Adorateurs de Damoclès

On cherche désespérément l’ombre d’un soupçon d’un doute chez le président de la république portant sur le mal fondé, la racine du mal, du système économique et financier régissant notre monde. Ce que l’on trouve en profusion c’est la trouille (et les trouillomètres adéquats), mesure unique et quantifiable œuvrant pour préserver à la France, à l’Europe, au monde et à l’univers sa capacité d’emprunter sous le nuage protecteur du triple A. Si ce n’est pas de l’ivresse mystique on n’en est pas bien loin.
A l’heure des citrouilles illuminées de halloween, le premier ministre prend les habits (et le mètre) du croque mort impavide de chez Lucky Luck pour déclarer que les Etats sont des toxicomanes, des accrocs de l’emprunt, qui reste paradoxalement le but final. Si ce n’est pas du délire, on en n’est pas très loin.
Il n’existe pas non plus l’ombre d’un soupçon d’un doute chez celui qui espère être le prochain président de la république quand au mal fondé du système économique et financier régissant notre monde. Echaudé sans doute par l’exemple du premier ministre grec qui, voulant comptabiliser plus ou moins honnêtement les crédits de ces prédécesseurs, a créé une crise chaotique qui oblige son pays à se vendre aux coyotes les moins offrant. Le peut-être futur président se déclare rigoureux et responsable, c’est à dire incapable de penser sur l’essentiel. C’est quoi l’essentiel ? Il l’a dit lui-même lors d’une crise d’euphorie hallucinatoire : que demain soit meilleur qu’aujourd’hui. Si ce n’est pas de l’hallucination, on n’en est pas loin.
Peut-on gouverner de manière responsable (c’est une répétition hélas nécessaire) sans mettre en cause radicalement le système économique et financier actuel ? La question comporte une autre, préalable : c’est quoi gouverner ? Le vice président de la Die Linke allemande propose le terme de choisir. Ce n’est pas sorcier à condition de bien choisir. Au Bundestag son parti a voté contre les mesures proposées par la première ministre fédérale en arguant qu’il fallait choisir entre les banques et les peuples. En conséquence il a voté contre le sauvetage des banques fait aux dépends du peuple grec. Même pas peur.
Etre un obsessionnel paranoïaque n’est pas synonyme de gouverner. Or, si s’obstiner, à la manière du FMI, à des mesures qui ont fait depuis trente ans la preuve de leur inefficacité n’est pas obsessionnel on n’en est pas loin.
Depuis trente ans tous les pays sans exception qui ont bu les potions magiques concoctées par les instruments de la gouvernance mondiale (Banque Mondiale, FMI, G7, G8, G20, Bâle, OMC, et j’en passe) se sont appauvris, ont perdu leur indépendance, leur souveraineté, leurs outils industriels nationaux, certains ont mis des décennies à s’en remettre, d’autres ne se sont jamais remis. Par contre, les quelques pays qui ont refusé de la boire jusqu’à la lie (Chine, Inde, Brésil, Argentine, Malaisie, etc.) se portent à merveille naviguant irrespectueusement dans le mépris des règles dites communes, que celles-ci concernassent la monnaie, la libre circulation des biens, les brevets, la contrefaçon, ou tout simplement le marché obligataire et les produits financiers dérivés. On les accuse, ces pays, d’être les pirates de l’ordre mondial, des délinquants systémiques d’une part, mais d’autre part on passe son temps à leur demander du pognon, à remplir leurs caisses de bons du trésor, à leur filer en échange savoir faire et technologies. Si cela n’est pas de la schizophrénie, on en n’est pas loin.
Gouverner donc, c’est choisir. Choisir le bien commun des citoyens aux dépends d’un système économique et financier qui tourne le dos aux hommes et ne regarde que ses propres intérêts. Un proverbe turc dit « quant une branche est tordue, le plutôt on la coupe, le mieux c’est ». Sinon, on tombe dans le mysticisme irrationnel, le délire paranoïaque, les hallucinations, les obsessions, à la schizophrénie.
