Accident du Mojave : un sérieux coup d’arrêt au tourisme spatial
Le terrible accident survenu au prototype numéro un des cinq navettes spatiales destinées à des touristes fortunés remet-il en cause le principe ? Virgin pourra-t-il tenir encore cinq ans à bout de bras les énormes dépenses engagées dans l'aventure ? L'avenir de l'espace est-il toujours autant tourné vers des sociétés privées, qui commencent à essuyer les mêmes échecs qu'avaient connus jadis la NASA ou les russes de l'ère soviétique ? Les questions abondent depuis ce jour funeste d'octobre 2014 et cette catastophe survenue au beau milieu... du désert du Mojave, annoncé un peu hâtivement comme le prochain aéroport public vers l'Espace...
Dans un article intitulé "Virgin Galactic : le même, en plus gros", publié il y a plus de cinq ans déjà, le 24 janvier 2008, je vous avais décrit le nouvel engin appelé sobrement "Space Ship Two", le digne sucesseur du modèle précédent qui avait prouvé la viabilité du concept en amenant son pilote à la frontière de l'espace. "Cinq vaisseaux sont en construction, le premier s’appelant VSS (Virgin Space Ship) Enterprise... un nom qui devrait logiquement vous rappeler quelques souvenirs. Chacun pourra emporter 7 passagers et deux pilotes, à partir de la porte de l’espace que constitue Le Mojave Space Center. A condition que tout se passe bien : le 7 juillet dernier (en 2008, donc) une explosion avait ravagé l’endroit où des employés chargeaient le prototype du nouveau moteur, faisant 3 morts et 3 blessés graves. La conquête spatiale a beau vouloir devenir tourisme spatial, cela reste néanmoins un sport à risques. Le gamin qui jouait dans son canapé avec un avion de balsa peut être aujourd’hui heureux : il va réaliser pour la deuxième fois son rêve d’enfant. C’est plutôt rare pour être ici souligné. Pour voir ses avions partir pour une tour en apesanteur Rutan n’aura pas à aller très loin : il habite à 5 km à peine du SpacePort, dans une maison semi-enterrée assez singulière, à son image donc. A voir sa boîte à lettres disons particulière, on se dit que l’homme aux rouflaquettes les plus célèbres de la planète est vraiment un doux dingue dans son genre, qui continue à nous faire rêver, chose rare de nos jours, avec ses projets fous." Une boîte aux lettres qui aujourd'hui prend une drôle d'allure, après que son Space Two Ship se soit lui aussi planté en plein désert.
Les essais du Space Ship et ses vols de qualification avaient révélé que la technologie utlisée jusqu'ici ne suffirait pas pour un appareil au poids et à la taille doublée. C'est pourquoi Scaled Composites s'était tourné ses derniers temps vers Sierra Nevada pour élaborer un nouveau moteur pour le Space Ship Two. La première mouture de ce second moteur allait s'avérer insuffisante et surtout instable. Si les matériaux de base restaient les même comme carburants (du hydroxyl-terminated polybutadiene (HTPB) et du protoxyde d'azote (N2O) à savoir de la gomme synthétique pou pneus et du gaz hilarant), la poussée (théorique) avait pourtant été décuplée, montant à 60,000 livres (270 kN) de poussée. Le 29 avril 2013, après des retards, le premier vol avec un moteur déclenché avait eu lieu. Lancé à une altitude de 47000 pieds par son avion porteur WhiteKnightTwo, la petite navette de Virgin pilotée par Mark Stucky et Mike Alsbury n'avait atteint que 56 200 pieds (un peu plus de 17 000 mètres, mais la firme avait alors déclaré que le vol avait été normal (avec 16 secondes seulement d'allumage !. Au second vol, Le 5 septembre 2013, le second vol de Mark Stucky et Clint Nichols culminait encore à 69 000 pieds (21 000 mètres seulement, l'engin redescendant pour la première fois en "cassant" - adoptant la "feather position" - comme le précédent modèle pour se transformer en volant de badminton). La marge de croissance obtenue semblait bien faible, vue par les observateurs extérieurs, même si on jugeait chez Virgion/Sierra l'essai réussi (et l'arrêt du moteur bien prématuré). Visiblement, l'engin avait eu des problèmes de poussée. C'est le patron de Virgin, Richard Branson, qui avait en personne crû devoir avertir le monde du "succès complet" et "d'une étape importante accomplie" lors de cet essai par une annonce officielle diffusée en vidéo. En avait-il déjà trop fait en voulant masquer les insuffisances de son programme spatial ?
