AF1750 du 25/07/06 Paris-Copenhague : arrêt d’un réacteur d’A320 en plein ciel, voilà ce que j’ai vu.
Un incident en vol vu du côté passager...et sans filtre de la compagnie !
Au début, c’est un vol sans histoire. A la fin aussi.
Entre les deux, j’ai vécu quelques épisodes forts peu drôles que l’on ne se raconte qu’entre survivants, après avoir éteint la télé. Oui, j’ai du vivre une expérience aéronautique un peu en dehors de la norme, Oui, j’ai eu peur, Oui, je reprends l’avion ! Oui, je vous raconte.
Ce matin du 25 juillet 2006, je dois aller à Copenhague.
Décollage prévu à 07.30, mon billet est électronique et mon siège est déjà choisi (16A) sur le web, la veille au soir, merveille de l’internet.
Le café sera dégueulasse, on le sait d’avance.
J’arrive à 06.30 à Roissy CDG 2D, je pointe et là, première déconvenue : c’est blindé de touristes à pas cher qui arrivent d’Asie où de je-ne-sais-où et qui veulent rentrer à moins de 300€ de Singapour à Copenhague sans toucher l’élastique...
Bref, c’est pété de gens fatigués et irascibles, genre de trucs que l’on ne voit pas en hiver, il y a la télé et le foot pour les clouer chez eux.
Démocratiser l’avion, c’est bien, démocratiser la politesse envers le personnel au sol, les bonnes mœurs dans les aéroports, il y a encore du travail...
Bref, on se reconnaît entre ceux qui vont travailler au bout de ligne, on se cache pas trop loin du comptoir et on embarque en ordre avec le journal à la main. Du classique, même si la famille est en train de profiter de la vie et qu’au mois de juillet, on aimerait un peu être ailleurs.
On se carre au fond du siège et on décolle, normal.
Pour moi, c’est lunettes de soleil et écouteurs pour protéger les yeux et les oreilles puis Trois Ipod en série (un pour la vidéo, un autre pour la musique, un troisième en secours du second) pour écouter de la vraie musique.
Les pauvres, eux, s’agitent, ils ont vu la Tour Eiffel, Le Parc Astérix... c’est leur truc.
Certains pilotes en rajoutent en nous commentant la carte qui défile sous nos yeux.
Pilotez les gars, c’est déjà beaucoup ! Ne nous cassez pas les oreilles !
Au bout de 40 minutes, c’est calme, les fatigués sont fatigués, les autres sont calmes. Il fait grand soleil, on flotte dans le gaz entre Bruxelles et Amsterdam, c’est franchement beau. Détente.
Une turbulence. Deux. Trois. Des CLAT (Clear Air Turbulences) dues au relief ou à l’été. Rien de grave. Le 320 monte un peu, normal. Descend, pas trop normal. Remonte, vole en crabe. Le café n’est pas droit dans la tasse. Pas trop normal mais perceptible "Toute correction provoque des sensations" m’a expliqué Noël Chevrier, Commandant de 747 et instructeur pour le stage Anti stress d’Air France.
Le gars aux commandes corrige, c’est bien. Le café est infect, tout est normal finalement.
Un virage, tiens, bizarre, puis une grosse boucle sur la droite.
Absolument pas normal.
Les fatigués se réveillent, l’avion est cabré à droite et change de direction de manière brutale. On va faire un tonneau sur l’aile droite si cela continue. Et pourquoi pas un looping. Avec un A320 ?
Sûr, on va passer à la TV...
Les PNC (deux hôtesses fort jolies dans mon champ de vision mais pas trop détendues) se regardent. Si elles doutent, il y a forcement un truc... Je regarde toujours les PNC dès qu’un évènement me semble bizarre et là, pas de doute, elles doutent !
Alerte, couper Ipod, se mettre en veille et essayer de comprendre avant que ne s’installe la panique et donc la peur... qui est mauvaise conseillère.
Pas fou, le Commandant de bord prend le crachoir :
"Mesdames, Messieurs, nous faisons route vers notre point de départ, Roissy CDG, nous avons une avarie sans gravité et pour des raisons de sécurité et nous rentrons. Je vous tiens informé."
Voix habituelle, douceâtre, pas de stress. Comme dans un ascenseur.
Le Monsieur maîtrise. Il fait demi-tour et il maîtrise....pas de panique, comme à l’entraînement.
J’ai fait cela en simulateur chez Air France, nous avons décollé en 747 de Nice puis "brûlé" trois moteurs en bout de piste une fois l’avion en l’air, les deux pilotes ont déroulé machinalement des procédures et nous ont ramené au sol... sur le simulateur.
Déjà, cela secoue bien, alors en vrai me disais-je !