On ment à tous et surtout à soi même en parlant d’un demain meilleur qu’aujourd’hui, on perd même la faculté élémentaire de savoir lire et surtout compter : le ministre du budget, avec sa calculette en main et son sérieux en allure annonce 1.692, 7 milliards de dette, tandis qu’elle est de 3.193,4 milliards. Sans vouloir lui compliquer la vie on se demande pourquoi ses savants calculs n’incluent pas les SAAD, les RFF, les SFEF, les CADOS et autres ACOSS, les retraites de fonctionnaires, les allocs, et on n’en passe. Les tenants du triple A, eux, les calculent. Si on ne veut pas fermer les hôpitaux, les écoles, dire bye-bye à l’Etat de droit, à ses policiers ses instituteurs ou ses magistrats, si l’on ne veux pas vendre aux moins offrants nos villes et nos campagnes, il faudra tôt ou tard gouverner, c’est à dire choisir. La fuite en avant (emprunter plus pour se déculotter plus) ne fait que paupériser les administrés : en 1960, il fallait en moyenne 11 ans aux classes moyennes pour améliorer leurs conditions ou progresser dans l'échelle sociale. Aujourd'hui, il faudrait selon les statistiques nationales 35 ans. Actuellement, le revenu des ménages est principalement consommé par les dépenses d'électricité, de gaz, d'eau et de carburant qui représentent 38% des dépenses, contre 21% en 1979.
A force de choisir l’actionnaire à la place du citoyen et de son salaire, la rente à la place de l’investissement, le marché à la place de l’Etat de droit, on a finit par tout anéantir tout en se déclarant sérieux et responsable. Comme quoi, on peut dire et être tout et surtout son contraire. Se dire réaliste et conséquent tout en étant fantasque et irresponsable, du moins vis à vis de ceux qui vous ont élu. Cependant, les « responsables », de droite ou de gauche, qui choisissent la logique du marché contre leur propre peuple finissent par être balayés par le vote populaire, parfois pour le meilleur (Irlande) mais, plus souvent, pour le pire (Espagne, Portugal).
Si gouverner consiste à s’installer volontairement au dessous d’une épée de Damoclès en agissant uniquement pour qu’elle ne vous tombe pas dessus, sans vouloir changer de place ou déplacer l’épée, alors nous sommes parfaitement gouvernés. Enfin, on ne voit pas l’ombre de soupçon d’un doute sur le mal fondé du fait que si un gouvernement n’arrive plus à tenir cette position, synonyme de chantage permanent, il est, in fine, remplacé par des technocrates de la logique du triple A, des fonctionnaires internationaux - banquiers de préférence - qui, eux, ne sont pas élus et qui sauront jouer parfaitement leur rôle de Procruste. Car tout ce qui dépasse, tout ce qui se situe au deçà de la vision de Goldman Sachs, doit disparaître comme disparaissent à prix cassés les ordinateurs dits « périmés » lors des soldes…
On solde ainsi l’Europe des peuples, les peuples d’Afrique et d’Amérique latine, les pauvres en Inde, les paysans en Chine, les ouvriers en Russie, les entreprises qui ne survivent pas uniquement grâce au crédit perpétuel, les secteurs stratégiques des Etats (énergie, télécommunications, etc.,) on privatise la sécurité et les prisons, on loge et on nourrit les soldats par des sous-traitants, on déguise statistiques et données à sa guise, et on déclare en faillite tous ceux qui vous déplaisent.
Au Moyen Age prêter au dessus d’un seuil raisonnable était considéré un délit. Aujourd’hui, il suffit de suggérer la France, l’Italie ou l’Espagne comme « défaillants » pour que la spéculation - c’est-à-dire l’usure - ne connaisse pas de limites. Et ceux qui acceptent ce monde, ceux qui l’ont mis en place, se déclarent, comme toujours, sérieux et responsables.
Il existe au sein des milieux criminels que l’on côtoie quotidiennement plus d’éthique que celui qui régit le monde de la finance auquel nos gouvernants confient notre futur. Ils le sauront très vite, que dis-je, ils le savent trop bien déjà. Ce qu’ils soupçonnent moins, c’est que le monde qu’ils ne veulent pas changer a déjà changé. Ils sont les adorateurs d’une épée de Damoclès qu’ils croient au dessus d’eux, et oublient le volcan sur lequel ils sont assis…
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