En réalité, les ingénieurs de Sierra Nevada, fournisseurs du nouvau moteur, planchaient déjà sur une autre mouture, déjà, s'étant rendus compte que la poussée nécessaire ne serait jamais atteinte de la sorte. Virgin avait-il ce jour-là tout fait pour minimiser l'incident, les sommes en jeu étant colossales (celles versées à l'avance par les candidats aux vols spatiaux), c'est fort probable, pense-t-on aujourd'hui. Sierra Nevada, qui en même temps fourbissait sa propre navette, basée sur un modèle autrefois abandonné par Boeing (le HL-20), planchait de fait depuis plusieurs mois sur un matériau différent comme comburant solide (et le même carburant liquide), une matière appelée "thermoplastic polyamide" à la place de la gomme précédente, (un épiphénomène du Nylon, tout simplement) susceptible d'apporter un gain de poussée conséquent. Un moteur entièrement nouveau fabriqué à Poway en Californie, et qui avait subi en mai dernier seulement un essai statique de 60 secondes (le temps de propulser en vol à 361 000 pieds d'altitude). En mai seulement, ce qui semble fort court comme période entre l'essai statique en continu et le premier vol ! Même si Space Ship Two avait volé auparavant 55 fois dont 35 en vol libre (c'était le 4eme essai de moteur en fait). Ce nouveau moteur avait été testé au bout du 28eme vol pour la première fois dans sa nouvelle configuration. L'avion avait atteint 71 000 pieds, battant le record précédent de Space Ship Two... de bien trop peu, avaient noté les observateurs. A-t-on cherché pendant... neuf long mois d'arrêt à pousser davantage la combinaison polyamide-N2O, c'est fort probable. Quitte à rendre l'engin plus dangereux ? Le chef pilote avait alors été David Mackay ; le co-pilote étant Mark Stucky. Les neufs mois passés entre les deux vols laissant indiquer une difficulté apparente à tenir les objectifs annoncés en fanfare par Branson (il avait promis les premiers vols touristiques pour 2007, déjà...). L'avion n'a pour l'instant rien de spatial en effet : il lui faudrait atteindre 364 000 pieds pour y prétendre, et il n'en était toujours hier qu'au 1/5 eme de cette altitude... Rappelons que si pour la NASA l'espace est atteint à seulement 50 miles d'altitude, (81 kilomètres), au dessus du niveau de la mer ; pour la World Air Sports Federation la frontière se situe à 100 km.
Ce qui n'était déjà pas sûr il y neuf mois et est devenu encore moins certain aujourd'hui pour la suite des essais, comme l'avait déjà noté en visionnaire Doug Messier, le responsable des contenus du site Parabolic Arc : "Allez, rappelez-vous comment, après le premier vol motorisé en avril 2013 lorsque le fondateur du groupe Virgin Richard Branson a déclaré que les ingénieurs avaient finalement mis au point le moteur, et qu'il avait promis de voler dans l'espace le jour de Noël déguisé en Père Noël ? Foutaises complètes. Cela n'avait aucun rapport à tout ce qui se passait dans les coulisses. Virgin Galactic a paraît-il un plan pour y remédier. Des sources me disent que les ingénieurs ont équipé SpaceShipTwo de réservoirs supplémentaires contenant de l'hélium pour amortir les oscillations et les vibrations. Cependant, le poids supplémentaire devrait au moins partiellement compenser la performance de leur moteur. Il devrait également de réduire le nombre de passagers à l'arrière de six à quatre, me disent les mêmes sources. Est-ce que le vaisseau pourra atteindre 50 miles ? En théorie, oui. En pratique ... nous allons devoir attendre que les essais en vol reprennent un peu plus tard cette année pour le savoir". L'article au vitriol était titré "Virgin ne peut atteindre les 50 miles, la frontière de l'Espace". Au lendemain de la catastrophe, le journal en ligne sortait un autre superbe titre, que les amateurs de blues apprécieront.... (interprété par un guitariste mort dans un accident d'hélicoptère...).
Les vols précédents avaient effectivement révélé de sérieuses difficultés de mise au point, tues par l'équipe de Virgin mais révélées par un ancien pilote de l'équipe originelle de Burt Rutan "la version précédente (le Space Ship One dans son ensemble et non le moteur seul) était problématique, provoquant de fortes vibrations dans le vaisseau spatial. Dans un article publié le mois dernier dans la revue Popular Mechanics, Brian Binnie, un ancien pilote d'essai de chez Scaled Composites, dit : "Nous avons eu des instabilités dès l'allumage et nous avons eu des instabilités de fin de combustion." Bien que le probblème ait été résolu depuis, nous avions tout fait mais avons fini par abandonnet et prié Dieu de nous montrer la marche à suivre", a déclaré M. Binnie, qui a maintenant déménagé chez XCOR, une autre société de Mojave qui construit un avion spatial suborbital pour les touristes". XCOR annonçant un "Lynx" toujours pas vu à ce jour... depuis 2008 ! La firme travaillant son "Nonburnite", un combustible à base de résine thermoplastique fluoropolymère, assez voisine de celle en défaut aujourd'hui. Binnie (ici à gauche) avait aussi rappelé la "susceptibilité" du concept en vol du premier Space Ship, résolue de façon fort artisanale par les technos de chez Rutan : "SpaceShipOne avait soudainement fait un salto arrière, dans les airs, en devenant hors de contrôle. Pour le récupérer, il avait poussé le manche vers l'avant et a tenté de mettre le nez vers le bas, ce qui avait aggravé les choses. Il avait oublié que la queue du véhicule est conçue pour garder le nez pointé vers le bas, exactement le contraire d'un avion normal. C'était une erreur de jugement de Binnie, mais à partir de laquelle Melvill a pris beaucoup de temps pour récupérer l'appareil. Les experts en aérodynamique de Rutan ont résolu le problème avec une queue plus grande, testée par le montage en face d'une camionnette Ford F-250 roulant sur la voie de circulation à 150 km/h...". L'abrupt mais jovial Burt Rutan, inventeur du concept de Space Ship (et de pleins d'autres choses dont je vous parlerai un jour, promis) avait ainsi répondu, non sans un humour de plomb, aux préoccupations sur la sécurité évoquées alors par Dennis Connors en retournant ainsi sa question : "Nous faisons des ailes pour les avions. En cas de rupture de l'aile, vous mourez." Simple, non ? Pour certains, en effet, sous Burt Rutan, au temps où il dirigeait encore Scaled Composites, la sécurité aurait été davantage un souci dans l'élaboration du Space Two. Sous son air bourru, Burt soigait ses pilotes.