Donc, pas de panique.
De toute manière, si le pilote voulait éviter le crash, il s’y prendrait autrement. Il se serait posé à Bruxelles direct. Il aurait utilisé une piste de secours et serait descendu au raz des arbres sur Bruxelles en vidant son réservoir. Un grand classique du manuel de pilote que je n’ai pas lu.
L’ambiance dans l’avion doit être à couper au couteau, je ne le perçois pas très bien car j’ai remis la musique et bien monté le son de l’Ipod. Il me semble qu’il y a des cris mais je ne sais pas si ce sont des enfants. Pas envie de savoir. Les PNC ont ramassé vite fait les petits déjeuners, elles ont l’air assez affectées, on ne les reverra plus, sauf pour le contrôle des "Fasten Seat Belt"et autres procédures, déroulées visage impassible.
Il me semble que l’avion accélère. Les pompes à kérosène sous mes pieds (entre les deux ailes) font un raffut du diable. Elles doivent ballaster le carburant d’une aile vers l’autre. C’est très bruyant. Ipod plus fort. Ce vieil album d’ACDC à un charme fou, vu d’ici... Moins calme que Radiohead. Il y a aussi FFF, ils faisaient de la bonne musique.
"On se pose dans 20 minutes, attachez-vos ceintures" nous dit poliment la voix dans le plafond. L’avion se calle en position de descente et traverse des couches de nuages. Impossible d’évaluer l’altitude et la position. Je suis sûr que nous avons accéléré.
15 minutes se passent sans histoire.
Nous approchons de Roissy. J’ai l’impression que le pilote a repris les commandes, les virages sont plus " humains " comparés aux virages effectués au pilote automatique lors des attentes avant l’atterrissage au-dessus de Roissy.
Encore un virage. Pas de doute, c’est du pilotage à la main.
L’avion plonge brutalement vers Roissy. " On se pose dans 7 minutes" précise un peu sèchement la voie. Par le hublot, on voit bien que la situation n’est pas habituelle, nous descendons très vite.
Je cherche des yeux mes repères habituels, je me demande à quel moment l’avion va larguer son kérosène comme on me l’a dit au stage. Aucune sensation, pas l’impression que nous ayons largué quoi que ce soit, on a du en fumer beaucoup depuis le décollage il y a une heure environ. Au fait, je ne sais pas à quelle heure nous avons décollé, je ne sais pas depuis combien de temps dure cette plaisanterie.
Tout d’un coup, entre deux nuages, je reconnais le paysage avant Roissy.
Il y a juste en dessous de nous un gros avion qui vole de manière rectiligne à 35° vers la gauche. Ma main à couper qu’il est en train d’atterrir.
Nous croisons au-dessus de lui et venons nous positionner assez sèchement à sa droite, à une distance d’environ 500 mètres (attention, je ne suis pas géomètre).
Ok, je comprends.
A Roissy on peut se poser deux par deux sur deux pistes parallèles.
Notre gros voisin ressemble à un avion américain, genre US Aiways avec une livrée uniforme grise. Il est manifestement plus bas que nous et certainement plus calme.
Nous descendons toujours assez vite mais notre gros voisin est toujours plus bas. Il se pose avant nous, il s’arrête avant nous sur sa piste.
Nous arrivons rapidement.
L’avion n’est pas droit, c’est manifeste. Comme si un vent violent de travers droit le tordait vers la gauche. J’ai déjà connu cela par vent violent sur Orly, à Montpellier et à Valencia.
Le train de droite touche, le pilote "décrabe " et les autres trains de posent sèchement.
Volets ouverts, retro-poussée (pas sûr, je ne vois que le haut du moteur), freinage. Certains applaudissent, je n’ai pas très envie.
Et tout d’un coup, c’est l’émeute.
Sur la piste voisine, toutes les casernes de pompiers du quartier sont là avec leurs gros camions de mousse. Au moins 9 véhicules. Il y a aussi des FLYCO, les petites voitures jaunes de la DGAC.
Et tout ce petit monde nous courre après, toutes les lumières allumées.
Toute cette agitation, tout ce monde, tout d’un coup, grosse frayeur.
La gamine sur ma droite semble pleurer dans les bras de son père qui n’en mène pas large.
L’avion roule très vite sur les pistes et semble pressé d’arriver.
Partout où nous passons, je vois les têtes se tourner vers nous. Un bus de débarquement s’arrête brusquement pour nous laisser passer, ses passagers nous regardent d’un air atterré.
Aïe, ce doit être grave et cet énorme camion de pompiers que je vois à quelques mètres de nous avec son énorme canon à mousse braqué sur le moteur, c’est pas drôle. On continue de rouler, je me demande sincèrement si ils ne nous amènent pas dans un coin ou nous pourrons exploser sans déranger. Grosse trouille.
