidité la diffusion de l’imprimerie à l’époque moderne. Le rapport aux savoirs et à l’écrit notamment est bouleversé. Les écrans, les technologies de contrôle du marketing mondialisé s‘immiscent partout, y compris dans les chambres et cartables des élèves. Avec un tel bombardement informationnel, une telle hyperstimulation, il ne faut nullement s’étonner de l’état de saturation cognitive et affective des enfants et de leurs parents (ce qui inclut aussi les enseignants) et des troubles de l’attention qui en découlent dans l’exercice scolaire. C’est un fait sociologique qu’il nous faut prendre en compte dans nos classes en développant par exemple une pédagogie de l’attention à l’instar de certaines écoles en Belgique et aux Pays-bas. Pourquoi alors ne pas inclure à titre expérimental comme activité EPS le Yoga et autres pratiques méditatives qui ont fait leur preuve ailleurs ?

 Nous ne pouvons ignorer le contexte général dans lequel s’insère aujourd’hui l’école. Faute de quoi nous en subirons les effets délétères soit en nous retranchant de façon illusoire dans une école sanctuarisé et déconnectée des réalités sociales, soit en répercutant par adaptation successives et aveugles, donc mortifères, les changements sociétaux induits par des intérêts qui nous dépassent tous. L’enjeu aujourd’hui est de répondre à ces défis. Les débats idéologiques et nationaux qui tournent autour de l’éducation (i.e républicanisme versus pédagogisme) sont aujourd’hui caduques car ils ne prennent pas la mesure des bouleversements civilationnels en cours. On l’aura compris, l’enjeu n’est pas tant la présence des nouvelles technologies à l’école que celle de ses usages. Ce sont potentiellement d’extraordinaires outils d’apprentissage mais en l’état actuel de l’offre, ils sont aussi lourds de menaces… La présence dans les écoles d’une salle informatique qui prend la plupart du temps la poussière est une incongruité. Même la présence d’un TNI dans la classe, dont je suis pourtant adepte, doit être repensée. A coté du traditionnel tableau noir et des cahiers, un espace numérique de travail, en réseau, doit trouver sa place dans chaque classe à certains moments de la journée. Ceci est un vaste chantier d’expérimentation.

 Nul doute que les nouveaux programmes devront prendre en compte la nouvelle donne numérique mais la réponse institutionnelle doit être globale : en terme de moyens et de formation bien sûr mais aussi en proposant une politique d’orientation claire et susceptible d’accueillir les bouleversements à venir… En sommes-nous là ? 


[2] Lire en particulier les réflexions de Stiegler, Bernard. Réenchanter le monde la valeur esprit contre le populisme industriel. [Paris] : Flammarion, 2008.

[3] Je renvoie à la lecture de Stiegler, Bernard, Philippe Meirieu, et Denis Kambouchner. L’école, le numérique et la société qui vient. Fayard/Mille et une nuits, 2012.

[4] D’après le Figaro, Jean Paul Brighelli, un essayiste polémique et réactionnaire, aurait été un des co-auteurs des programmes.

[5] Le « pédagogisme » dénoncé dans les années 2000, terme polémique et injurieux, est plus le reflet de fantasmes sur une école restée massivement conservatrice dans ses méthodes, qu’une réalité de terrain. Voir les ouvrages de François Dubet.

[6] Précisons que cette prolétarisation des métiers de l’éducation touche encore plus profondément les cadres : IEN, conseillers pédagogiques souvent dépossédés de toute autonomie d’action et réduits à faire appliquer les directives venues d’en haut.

[7] Je reste un adepte de la conjugaison horizontale (par les personnes) plus opérationnelle que la conjugaison verticale (par les tables) très complexe.

[8] Voir la séquence inénarrable de Xavier Darcos ne maitrisant pas le futur antérieur et la règle de trois sur le plateau du grand Journal en 2008. http://www.dailymotion.com/video/x7l3ma_darcos-sur-canal-le-passe-anterieur_news

[9] Voir les travaux en psychologie sociale de Gregory Bateson.

[10] Travaillant actuellement sur une classe de cycle (CE2 CM1 CM2), je peux en témoigner.

[11] Lire les travaux de Pierre Bourdieu (les héritiers).

[12] Sur le modèle du collectif « Sauvons les lettres », ils sont trop nombreux pour être cités tous.

[13] Voir mon article sur les ateliers d’écriture contributive.

[14] Signalons l’abandon regrettable de la pluridisciplinarité dans le processus de sélection des PE, effet pervers de la masterisation et des coupes budgétaires.

 


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2 réactions à cet article    


  • unandeja 23 septembre 2013 12:25

    je n’ai pas la prétention de remettre en cause vos dires sur un sujet que je ne maitrise absolument pas...mais une chose m’a choqué dans votre article. L’exemple de l’apprentissage des conjugaisons complexes qui serait une aberration car bien souvent les élèves ne maitrisent pas les conjugaisons de base....

    Que devrait-on faire ? mettre ces richesses linguistiques à la poubelle ? Niveler par le bas plutot que par le haut.

    Personnellement j’ai appris ces conjugaisons au primaire et j’estime que c’est une richesse. Certains n’étaient pas capable de les assimiler mais faut-il pour autant en priver ceux qui le peuvent ?


    • béatrice 23 septembre 2013 14:14

      Bravo pour cet article.
      Exerçant sur un cycle 2 complet (GS, CP, CE1), l’écartèlement entre le niveau réel des élèves, la réalité d’un temps d’enseignement partagé sur trois niveaux et le décalage entre des « programmes » de maternelle et de cycle 2 dont sont sensés faire partie les GS est, par exemple, une source de malaise dont bien des aspects sont de source institutionnelle.
      L’ambition se résume alors effectivement à l’exécution, au camouflage des tensions insoutenables auxquelles sont soumis les enseignants : programmes trop chargés, incohérents, discutables par rapport à leurs contenus et le développement de la majorité des enfants, dénis de la réalité d’une classe qui n’est plus la même qu’il y a un demi-siècle , pressions institutionnelles qui prennent des virages à 180° dans un langage de plus en plus sybillin, nombre de tâches exponentielles.
      Les programmes 1995/2002 donnaient le goût d’enseigner. Je dirais même puisque c’est à ce moment là, que j’ai débuté ma carrière, qu’ils m’ont appris l’enseignement car ils étaient conçus au regard du développement de l’enfant.
      Etre satisfaite de mon travail est devenu impossible. Une politique d’orientation claire contribuerait sûrement à diminuer un niveau de stress qui n’est profitable ni à l’enseignant, ni aux élèves.

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