Abstention aux élections : Simone Weil avait raison sur le système des partis
Relire les textes de la première moitié du XXème siècle permet de constater l'intelligence visionnaire de certains auteurs, un peu tombés dans l'oubli. C'est le cas de la philosophe anarchiste et chrétienne convertie Simone Weil, dont les oeuvres souffrent en France de la concurrence avec une quasi-homonyme qui l'a médiatiquement vampirisé.
Contemporaine de la crise des années 1930 et de la montée des totalitarismes, elle nous a livré un essai d'anthologie qu'il est utile de relire en cette période de rejet du système électoral par nos compatriotes. Les 70% d'abstentionnistes ont-ils lu Note sur la suppression générale des partis politiques ? Leur attitude est la parfaite illustration des recommandations de cette militante de la liberté de conscience, engagée auprès des républicains espagnols dont elle n'hésita pas à critiquer les excès, puis brièvement dans la résistance avant de s'exiler en Angleterre où elle s'éteindra en 1943 terrassée par la maladie.
Simone Weil, c'est l'esprit critique en toute liberté, les hommes et les femmes libres plutôt que les clans, les carcans idéologiques, le sectarisme et le conformisme. En Espagne, elle n'hésitera pas à dénoncer les actes de brigandage de ses camarades, les rangeant au même niveau que les exactions des phalangistes. Dans son plaidoyer, elle a rappelé les liens psychologiques entre extrêmistes, la même violence, le même refus des opinions contraires : en 1932, quand un communiste et un nazi se croisaient dans une rue allemande, ils tombaient souvent d'accord sur l'essentiel.
Vivre libre dans sa tête ou mourir, affirmait-elle pour résumer. A notre époque où le peuple rejette les partis, leurs combines, leur mépris de l'intérêt général au profit de l'enrichissement de quelques uns par des postes de rentiers, il faut redécouvrir Simone Weil, beaucoup plus subversive par sa contestation de la fausse démocratie que son homonyme libérale-conservatrice concentrée sur les débats sociétaux.
D'ailleurs la question de l'IVG et de la PMA ne sont-elles pas un exemple des conclusions de Simone Weil ? Vous êtes pour, donc vous votez pour les uns ; vous êtes contre, donc vous militez chez les autres. Une idiotie, quand on connait la complexité de la pensée humaine. Il y a trente ans votre narrateur lisait le Charlie-Hebdo qui venait de reparaitre, car il y avait justement du Simone Weil dans les éditos de Philippe Val. Pour autant, je ne votais pas à gauche car je ne partageais pas l'ensemble du contenu vendu par les PS et compagnie. Les autres partis ressemblaient à des sectes clientélistes. Le PCF pour les petits fonctionnaires, le RPR pour les commerçants et les retraités, le FN pour les pieds-noirs et les anciens combattants. Il n'y avait rien de démocratique là-dedans, et les choses n'ont guère évolué. On lit pour s'informer, débattre et se divertir, ce qui est la fonction d'un journal satirique. Mais qui lisait Charlie était à gauche, qui lisait le quotidien de Paris était à droite, un clivage qui ne reflétait pourtant pas la diversité des lecteurs, or les médias raisonnaient ainsi.
Les français en ont assez des clivages qui ne correspondent plus à aucune réalité, et qui les empêchent d'aborder les vraies questions de société. Et si faire de la politique aujourd'hui, c'était d'abord être libre de penser, d'agir, de lire ce que l'on veut ? De s'engager librement pour une cause en conservant son esprit critique ? D'aborder l'actualité par la mise en perspective ?
Certains diront que Simone Weil, par son intelligence et sa liberté d'action, était complotiste et agitateuse d'angoisse, les deux sophismes à la mode pour désigner les esprits non-conformistes. Sans doute aurait-elle assumé ces qualificatifs provenant des chiens de garde d'un système qu'elle a dénoncé durant sa courte existence. Relire sa Note sur la suppression générale des partis politiques est une bouffée d'air pur dont nous aurions tort de nous priver.
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