Les PNC ont disparu, le pilote ne dit plus rien.
C’est le moment le moins drôle.
Le camion de pompier crache une grosse fumée noire pour nous suivre, il doit bien rouler à 80-90 Khm. Les pompiers sont habillés de pied en cape dans des grosses combinaisons avec des zébrages fluos, on ne voit que leur visage inquiet...
Bon, on arrive les amis ? C’est fini de nous faire peur ? On va pouvoir aller travailler à Copenhague avant ce soir ? Vous nous lâchez un peu ? Vous auriez un bon café pour moi ?
Le scénario dure une grosse dizaine de minutes carrément pénibles.
L’avion semble ralentir, nous approchons d’une zone de débarquement isolée "dernier virage", un gros coup de frein et l’avion s’arrête. Les pompiers se rapprochent. Il y a des camions rouges partout autour. Ils braquent leurs canons sur le moteur gauche, à deux mètres de moi. Ils ont pas l’air de rigoler. Moi non plus. Les moteurs sont coupés, il y a un monde fou sur la piste et un peu de panique, des bus en vrac, des hommes et des femmes en gilet fluo partout, des gendarmes, des échelles et des passerelles, ça sens un peu l’improvisation.
Si cela pète ou prend feu, ça va faire désordre...
" Ici votre commandant de bord, tout c’est bien passé, nous sommes arrivés, vous aller pouvoir débarquer et reprendre un autre avion que la compagnie est en train de préparer. Nous avons eu une alerte de pression d’huile sur le moteur n°1, celui de gauche et nous l’avons coupé par mesure de sécurité pour revenir. Tout cela est une procédure habituelle pour nous, nous sommes entraînés pour cela. Bonne journée à tous"
Un groupe d’hommes a déjà ouvert le capot du moteur de gauche pendant qu’un autre groupe (manifestement celui des cons) se chamaille avec la passerelle qui ne veut pas rouler... comique. Les pompiers ont l’air de se détendre un peu. Mais les canons sont toujours là.
Nous avons volé quasiment 40 minutes sur un moteur et je n’ai rien senti. Nous nous sommes posé sur un moteur et je n’ai rien senti. Incroyable.
Chapeau les gars.
Merci messieurs les pilotes de nous avoir ramené en entier.
Merci d’avoir gardé votre calme et de ne pas avoir favorisé la panique à bord. Bravo et Merci.
D’ailleurs le voilà le commandant de bord. Il descend par la passerelle et va droit au moteur où les gars n’ont pas l’air si troublés. Ils ont ouvert tous les capots et trifouillent dans un tas de tuyaux. Le commandant, qui sait bien que tout le monde le regarde, affiche un sourire un peu automatique. Les gendarmes sont là et prennent des notes, posent des questions au commandant. On nous lâche ??
En passant devant le poste de pilotage, je remercie le co-pilote qui se tient là, l’air un peu secoué. Une touriste dans mon dos sort une vanne agressive, le co-pilote et l’hôtesse répondent poliment, ils sont blindés contre les cons. Ils doivent s’entraîner. Quoique, à l’usage...
Débarquement par bus, avalanche de message, on va repartir avec un autre avion, gros bordel à l’arrivée à l’aérogare, des gens pleurent c’est très impressionnant, un jeune garçon de l’âge d’un de mes enfants pleure à grosses larmes (et en danois), sa mère essaye de le calmer mais il est agité de spasmes... des jeunes femmes sont blotties dans les bras de leurs hommes. Un couple est mis à l’écart, la fille semble ravagée, ils sont escortés par une hôtesse qui n’en mène pas large. Les autres hôtesses d’accueil sont paniquées et agressives, les talkies walkies beuglent....Pas drôle non plus mais au moins nous sommes en sécurité. Ce doit être pareil pour les évacuations de camping. Un satané bordel. Jamais essayé.
Sur le coup je n’ai pas eu peur mais sur le chemin du retour le soir vers la maison (je suis resté de 13.30 à 15.00 à Copenhague, mon rdv est venu très gentiment à ma rencontre à l’aéroport... et je suis rentré à CDG sans avoir quitté l’aéroport de Copenhague) j’ai commencé à revivre tout cela et c’est carrément effrayant !
Bon, n’y pensons plus, mais j’aurais au moins vécu cela dans ma vie...
Et dire que nous avons volé sur un moteur, que je ne m’en suis pas rendu compte.
C’est super dangereux, ne faites pas cela à la maison !
Vous, Air France, ne me faites plus cela. C’est vraiment pas drôle.
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