Aurait-on joué avec la sécurité chez Virgin ? Le commerce aurait-il pris le pas sur ce à quoi ont droit les valeureux pilotes d'essais ? Un journaliste présent sur les lieux, encore très choqué, raconte ici à l'antenne d'une radio ce qu'il a vu sur place, immédiatement après la catastrophe, à savoir les morceaux du véhicule éparts, le pilote en chef qui aurait réussi à faire fonctionner par on ne sait quel miracle son parachute pour retomber très sérieusement blessé, le corps du second pilote étant encore sanglé sur son siège, des membres manquants (une chaussure avec un pied ayant été projetée plus loin ; selon lui). Une vision d'horreur que l'on aura du mal à effacer si l'on souhaite toujours parler de tourisme spatial !!! Selon ses propres parents, le chef pilote d'origine écossaise David Mackay n'était pas à bord ce jour-là. Selon le journal spécialisé Flying, la composition de l'équipage du vol fatal comprenait ce 31 octobre Pete Siebold et Mike Alsbury. Etrangement, ils avaient été largués ensemble le 13 octobre 2010 pour le tout premier vol libre, sans motorisation, du Space Ship Two. A cette heure, on ignore toujours les noms exacts des deux pilotes concernés par l'accident.
Chez Sierra Nevada, qui est aussi un contractant militaire du Pentagone, qui l'a bien aidé à connaître une expansion fulgurante (Rutan a aussi discrètement participé à des projets militaires) on n'en ramène pas large, depuis hier, avec en prime la navette resucée du HL-20 qui venait de se voir refuser d'être sélectionné par la NASA utilisant le même moteur. L'engin, à défaut de ravitailler l'ISS ou de lui servir de canot spatial de sauvetage, lorgnait aussi sur le tourisme spatial ; son nom à lui seul résumant ses espoirs en la matière. L'engin pouvant en effet (voir à gauche) être lancé de la même manière que le Space Ship Two, à défaut de l'être comme le défunt Dyna-Soar. Comme je vous en avais aussi prévenu, en effet, la visite de l'espace demeure difficile et n'est pas encore sans risques : "cinq vaisseaux sont en construction, le premier s’appelant VSS (Virgin Space Ship) Enterprise... un nom qui devrait logiquement vous rappeler quelques souvenirs. Chacun pourra emporter 7 passagers et deux pilotes, à partir de la porte de l’espace que constitue Le Mojave Space Center. A condition que tout se passe bien : le 7 juillet dernier une explosion avait ravagé l’endroit où des employés chargeaient le prototype du nouveau moteur, faisant 3 morts et 3 blessés graves. La conquête spatiale a beau vouloir devenir tourisme spatial, cela reste néanmoins un sport à risques". On l'a encore vu récemment en effet...
Cet accident, qui fait suite déjà à cinq longues années de retard, sonne-t-il le glas du voyage spatial touristique pour Virgin ? Peut-être pas, mais c'est un sacré coup dur, car reparti pour au moins cinq années d'attente en effet chez Branson (les concurrents saisiront-ils la malencontreuse aubaine pour booster leurs investissements ou rattraper leur retard évident ?). "Michael Blades, analyste senior de l'aérospatiale et de la défense chez Frost & Sullivan Industries a déclaré que le moment est particulièrement mauvais et l'accident de Virgin repousse indéfiniment son objectif d'envoyer des touristes dans l'espace, qui a déjà subi un certain nombre de retards. Les vols avec passagers ne n'auront probablement pas lieu pendant cette décennie", a-t-il précisé . Ce n'est donc pas encore demain que Brad Pitt ou Rihanna flotteront dans l'espace, à mon avis... le temps pour cette dernière, en enfilant un scaphandre, d'être obligée de s'habiller, une fois au moins dans sa vie, qui sait...
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